Un an après, Rémi Malingrëy a porté un regard graphique et personnel sur cet article de Yves Petit, professeur de droit public à l'Institut de recherche sur l'évolution de la nation et de l'Etat (IRENEE).
La COP 21 (Conference of the Parties ou Conférence des Parties) s'était achevée le 12 décembre 2015 dans la liesse avec l'adoption de l'accord de Paris sur le climat. La COP 22, qui s'est déroulée du 7 au 18 novembre 2016 à Marrakech et dont l'objectif principal était de préciser sur plusieurs points l'accord de Paris, s'est au contraire achevée dans une ambiance plutôt morose. Elle n'est parvenue qu'à adopter ce qu'il convient d'appeler une feuille de route climatique plutôt floue pour la planète Terre, avec un rendez-vous en 2018, année où le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) doit établir son rapport sur les conséquences d'une augmentation des températures supérieures à 1,5° C. C'est par conséquent la COP 24 qui devrait adopter un paquet de décisions mettant en musique l'accord de Paris, alors que l'urgence climatique est une évidence.
La COP 22 se présentait pourtant sous les meilleurs auspices, puisque l'accord de Paris était entré en vigueur dans un délai très court pour un traité international aussi complexe, soit le 4 novembre 2016, quelques jours seulement avant que la COP 22 ne débute. C'était sans compter sur le vainqueur de l'élection présidentielle américaine, Donald Trump, qui avait tenu des propos clairement climato-sceptiques durant la campagne électorale.
Eu égard à la composition de l'Administration Trump, qui entrera en fonction en janvier 2017, certaines inquiétudes sont légitimes quant à l'engagement des États-Unis en faveur de la préservation du climat. Il semble bien que la nouvelle Administration ait pris le parti de refuser de regarder la réalité en face et pratique la politique de l'autruche vis-à-vis du réchauffement du climat. Tant la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUC) que l'Accord de Paris contiennent une clause de dénonciation permettant aux États-Unis de se “retirer” de la lutte contre le changement climatique, et de lui porter par là-même un coup fatal. Nul ne sait pour l'instant s'ils y recourront, mais une épée de Damoclès menace le devenir de l'accord de Paris !
Sans exagération, il est juste d’affirmer que l’accord de Paris – qualifié de manière quasi unanime d’« historique » – a été conclu dans la liesse et beaucoup d’émotion. Pour le président François Hollande, il constitue « le premier accord universel de l’histoire des changements climatiques » ; pour Laurent Fabius, qui a assuré la présidence de la COP21, il s’agit d’« un accord différencié, juste, durable, équilibré et juridiquement contraignant, qui reconnaît les principes de justice climatique, de responsabilités et capacités différenciées ».
Après de multiples compromis permettant de rallier l’ensemble des Parties (les pays signataires), l’accord de Paris a sans doute perdu en consistance juridique, mais il est assurément le meilleur possible.
Depuis la création du groupe de travail spécial de la plate-forme de Durban pour une action renforcée, un processus a été lancé pour élaborer dans le cadre de la CCNUCC de 1992 « un protocole, un autre instrument juridique ou un texte convenu d’un commun accord ayant valeur juridique, applicable à toutes les Parties ». Sur la base de cette formule souple et relativement imprécise, la COP21 a adopté l’accord de Paris le 12 décembre 2015. Ce texte de 18 pages figure en annexe à une « décision de la COP » de 22 pages qui n’est, contrairement à l’accord, pas soumise à la ratification des Parties.
La structure retenue oblige à jongler entre la décision et le texte de l’accord, car ils se complètent et comportent tous deux des dispositions sur les mêmes questions. À titre d’illustration, l’article 9 de l’accord est relatif aux ressources financières et les paragraphes 53 à 65 de la décision sont regroupés sous le titre « Financement ».
En rien du « droit mou »
Contrairement à ce que l’on a pu lire, l’accord de Paris n’est pas un accord historique fondé sur un « droit mou », car ce texte et la décision de la COP, qui lui sert en quelque sorte de support, sont d’égale importance et contiennent tous deux à la fois des éléments contraignants et d’autres qui le sont moins.
Il n’est pas contestable que l’accord de Paris soit un traité multilatéral, tout comme le protocole de Kyoto, et qu’il deviendra juridiquement obligatoire pour les États qui auront décidé de le ratifier. Après son entrée en vigueur, comme n’importe quel traité, il devra être exécuté de bonne foi par les États-Parties, ainsi que le prévoit la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (article 26 « Pacte sunt servanda »).
Si certaines dispositions de la décision de la COP et de l’accord de Paris entrent dans la catégorie du « droit mou », emblématique du droit international de l’environnement, l’accord de Paris est contraignant à de nombreux égards, et ce en dépit de l’absence d’un mécanisme coercitif ou de sanction. En droit international, en effet, la contrainte ne va pas systématiquement de pair avec ce genre de dispositions, afin de s’assurer que les États respectent leur engagements.
La nouveauté de la « dénonciation »
Par rapport au protocole de Kyoto, l’accord de Paris innove : non seulement il comporte, comme c’est la règle, un article sur son entrée en vigueur, mais également un article sur sa dénonciation.
L’article 21 de l’accord de Paris retient les mêmes pourcentages que le protocole de Kyoto : à partir du 22 avril 2016, 55 Parties à la CCNUCC représentant « au total au moins un pourcentage estimé à 55 % du total des émissions mondiales de gaz à effet de serre » devront avoir déposé leurs instruments de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion, l’accord entrant en vigueur trente jours après ce dépôt. Un tableau précise le « poids climatique » de chaque Partie dans cette ratification : la Chine compte pour 20,09 %, les États-Unis pour 17,89 %, l’Union européenne pour 12,10 %, la Russie pour 7,53 %, l’Inde pour 4,10 %, et ainsi de suite. Par comparaison avec celui qui a servi à la ratification du protocole de Kyoto, les États-Unis comptaient alors pour 36,1 % des émissions.
Malgré leur poids qui est en diminution, tout a été fait pour s’assurer de leur ratification. Les contributions nationales (CPDN), qui forment dorénavant l’ossature du dispositif climatique, sont seulement consignées dans un registre public qui sera tenu par le Secrétariat de la CCNUCC (article 4-12), ce qui ne leur confère pas un caractère obligatoire, les États-Unis ne souhaitant pas lier leur CPDN à un engagement juridiquement contraignant.
Le financement plancher de 100 milliards d’euros se trouve ainsi dans la décision de la COP, et non dans l’accord, afin d’éviter une ratification devant le Congrès des États-Unis, où les climatosceptiques dominent. Le désormais célèbre épisode relatif au remplacement du mot « shall » (doit), qui est synonyme de juridiquement contraignant, par « should » (devrait, qui n’est donc plus contraignant) à l’article 4-4 de l’accord s’explique également par l’enjeu lié à la ratification américaine. Cet article ne devait pas créer une nouvelle obligation juridique internationale pour les États-Unis ; il est destiné à permettre au président Obama d’opter pour la voie d’un executive agreement et d’éviter ainsi l’obstacle du Sénat. Il en effet fort probable que si les États-Unis ne ratifient pas l’accord de Paris, la Chine fasse de même !
Semblant en quelque sorte tirer les enseignements de l’échec du protocole de Kyoto et du « retrait » du Canada et du Japon, l’article 28 de l’accord de Paris introduit une clause de dénonciation, celle-ci pouvant intervenir « à l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date d’entrée en vigueur du présent accord », donc en principe à partir de 2023. Un État-Partie qui le désire pourra donc se délier de ses engagements et se retirer de l’accord de Paris, ce qui évitera les errements rencontrés par le protocole de Kyoto. L’accord de Paris pourrait ainsi perdre son caractère universel.
Réviser pour mieux contraindre ?
186 Parties à la CCNUCC ont déposé des contributions nationales qui, au total, représentent 98 % des émissions mondiales de GES, ce qui constitue indiscutablement un succès, mais dessine toutefois une trajectoire de réchauffement de 3 °C, voire davantage. Une première difficulté découle par conséquent du fait qu’elles sont largement insuffisantes pour respecter le seuil de 2° C – encore moins l’objectif de 1,5 °C – ce que reconnaît le paragraphe 17 de la décision de la COP, selon lequel « des efforts de réduction des émissions beaucoup plus importants que ceux associés aux CPDN seront nécessaires ».
Une seconde provient de leur « positionnement », car elles n’ont trouvé de vraie place ni dans la décision ni dans l’accord, en dépit des dispositions qui leur sont consacrées (décision, points 12-21 et accord, articles 3 et 4), mais simplement dans un registre extérieur. Malgré leur portée décisive, elles n’ont donc pas à première vue une valeur contraignante.
Afin de remédier à cette absence de portée contraignante des CPDN, une clause de rendez-vous ou de révision quinquennale a été prévue au paragraphe 9 de l’article 4 de l’accord. Le paragraphe 3 du même article précise fort à propos que « la CPDN suivante de chaque Partie représentera une progression par rapport à la CPDN antérieure et correspondra à son niveau d’ambition le plus élevé possible ». Les CPDN devront donc être revue systématiquement à la hausse, ce qui équivaut à leur redonner un potentiel contraignant, d’autant plus qu’un bilan collectif des progrès devra être réalisé en 2018, grâce à l’organisation d’un dialogue de facilitation entre les Parties.
Ce principe d’une revue tous les cinq ans des progrès accomplis en vue d’atteindre les objectifs à long terme retenus avait fait l’objet d’un accord entre la France et la Chine dans la déclaration présidentielle commune sur le changement climatique signée le 2 novembre 2015.
Cette solution tout de même un peu baroque, laissant les CPDN en orbite si l’on peut dire, évite de mettre le président Barack Obama en difficulté devant le Congrès. Leur caractère non contraignant s’explique donc, mais il est compensé par le fait que le cadre de transparence de l’article 13, et la procédure de non-respect de l’article 15, destinés à garantir la crédibilité des efforts des Parties, sont en revanche contraignants.
Un sentiment mitigé demeure cependant, car la première révision n’a vocation à intervenir qu’en 2025, puisque l’accord est censé entrer en vigueur en 2020. De plus, selon Jean Tirole, le mécanisme quinquennal de révision des ambitions « ignore ce que les économistes appellent l’effet de cliquet », ce qui n’assure pas forcément une révision à la hausse des ambitions, car on a tendance à demander « toujours plus au bon élève ». L’UE, rejointe notamment par les États-Unis et le Brésil, qui a joué un rôle de pionnier dans la mise sur pied de la coalition pour une ambition élevée, semble bien consciente de ce risque.
Ni intrusion, ni judiciarisation
Dans le but de garantir le respect d’engagements permettant la gestion d’intérêts communs à l’ensemble des Parties, les rédacteurs du protocole de Kyoto, ayant pour modèle le protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone, ont prévu un mécanisme d’observance. Ce genre de mécanisme, que l’on considère comme un substitut à l’application des principes de la responsabilité internationale que les États ne souhaitent pas mettre en œuvre dans le domaine de l’environnement, est appréhendé comme un remède au mal chronique dont souffre le droit international de l’environnement, à savoir son absence d’effectivité. La procédure hybride prévue, oscillant entre incitations et sanctions, n’a pas été mise en œuvre, ce qui n’est pas sans répercussions dans l’accord de Paris.
L’accord de Paris n’a, en effet, pas retenu un système d’observance, mais un système MRV (Monitoring, reporting and verification _ou measurable, reportable and verifiable)_ applicable à l’ensemble des Parties. D’une part, le cadre de transparence comprend une obligation d’inventaire des émissions anthropiques par les sources et des absorptions anthropiques par les puits de GES, ainsi que « les informations nécessaires au suivi des progrès accomplis » (accord, art. 13-7).
D’autre part, un examen technique par les experts permettra de mettre « en évidence les domaines se prêtant à des améliorations chez la Partie concernée », ce qui aura pour effet de l’obliger à respecter l’accord de Paris et renforce la contrainte à son égard (accord, art. 13-12). Il contient également une procédure de non-respect à l’article 15, qui doit faciliter sa mise en œuvre et promouvoir son respect. Cet article prévoit la constitution d’un comité d’experts dont le travail sera axé uniquement sur la facilitation (et non plus sur la facilitation et l’exécution comme prévu par le protocole de Kyoto). Il fonctionnera « d’une manière qui est transparente, non accusatoire et non punitive » et en tenant compte de la situation et des capacités respectives des États parties.
Comme le président de la COP21 l’a répété à de nombreuses reprises, l’enjeu de la transparence et de la procédure de l’article 15 est d’établir confiance et dialogue entre des Parties, qui ont des intérêts fort divergents. Sachant que la transparence permet de mettre en jeu la réputation d’un État, il n’est aucunement question dans le domaine de l’environnement d’opter pour des procédures et des mesures de vérification intrusives, comme en matière d’armement, ou bien de s’engager sur la voie d’une judiciarisation avec condamnation des États défaillants, même si aux Pays-Bas un tribunal a ordonné à l’État de réduire ses émissions de GES. Le droit de l’environnement n’est pas encore prêt pour un tel aggiornamento ; les souverainetés étatiques restent sur leurs gardes !
Yves Petit, Professeur de droit public, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.