[Alumni-Docteurs UL] Docteur en entreprise à l’international : Mathilde Schnebelen, Global Supply Manager chez Bayer Crop Science

 
Publié le 11/01/2022 - Mis à jour le 5/05/2023

Le réseau Alumni docteurs de l’Université de Lorraine participe avec le réseau Redoc SPI (Réseau national des écoles doctorales Sciences pour l’ingénieur) à la publication d'une série d’interviews de docteurs diplômés en France et travaillant en entreprise à l’international.

Mathilde Schnebelen, docteure 2016 en génie des procédés de l’Université de Lorraine a accepté notre interview. Elle a partagé ses raisons sur le choix de l’Allemagne, et sa vision du système allemand et de la place des docteurs.

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Pour commencer parlez-nous de votre parcours à l’Université de Lorraine.

Mon parcours à l’Université de Lorraine débute par mon entrée à l’École nationale supérieure des industries chimiques (ENSIC) à Nancy en 2009. Après deux ans de classe préparatoire au Cycle préparatoire polytechnique (CPP) de Grenoble, je souhaitais intégrer une école d’ingénieur dotée d’un vrai profil industriel. J’ai été convaincue par l’éventail très vaste de domaines d’application qu’offrait le diplôme de l’ENSIC. J’étais également intéressée par la possibilité d’effectuer la troisième année du cursus de l’école dans une université partenaire à l’étranger.

Lorsqu’il a été question de choisir une destination pour cette année de programme ERASMUS, mon choix s’est porté sur l’Allemagne et plus particulièrement sur le Karlsruher Institut von Technologie (KIT) à Karlsruhe. Le KIT disposait, et dispose toujours d’ailleurs, d’un département très pointu en matière de bioprocédés et mon but était alors de perfectionner mes connaissances dans cette discipline.

C’est en Allemagne au KIT que la question du doctorat m’a été posée pour la première fois. Lors de l’entretien de fin d’année, le coordinateur des études du KIT m’avait questionné sur mes futurs projets et notamment sur la possibilité de réaliser une thèse après mon diplôme d’ingénieur. Je n’avais à l’époque pas une réponse claire à donner mais cette entrevue m’a poussé à me questionner sur le sens et l’utilité d’un doctorat. Mon approche a été plutôt pragmatique : j’ai étudié les annonces d’emploi qui avait retenu mon attention et analysé les prérequis demandés. Dans la majorité des cas, un doctorat en faisait partie. La tendance était encore plus marquée pour les postes dans l’industrie à l’étranger, pour lesquels une thèse était systématiquement exigée.

Au vu de cette conclusion, j’ai décidé de débuter une thèse. Il était en revanche très important pour moi qu’elle dispose d’une composante industrielle marquée. Je me suis donc orientée vers une thèse CIFRE en partenariat avec le Laboratoire réactions et génie des procédés (LRGP) à Nancy et l’entreprise SOLVAY. La thèse CIFRE est, selon moi, un excellent compromis pour débuter dans la vie active, tout en préparant son doctorat. En effet le doctorant est embauché en tant qu’ingénieur de recherche dans l’entreprise partenaire et travaille sur un projet de recherche qui représente son sujet de thèse. Il est donc épaulé par deux directeurs de thèse qui représentent respectivement l’entreprise et l’université (au travers du laboratoire) afin d’allier théorie et pratique.

Après votre doctorat, quels postes avez-vous occupés jusqu’à aujourd’hui ? Et pourquoi avez-vous choisi l’Allemagne ?

Après avoir obtenu mon doctorat fin 2015, j’ai été embauchée en avril 2016 par l’entreprise BAYER en tant que responsable de production sur un site de production de principe actif près de Bâle en Suisse. J’y ai passé 4 ans et eu la chance de mener des projets très variés, de l’optimisation de procédés en passant par la construction et le lancement de toutes nouvelles installations. En mars 2020 il m’a été proposé d’intégrer la division Supply Strategy en tant que Global Supply Manager au sein du siège de l’entreprise en Allemagne.  Ce poste m’a séduite car il représentait une continuité à mon travail de responsable de production. Après avoir synthétisé les principes actifs de l’entreprise, il s’agirait maintenant d’en définir et d’en assurer la stratégie globale. Ce poste me permettrait aussi d’élargir mon champ de compétences en sortant du profil purement technique.

Le passage vers l’Allemagne a ainsi été une opportunité. Mon réel choix a davantage eu lieu après la thèse lorsque j’ai décidé de postuler dans la région des trois frontières. Je suis née dans le Sud de l’Alsace, à quelques kilomètres de la frontière allemande et suisse. J’ai grandi dans une région industrielle forte, où les étudiants étaient sensibilisés très tôt aux opportunités outre Rhin. Le marché du travail y est effectivement très dynamique puisqu’un nombre important de grandes entreprises côtoient des start-up innovantes.  J’ai donc choisi dès le collège d’apprendre la langue allemande comme première langue étrangère et il me semblait logique de postuler dans ce secteur géographique.

Vous travaillez en entreprise en Allemagne : avez-vous des éléments de comparaison avec les entreprises en France qui recrutent des docteurs (salaires, fonctions, positionnement dans l’entreprise, évolution de carrière...) ?

Il m’est quelque peu délicat de comparer la France avec l’Allemagne ou la Suisse puisque je n’ai travaillé que 3 ans en France dans le cadre particulier de ma thèse CIFRE. Toutefois, lorsque j’échange avec des membres de ma famille ou des anciens camarades doctorants, il y a des paramètres qui me marquent. Le premier est indéniablement la rémunération. Les ingénieurs et docteurs sont bien mieux rémunérés dans ces deux pays qu’ils ne le sont en France. En étudiant les barèmes de salaire, les différences peuvent aller du simple ou double, voire au triple. Si je devais trouver un début d’explication, je pense que je le relirais à la reconnaissance du savoir faire technique. L’Allemagne et la Suisse sont des pays portés par des industries qui nécessitent un bagage technique, que ce soit dans la chimie (BASF, Bayer, Novartis), la mécanique (BMW, Mercedes) ou l’électronique (Siemens, Endress & Hauser) pour ne citer que quelques exemples. Ces dernières décennies, la France semble quant à elle, avoir choisi de s’appuyer de plus en plus sur le secteur des services.

La deuxième grande différence avec la France est l’évolution de carrière. Je trouve que les possibilités sont bien plus nombreuses dans ces deux pays. Certes le doctorat est un passage obligé pour accéder à certains postes mais c’est l’expérience et les compétences qui deviennent ensuite le barème d’évaluation pour une évolution de carrière. Je dirais aussi que les managers de ces deux pays osent davantage. Les jeunes entrants se voient confiés des projets importants qui leur permettent d’accroitre le nombre de cordes à leur arc. En contrepartie, il faut accepter que la semaine de travail est à 40h par semaine.

Enfin ce qui me frappe toujours dans les échanges est la culture du compromis. On va chercher une solution, quitte à ce qu’elle soit inhabituelle (penser hors de la boite). Le conflit est le tout dernier recours. C’est une particularité que j’ai toujours beaucoup apprécié depuis que j’ai commencé à travailler dans les pays germanophones.  Les gens débattent de façon constructive et s’écoutent. Image très lointaine des débats à couteaux tirés où les participants ne cessent de s’interrompre que je connais en tant que française. J’ai un jour fait part de cette remarque à l’un de mes supérieurs et il a pointé du doigt une raison plutôt inattendue à cette façon de débattre : dans la langue allemande, le verbe est placé grammaticalement à la fin de la phrase subordonnée. Il faut donc attendre la toute fin de la phrase pour comprendre ce que son interlocuteur veut réellement dire. Et c’est ainsi que la grammaire change toute une culture de travail !