A l’occasion de la journée de la biodiversité du 22 mai, l’Université de Lorraine vous propose une semaine d’événement et de sensibilisation sur cette thématique. Rencontre avec Apolline Auclerc, enseignante-chercheuse sur l’écologie et la biologie des sols au Laboratoire sols et environnement (LSE).
Apolline Auclerc est maîtresse de conférences à l’ENSAIA depuis 11 ans, ou elle enseigne . Elle effectue ses recherches au Laboratoire sols et environnement (LSE) sur l’écologie et la biologie des sols avec un focus sur les invertébrés qui vivent en surface et dans les sols, comme les vers de terre, cloportes, mille-pattes, araignées, collemboles… Elle étudie leur diversité et leurs fonctions dans l’écosystème tout en tentant de comprendre l’impact des activités anthropiques (c.-à-d. humaines) sur ces organismes appartenant à la biodiversité dite ordinaire.
Quelles sont les recherches menées au LSE sur la biodiversité ?
Les recherches menées mêlent des approches de terrain et en laboratoire. Elles se focalisent sur les impacts des pressions anthropiques qui s’exercent sur les sols, principalement en milieux urbains et sur des friches industrielles, au national et à l’international.
Il s’agit d’étudier, par l’observation et le diagnostic, les caractéristiques biologiques et physico-chimiques de ces sols de milieux très anthropisés et de développer et tester des méthodes d’agronomie adaptées. De grands enjeux environnementaux sont concernés par nos recherches, comme l’approvisionnement en biomasses dans des milieux peu fertiles voir (multi)contaminés, ou encore la préservation de la biodiversité qui joue de nombreux rôles pour la santé des écosystèmes et de l’humain.
Une meilleure connaissance des relations entre la biodiversité et son environnement permet sa conservation mais aussi le développement de scénarii d’ingénierie écologique afin de restaurer des milieux dégradés ou de développer des systèmes plus durables en ville, par exemple les toits végétalisés, les sols construits, des solutions basées sur la nature ou l’agromine, qui consiste à cultiver des plantes capables d’accumuler les métaux contaminants les sols. Il s’agit d’optimiser les conditions de niches pour permettre un accueil durable de la biodiversité du sol et lui permettre de rendre des services à l’humain sur le long terme.
Finalement, les travaux appliqués du LSE concourent au développement d’outils pour la prise en compte des sols dans les stratégies d’aménagement, l’objectif étant de disposer de sols fonctionnels capables de rendre durablement des services écosystémiques.
Et vous, pourquoi vous être penchée sur les sols et la biodiversité ?
Passionnée par la nature depuis mon enfance passée dans une région rurale, le Limousin, j’ai suivi un parcours universitaire en écologie à l’Université Paris Sud (Saclay). J’ai découvert des sujets d’intérêts lors de mes études universitaires suite à deux échecs au concours d’entrée à l’école nationale vétérinaire. Lors d’un cours en licence 3, un enseignant - aujourd’hui collègue - a parlé d’un sujet qui intéressait peu mes camarades de promotion. Il s’agissait de la biodiversité des sols, biodiversité ordinaire, monde invisible et peu considéré car sous nos pieds. Mais pourquoi ce monde était-il si ignoré ? Ce sujet a très vite attisé ma curiosité, me menant à suivre des stages sur les invertébrés des sols au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris en Licence et Master. Au cours de mes stages universitaires, j’ai eu la chance de rencontrer un enseignant-chercheur qui m’a transmis sa passion dans le domaine de la recherche en écologie, avec une spécialisation originale sur l’étude des communautés de collemboles. C’est ainsi que j’ai acquis cette spécialisation sur l’étude de ces invertébrés de taille millimétrique à centimétrique vivant sur le sol et dans ses quelques premiers centimètres. J’ai également découvert le métier d’enseignant·e-chercheur·euse qui relie des temps de découverte scientifique et une grande part de transmission de connaissances auprès de jeunes en formation. J’ai perçu la richesse d’un métier qui permet d’appliquer en parallèle des valeurs humaines par la formation, et des valeurs liées à l’environnement par les projets de recherche menés. J’ai ainsi tenté de mettre toute l’énergie dont je disposais pour devenir enseignante-chercheuse en biologie et écologie des sols afin de pouvoir agir dans ce domaine. Il y a une dizaine d’années, ce choix de carrière était risqué car peu de financements et peu de postes étaient disponibles du fait d’aucune loi de protection sur les sols et d’un désintérêt général sur ces organismes trop petits et vus comme peu « importants », si la vision utilitariste de la nature par l’humain doit être considérée.
J’ai ensuite intégré un doctorat afin de continuer dans cette spécialisation tout en permettant d’élargir le spectre de mes connaissances sur l’écologie des invertébrés des sols. Mon sujet de doctorat, mené de 2008 à 2012 à Metz, portait sur l’étude de la macrofaune du sol – invertébrés de type annélides, insectes, myriapodes ou arachnides, etc., de taille supérieure à celle des collemboles - dans la forêt vosgienne soumise à des amendements utilisés pour contrer l’acidité des sols due principalement aux pluies acides.
Avant de devenir maîtresse de conférences, j’ai eu l’opportunité de réaliser un post-doctorat aux États-Unis pendant un peu plus d’un an jusqu’en août 2013 dans la station biologique de l’Université de Michigan afin d’étudier l’impact des feux de forêt sur les sols et leur biodiversité. En plus d’avoir la chance d’avoir connu une autre culture, cette expérience de vie au milieu de ses sites d’étude est fantastique pour une écologue passionnée.
Pensez-vous qu’aujourd’hui ce thème a suffisamment d’importance dans l’espace public ?
Si je fais un bilan de mes observations à travers les nombreuses expériences de vulgarisation scientifique que j’aime réaliser depuis 10 ans, je remarque que le « grand public » est de plus en plus ouvert à parler de sol et de vers de terre en ayant pris conscience de l’importance de les protéger. J’avoue encore recevoir des rires quand je parle du sujet de mes recherches, mais il y a une tendance à la baisse. Ces mots sont clairement plus présents dans les médias. Cependant, il apparait tout de même difficile d’agir au mieux pour chacun·e par manque de connaissances, de compétences ou encore de législation. L’objectif Zéro artificialisation nette (ZAN) de la loi Climat et résilience du 22 aout 2021 a tout de même permis le démarrage d’un éveil collectif sur ces sujets. D’un point de vue de la recherche, c’est l’Europe qui a ouvert de nombreuses sources de financement pour aider à mieux prendre en compte les sols depuis quelques années. Néanmoins, le nombre de postes de chercheur·es ou enseignant·e-chercheur·es sur ce sujet ne s’accroit pas… Par exemple, on ne sait même pas s’il y a moins de vers de terre aujourd’hui qu’il y a dix ans, contrairement à d’autres groupes comme les oiseaux, les papillons etc.. Et savez-vous quel est le nombre moyen de cloportes dans un jardin ou dans un autre lieu ? Eh bien moi non-plus… Il semble que l’on mette encore beaucoup d’énergie et d’argent à connaitre la physiologie de l’ours blanc, par exemple, plutôt que d’agréger les connaissances sur un type de biodiversité pensé comme commune, mais peut-être déjà en voie d’extinction ?
Le développement des outils de sciences participatives comme celui que j’ai créé en 2017, Jardibiodiv ou le programme QUBS que j’ai co-créé en 2022 , ainsi que le fait d’avoir cofondé l’entreprise Sol &co en 2019 permet l’accompagnement du plus grand nombre de personnes dans cette volonté de conservation en agrégeant les connaissances tout en éveillant les consciences.
Un conseil pour limiter son impact sur la biodiversité à un niveau individuel ?
Ce que je partage souvent à ce sujet, c’est l’importance de prendre en compte les besoins de la biodiversité du sol. En effet, si l’humain souhaite qu’elle lui rende des services, il est dans un premier temps important d’apprendre à la connaitre. Par exemple : que mange telle espèce de ver de terre que j’ai la chance de rencontrer dans mon jardin et qui aide à l’infiltration de l’eau ? D’après moi c’est à l’humain de créer les conditions nécessaires à la survie de la biodiversité s’il souhaite profiter des bienfaits qu’elle peut fournir, comme des abris ou de la nourriture adaptées, en se renseignant auprès des bonnes ressources.
Il n’y a malheureusement pas qu’une seule menace sur la biodiversité du sol à ce jour, mais je pense que de proposer également de limiter l’utilisation de machines lourdes ou d’outils qui détruisent ou étouffent l’habitat sol de ces organismes, ou encore qui écrasent et découpent les individus, me semble un bon début.
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