[INFRA+] Les plateformes de recherche au service des doctorants : témoignage de Mariam en thèse à l'IJL

 
Publié le 10/03/2025 - Mis à jour le 11/03/2025

Les recherches expérimentales des laboratoires du site Lorrain nécessitent souvent de nombreux équipements scientifiques qui sont pour la plupart rares dans une région car ils sont très chers et/ou ils nécessitent une expertise très particulière. Les plateformes de recherche labélisées INFRA+ répondent à ce besoin par la mise à disposition de tels équipements et d’ingénieurs ou de chercheurs spécialistes de ces techniques, à l’ensemble des personnels du site. Les étudiantes et étudiants en thèse sont parmi les premiers utilisateurs de ces plateformes. Ils y trouvent une solution technique à un besoin spécifique, une formation instrumentale et un partage d’expériences dans une communauté d’utilisateurs souvent pluridisciplinaire. 

Mariam Martirosyan, doctorante en troisième année à l’Institut Jean Lamour a accepté de nous présenter son environnement de travail et de nous dire en quoi des plateformes soutiennent une partie importante de ses activités de recherche.

Pouvez-vous nous présenter le sujet de votre thèse ?

Je travaille dans l’équipe SPIN du département Physique de la matière et des matériaux (P2M) à l’Institut Jean Lamour. Une partie des travaux de mon équipe porte sur le développement de systèmes électroniques à faible consommation d’énergie. En effet, les données numériques mondiales générées chaque année se comptent désormais en zettaoctets, soit des trillions de milliards de bytes, ce qui équivaut à écrire des centaines de millions de livres chaque seconde. Cette quantité de données générées ne cesse de croître en raison des développements technologiques de l'internet des objets, de la conduite autonome, de l'intelligence artificielle, etc. De nouvelles technologies numériques plus frugales sont nécessaires pour capter, transmettre, traiter, stocker ces données. Cela passe en particulier par la création de nouveaux matériaux artificiels dont on peut maitriser les propriétés à l’échelle les plus petites possibles (nanométrique) et à temps les plus courts possibles (si possible femtoseconde).

Dans le cadre de ma thèse, mon travail de recherche se concentre sur les films minces d’oxydes de métaux de transition de structure pérovskite (ABO3). L’idée est de manipuler leurs propriétés magnétiques à l’aide d’un champ électrique, un domaine prometteur pour l’électronique de spin. Pour mener à bien mes recherches, j’ai besoin de nombreux équipements scientifiques que mon équipe de recherche à elle seule ne pourrait posséder. Je les trouve dans les centres de compétences (CC) de l’Institut Jean Lamour. Ils me permettent en particulier de préparer mes nouveaux matériaux artificiels et de réaliser des analyses détaillées pour en comprendre les propriétés physiques, chimiques et électroniques.

Comment utilisez-vous ces plateformes au quotidien ?

Tout commence au CC Daum, où j’utilise un tube ultra-vide pour réaliser la croissance de mes films minces à l’aide de la technique de l’ablation laser pulsée (PLD). Cette méthode consiste à focaliser un puissant laser sur une cible du matériau que je souhaite déposer, créant un plasma qui se dépose ensuite sur un substrat (une petite plaquette de quelques centimètres de large et de moins d’un millimètre d’épaisseur, par exemple en silicium ou en saphir). Cela me permet d’obtenir des films minces (de quelques atomes d’épaisseurs à quelques milliers d’atomes d’épaisseur) de très haute qualité cristalline, essentiels pour la suite de mes travaux. Une fois la croissance terminée, je transporte mes échantillons dans le tube ultra-vide pour les mener vers une première technique de caractérisation : la spectroscopie de photoélectrons X (XPS). Cette technique me permet de vérifier la composition chimique des matériaux et m'assurer que ce que j'ai déposé correspond aux éléments attendus. Le tube ultra-vide est essentiel ici pour éviter toute contamination par l’oxygène, l’azote ou l’hydrogène de l’air.

Je m’intéresse également aux déformations cristallines dues à la croissance sous forme de films minces, car elles peuvent avoir un impact important sur les propriétés finales des matériaux. Pour cela, je me rends au CC Xgamma, où j’utilise la diffraction des rayons X (DRX) pour analyser la structure cristalline de mes échantillons. Une fois la structure bien comprise, je poursuis avec l’étude de la microstructure des matériaux. Le CC Microscopies, Microsondes et Métallographie (CC 3M) me permet d’utiliser un microscope électronique en transmission de dernière génération (MET), qui me donne une image à l’échelle atomique de l’organisation cristalline des matériaux. Cela est particulièrement utile pour observer de manière plus fine les défauts ou les déplacements atomiques qui auront un impact fort sur les propriétés des matériaux. Ces deux étapes me permettront de corréler plus tard les propriétés électroniques et magnétiques avec l’organisation ou les défauts du cristal.

Une fois la composition chimique et la structure cristalline bien établies, selon mon plan d’expérience et les modèles théoriques que je cherche à tester, je dois caractériser à la fois les propriétés magnétiques et électriques de mes films minces pour vérifier les prédictions théoriques et confirmer leur utilité technologique.  Pour mesurer les propriétés magnétiques, je me rends au CC Magnétisme et Cryogénie, où j’utilise un magnétomètre SQUID VSM. Cet appareil de pointe me permet d’effectuer des mesures à très basse température (jusqu’à 2 Kelvin) et dans des champs magnétiques allant jusque 14 Tesla, des conditions idéales pour observer certaines transitions magnétiques qui se produisent dans mes films minces.

Pour les propriétés électriques, je dois d’abord structurer (graver) mes films pour créer des motifs micrométriques dans mon cas. Cela se fait dans les salles blanches du CC MiNaLoR où, comme dans la micro-électronique conventionnelle pour les puces de nos ordinateurs et téléphones, j’ai accès aux appareils de lithographie optique et électronique permettant de réaliser des micro-dispositifs électriques avec des pistes conductrices et des zones de contact. Une fois les micro-dispositifs créés, je mesure leur résistivité à l’aide d’un PPMS (Système de mesure des propriétés physiques) toujours au CC MagCryo. Cela me permet de tester mes échantillons sur une large gamme de températures et de champs magnétiques et de comparer les résultats à mes attentes théoriques.

Est-ce facile pour les doctorants d’accéder à ces plateformes ?

Je ne peux parler que de mon expérience personnelle et de celle des doctorants que je côtoie. Dans notre cas, l'accès aux équipements est relativement simple. Lorsqu'un besoin technique est identifié et que notre équipe de recherche ne dispose pas de l'équipement nécessaire, nous nous adressons à nos encadrants de thèse ou collègues qui connaissent généralement les plateformes offrant un tel accès. Nous avons aussi la possibilité d’utiliser le site web pluginlabs.univ-lorraine.fr, qui recense tous les équipements de recherche disponibles en Lorraine. Ensuite, après avoir échangé avec nos encadrants, il suffit de contacter le responsable de la plateforme pour définir précisément nos besoins. Selon les cas, une formation à l'utilisation de l'équipement peut être dispensée, ou bien un ingénieur peut se charger de la tâche. Par ailleurs, si j’ai besoin de données complémentaires indisponibles en Lorraine, je peux également utiliser des infrastructures nationales (synchrotrons ou neutroniques).

Dans mon expérience, l'accompagnement offert par les plateformes de l'Institut Jean Lamour, tout au long du processus de création de nouveaux matériaux artificiels, me garantit de travailler dans un environnement sécurisé et convivial, tout en respectant les bonnes pratiques de mesure et d’analyse. Cela me permet de m'assurer de la qualité de mes données finales et de répondre de manière fiable aux questions scientifiques posées par ma thèse. J'ai eu l'opportunité de me former à diverses techniques et même de valoriser ces compétences en enseignant à des étudiants en Master 2, lors de travaux pratiques co-financés par LUE-ORION.