Retour sur le Brunch « Lean management et les Hommes »

 
Publié le 4/04/2019 - Mis à jour le 4/05/2023

Retour sur le Brunch labellisé Lorraine Université d’Excellence en partenariat avec l’AIP Primeca de Lorraine (Atelier inter-établissement de productique et pôle de ressources informatiques pour la mécanique)

Muriel LOMBARD, directrice de l’AIP, a accueilli les participants en leur présentant les activités de ce site de l’université de Lorraine, orienté vers la formation initiale et continue en productique englobant conception et simulation de produits, industrialisation et fabrication, automatique et robotique manufacturière, gestion industrielle.

Accueillir au sein de l’AIP un Brunch sur le lean management a donc du sens : ce système d’organisation cherche à améliorer l’efficacité et les performances d’une entreprise en s’attaquant à ce qui n’a pas de valeur (comme les gaspillages), aux surcharges de travail non adaptées et à la réduction des irrégularités.

Le lean management a parfois mauvaise presse du fait d’une vision se réduisant à une amélioration de la productivité au détriment des conditions de travail. Aussi ce Brunch avait pour objet de montrer que l’Homme pouvait rester au centre du dispositif et qu’il y avait nécessité d’initier puis de pratiquer le lean management avec et pour le personnel de l’entreprise.

Pour ce faire, les invités à la table ronde montraient une palette de compétences complémentaires pour aborder cette thématique par une vision périphérique. Ainsi Barthélémy ZOZ, enseignant à l’ENSGSI, a amené ses compétences en management et en amélioration continue, Pascal MERTZ, responsable production d’Evobus France, a partagé son expérience industrielle et son appréciation du lean management sur le terrain. Pascale FRÉMIOT, responsable de la Trane Academy, a montré l’importance de l’accompagnement humain dans ces démarches. Emmanuelle FLORENCE, gérante de 7 Ergonomie, a apporté son regard d’ergonome dans la relation entre l’Homme et son milieu de travail. 

Enfin, Sébastien LIARTÉ, professeur de gestion à l’IAE et au Cerefige, a animé des débats de très grande qualité devant un public d’une quarantaine de personnes.

Un constat a rassemblé l’ensemble des intervenants : l’entreprise industrielle n’a plus rien à voir avec la vision passéiste qu’en ont certains. Les conditions de travail ont largement évolué avec une meilleure prise en compte de la pénibilité : on est loin aujourd’hui de Germinal et de ses clichés même si l’image de l’industrie est encore très négative auprès du grand public.

Un autre point d’accord a fédéré les intervenants : il n’y a pas d’incompatibilité entre productivité et bien-être dans l’industrie. Pascal MERTZ a en particulier souligné qu’une augmentation de la productivité n’était pas forcément synonyme de dégradation des conditions de travail. Il n’y a qu’en faisant adhérer le personnel à une démarche d’amélioration continue qu’on arrive à concilier performance et qualité de vie au travail.

Barthélémy ZOZ est persuadé que les enjeux à venir constitueront bien à redonner/maintenir du sens derrière le travail de toute entreprise manufacturière ou de service en lien avec les transitions actuelles : vers le numérique et le Big Data (Industrie 4.0), vers de nouveaux modes de fabrication (additive par exemple) et de distribution au proche du lieu et des besoins de consommation.

Pascale FRÉMIOT est parfaitement en phase avec cette idée et a souscrit au fait que le management à l’ancienne est dépassé, que chacun doit avoir son mot à dire pour permettre à l’entreprise de progresser en compétences et en performances.

Pascal MERTZ a estimé que l’investissement dans l’humain revêt une véritable importance dans une vision à long terme ; il a cité l’évolution de plus en plus forte de la prise en compte des conditions de travail dans l’organisation de l’entreprise. Après s’être préoccupée des troubles physiques, l’entreprise considère aujourd’hui avec beaucoup plus d’attention les risques psychologiques, sujet qui a longtemps été considéré comme tabou au sein du management.

Dans un même ordre d’idées, Emmanuelle FLORENCE a été confrontée de manière récurrente aux questions que posent les conséquences du lean sur les conditions de travail, la qualité et la santé au travail. L’ergonomie appuie ses analyses sur la prise en compte des déterminants des activités réelles de travail et se situe au carrefour entre santé et performance. Les contre-effets du lean, système standardisé, doivent réinterroger les modèles d’efficience des entreprises : comment revenir à la créativité locale ?

Pour elle, le lean ne constitue pas une innovation mais la possible répétition d’une approche taylorienne du travail avec tous les travers que cela peut amener. À titre d’exemples, elle cite : 

  • la recherche de suppression des temps dits « morts » car non producteurs de valeur ajoutée (au sens économique) peut aboutir à des aberrations organisationnelles et à des formes d’intensification ou de densification des activités de travail. Un temps « mort » peut être un temps « fort » et produire de la valeur symbolique et économique. 
  • la volonté de réduction des stocks à l’extrême, couplée à la logique du flux tendu peut générer des situations dysfonctionnelles et celles-ci ont des effets négatifs tant au plan du service rendu aux clients qu’au plan des risques santé et sécurité.

Pascale FRÉMIOT a évoqué, à ce sujet, les risques que la recherche perpétuelle de productivité peut amener : stress, anxiété conduisant à des erreurs ou oublis préjudiciables à la qualité de service. Barthélémy ZOZ cite l’exemple des hôpitaux pour cerner les limites du lean management : une approche lean doit permettre de gagner du temps sur un certain nombre d’opérations techniques non pas pour limiter le temps de présence auprès des patients mais pour, bien au contraire, mieux accompagner le patient face à ses doutes et interrogations.

Pour conclure, les intervenants se sont accordés sur le fait que le lean est une méthode efficace de rationalisation d’actes productifs mais que sans vision humaniste, cette méthode, comme toute autre, ne peut créer de réelle valeur à l’entreprise.  Emmanuelle FLORENCE a ouvert la voie à d’autres pistes, d’autres schémas de « pensées » en se centrant davantage sur des interventions capacitances et dans le principe des « discussions sur le travail », en plaçant le travail au cœur des interventions de tiers. Comment le travail singulier, porteur et producteur de valeurs peut-il être abordé et régulé à différents niveaux dans les organisations tout en préservant des marges de manœuvre aux différents acteurs qui les structurent ? Comment amener les entreprises à s’appuyer sur la complexité générée plutôt qu’à vouloir la supprimer ?

Pour tout renseignement complémentaire ou recevoir le calendrier des prochains Brunchs, envoyez un e-mail à l'adresse suivante : lebrunch-contact@univ-lorraine.fr

Article rédigé par Michel FICK, vice-président de l'Université de Lorraine en charge des partenariats socio-économiques et du développement territorial.

Dessins réalisés par Catherine CRÉHANGE, illustratrice de propos et photos prises par Morgane STEFAN, Assistante Brunch