Lundi 28 janvier 2019, il est midi, l’amphithéâtre Botté est rempli d’étudiants, d’enseignants et de personnels administratifs de l’IUT Nancy-Charlemagne venus participer à cette rencontre privilégiée. Olivier Huguenot, libraire et PAST au département information-communication et Louise, étudiante en métiers du livre, accueillent Nicolas Mathieu, 40 ans, originaire des Vosges, auteur de Leurs enfants après eux (éd Actes Sud, 2018), son second roman, prix Goncourt 2018.
Un parrain prix Goncourt
En introduction, une courte vidéo présentant des étudiants qui décrivent le roman en 3 mots : insolent, adolescence, initiation, libre, surprenant, singulière, écrire la France périphérique… Le ton est donné pour un échange décontracté d’une heure et demie, de questions-réponses avec l’auditoire. Nicolas Mathieu est le parrain de la promotion 2017-2019 des étudiants en DUT Métiers du livre à l’IUT Nancy-Charlemagne. « Vous m’avez beaucoup remercié d’être là mais c’est moi qui vous remercie parce que mine de rien, je vais rencontrer les gens qui vont vendre mon 3ème bouquin ! ».
Vous êtes le parrain des étudiants présents, quelle serait pour vous la meilleure définition du terme parrain ? Nicolas Mathieu espère être quelqu’un qui accompagne et pour qui on aura un peu d’affection, à défaut de sa définition préférée du parrain, celle de Coppola ;)
Les libraires font le pont entre ceux qui écrivent et ceux qui lisent
S’adressant aux étudiants, futurs libraires, et de ce que les libraires font à la littérature : « la cheville ouvrière du livre, c’est vous les libraires, qui serez les passeurs des œuvres, nous on balance les bouteilles à la mer, on ne sait pas si elles arriveront à destination, la presse c’est bien, le bouche-à-oreille aussi mais c’est les libraires qui font le pont entre ceux qui écrivent et ceux qui lisent ».
La discussion s’oriente sur la librairie comme lieu de vie, la qualité des librairies indépendantes : « Celles qui fonctionnent sont celles qui ont des libraires qui lisent à fond, qui prescrivent beaucoup et qui créent un écosystème autour de la librairie, une petite communauté de gens qui viennent toutes les semaines ». « Le job du libraire, c’est donner à ses lecteurs ce qui lui fera plaisir, c’est réussir à mettre en avant des coups de cœur, ça pose la question de la prescription culturelle ; il y a eu 600 romans à la rentrée littéraire en 2018, l’écrémage est brutal, moi je m’en suis sorti on ne sait pas trop comment, il faut de la chance, la qualité du livre ne suffit pas ».
En dernière analyse, c’est toujours le lecteur qui a raison
Quel est votre état d’esprit après ces semaines de promo, de tournées des médias et librairies ? « Un peu saoulé ! Au début c’est important pour le livre. Et pour l’auteur car ça permet de mettre le curseur sur le sens du livre. Quand on écrit un livre, on n’a pas épuisé tout son sens. C’est dans les discussions avec les lecteurs que l’on continue à donner le sens du livre, c’est agréable. Et ensuite, c’est toujours les mêmes 15 questions qui reviennent, on se sent de plus en plus en confiance, on fait un numéro. Et puis à un moment on se sent vide, c’est comme une hémorragie, on donne à fond perdu, on n’a plus le temps de lire, d’écrire et toute la journée on répète la même chose. A un moment, il faut arrêter, rentrer chez soi et travailler mais la promo est un passage obligatoire ». « Et en dernière analyse, c’est toujours le lecteur qui a raison, investi de ses propres suppositions, ses propres désirs. Jamais on ne peut dire à un lecteur, vous êtes à côté de la plaque. On a l’effet retour de la lecture avec tout ce qu’il y a de réjouissant ou de pénible. Ça fait quelques mois que je tourne et on me dit souvent, tout de même, c’est pas très très gai votre livre ! Au bout d’un moment ça pèse ! ».
Nicolas Mathieu évoque le passage singulier du Goncourt des lycéens, en amont du Goncourt, entouré d’écrivains célèbres et face un lectorat sévère de jeunes, sans filtres, et très cash. Un moment vécu comme une épreuve pour Nicolas Mathieu, qui cite l’exemple une lycéenne dans un amphi bondé qui lui demande pourquoi il avait choisi la vulgarité pour traiter du sexe ? A ce moment-là, nous dit-il, on sent qu’il va falloir sortir les rames, que ça va être chaud !
C’est la 1ère fois que je vois un Goncourt, je peux vous toucher ?
Est-ce que vous vous attendiez à ce succès ? « Au départ je pensais avoir fait un polar qui se vendrait à 10 000 exemplaires, j’y allais tranquille. Je ne m’attendais pas du tout au Goncourt, tout le monde me disait, c’est cramé pour toi, tu n’as aucune chance ! Et puis après le prix, j’ai vu la différence. Avant je faisais des librairies, on était 5 dont 2 lorrains (rires). Après je me suis retrouvé dans des librairies archi-blindées. Lors d’une rencontre, une dame âgée m’a dit, c’est la première fois que je vois un Goncourt, je peux vous toucher ? Oui, faites-vous plaisir !».
Camille, étudiante, lit un passage de Aux animaux la guerre (éd Actes Sud, 2014), son 1er roman, déjà adapté pour la télévision.
Nicolas Mathieu parle ensuite du genre littéraire qu’il a choisi : « la littérature était pour moi quelque chose d’impressionnant, comment oser écrire ? Le roman noir, le roman populaire par excellence, le roman de gare, accessible avec ses codes, il suffit d’une intrigue, d’un flingue, d’une fille, et ça permet d’accrocher le lecteur pour ensuite s’intéresser à autre chose, parler d’un état de la société, des moeurs sociaux. Faire du style sans en avoir l’air, pour ne pas mettre de barrière avec le lecteur. Faire un roman populaire sur le peuple, accessible aux gens de qui je parlais ».
On fait rentrer dans l’histoire
Sur son écriture : « Parler de ce que je connais, partir d’un postulat réaliste pour le lecteur, être très précis dans la description, en faisant ainsi on génère des affects, par le rythme, le phrasé, on produit des sensations, on croit aux personnages et on fait rentrer dans l’histoire ». « Il faut avoir une ambition romanesque pour faire des portraits de la société. Ce qui se passe aujourd’hui, le fonctionnement du monde n’a pas été décrit tant que ça. Les Balzac et Flaubert de la start-up nation, ils ne sont pas arrivés encore, le boulot reste à faire ! ».
Un contexte lorrain pour un prochain roman ? Pas forcément. Mais il sera question du monde du travail.
Est-ce qu’il a été difficile d’écrire ce deuxième roman ? « Oui j’ai eu un mal fou entre le 1er et le 2ème. Le 1er avait été bien reçu, bonne presse, prix littéraires… on a petit un capital sympathie. J’ai donc envoyé les 150 premières pages à ma mère, ce qu’il ne faut jamais faire ! «alors ? » «moi tu sais les livres d’intello, c’est pas mon truc… » « tu t’es ennuyée ? » « un petit peu oui ». Puis le retour de mon éditeur « c’est très bon, ne te poses pas de question, creuses ton sillon ». Je n’écris pas dans la jouissance, le premier jet est douloureux, on arrache de la matière au vide. Ma méthode, c’est 1 000 mots par jour pour écrire 3 pages en 7 heures. Et puis on avance, on est rassuré et la journée de boulot se fait en 4 heures. On retrouve les sensations, c’est aussi ça l’écriture ».
Faire un roman sur l’ennui qui n’est pas chiant
Leurs enfants après eux, est décrit comme un roman qui contourne les codes mais où les ressorts dramaturgiques sont présents. On se demande toujours ce qui va arriver aux personnages. Pour Nicolas Mathieu, c’était faire un roman sur l’ennui qui n’est pas chiant. Il fallait trouver une méthode pour ça, et c’était la dramaturgie. « Je n’arrive pas à concevoir abstraitement un livre. Je pars sur un personnage, ce qu’il est, ce qu’il veut, et je réécris l’histoire. Le premier jet est pénible mais la réécriture produit des sensations ! Tout au long du roman, j’ai voulu un grand clash qui n’est jamais venu, car on suit les personnages dans l’écriture et au fur et à mesure on se rend compte que ce clash n’avait pas lieu d’être ».
Un extrait du roman est à nouveau lu par une autre Camille, elle aussi étudiante.
Comment vous situez-vous dans le monde littéraire ? « Ni intello, ni intello engagé. Mais comme un romancier qui fait des livres politiques. Les romanciers ont une mission de mystification, faire tomber les mensonges que la société se renvoie à elle-même, les idées fausses… Comment le romancier derrière tout ce voile essaye de décrire les rouages sociaux, comment ça marche, les rapports de forces, de genres... Raconter des histoires, c’est aussi de la politique ».
Quelle est votre position par rapport à l’actualité ?« Les gilets jaunes au début ont été traité comme une masse informe. Qu’est-ce que peut la fiction pour rendre des visages a des gens qui n’en n’ont plus ? La littérature peut donner des visages a des statistiques. Une des armes de la fiction, c’est l’empathie, au lieu de produire du jugement, qu’est-ce que je ferai à leur place ? C’est le travail du romancier, c’est l’inverse des débats TV. Je prends parti mais je ne veux pas écrire de tribunes, devenir un expert sur les plateaux TV, il faut que ça passe par la littérature sinon ça fait pshitt… c’est ça mon point d’entrée ».
J’ai ce fantasme que la littérature puisse allumer des mèches comme ça dans les têtes
Est-ce que vous pensez que la littérature peut changer les mentalités, des écrits peuvent toucher au point de changer une personne ? « Oui, on a tous des moments de lecture qui nous parlent intimement. C’est émancipateur, c’est un profond soulagement que quelqu’un mette des mots à notre place sur des ressentis. Ça change des vies. Le livre a fait ce travail sur moi. J’ai ce fantasme que la littérature puisse allumer des mèches comme ça dans les têtes. Il suffit de quelques-uns et c’est plié ».
Les auteurs qui vous ont donné envie d’écrire ? Flaubert, Annie Ernaux. Et Céline, je n’en suis jamais revenu ! Regarder le réel en face dans ce qu’il a plus noir et assumer tel quel et, avec du style, en faire quelque chose de jouissif quand même. Et puis, Eric Vuillard, Marion Brunet, Michel Houellebecq… ».
Quel est votre regard sur le numérique, comment vous voyez cette nouvelle façon de lire ?Tant qu’on lit, c’est bien. Mais le nombre de lecteurs diminue. Le numérique prend modérément. Il y a des substituts à la lecture, c’est ça le vrai problème. Mais les gens restent attachés à l’objet livre. Je suis un fétichiste du livre, je ne prête pas mes livres. Et une bibliothèque avec un iPad, ce n’est quand même pas grand-chose ! ».
Des applaudissements nourris avant de conclure cette belle rencontre par une séance de dédicaces.
(Texte et crédits photo : service Communication IUT Nancy-Charlemagne)