[Regards croisés] Mieux connaitre les sols pour mieux gérer les friches

 
Publié le 15/03/2023 - Mis à jour le 17/10/2024
Friche industrielle – Uckange, 57 (crédit photo : F. Maunoury-Danger)

Dans le cadre du colloque international en sciences de l’écologie qui s’est tenu fin novembre à Metz, Factuel vous propose un focus sur le sol des friches et ses fonctionnalités à travers un entretien croisé entre Jean-François Nau, directeur général délégué à la R&D et l’innovation du groupe EODD, et Florence Maunoury-Danger, enseignante-chercheuse au LIEC (Laboratoire interdisciplinaire des environnements continentaux).

Qu’est ce qu’une friche ? Et notamment une friche industrielle ?

Jean-François Nau : Quand on pense friche, l’image première qui vient en tête est celle de la vieille usine désaffectée et polluée, de grande taille, associée au déclin de l’industrie lourde traditionnelle. C’est probablement la conception historique issue de la désindustrialisation de nombreux territoires en France.

Le terme de friche a actuellement une définition plus large et s’applique à tous les fonciers dégradés dont l’activité ou l’usage a cessé et qui n’ont pas été réhabilités : friches militaires, friches commerciales, friches hospitalières, terrils de stockage, anciennes stations-services, activités artisanales potentiellement polluantes, délaissés de route, bâtiments publics désaffectés, anciennes décharges et bien entendu les friches industrielles. Il s’agit donc d’un état transitoire du foncier entre deux usages.

Ce qui est important de comprendre lorsque l’on travaille sur une friche, c’est que cette dernière est le résultat de l’activité passée mais également des dynamiques naturelles qui ont eu lieu depuis la réduction de l’activité humaine : reconquête de la biodiversité, transfert des polluants… Il ne s’agit pas simplement d’une image fixée à la date de départ de la dernière activité.

Florence Maunoury-Danger : Sur une friche, on constate la plupart du temps, la recolonisation de l’espace par les organismes vivants, les plantes bien sûr, mais également la faune et les microorganismes. Ces communautés sont caractérisées par de nombreuses espèces qualifiées de pionnières, c’est-à-dire capables de se développer dans de nouveaux milieux souvent très contraignants. Les friches sont le plus souvent peu ou pas gérées par l’humain, ce qui les amènent parfois à abriter un nombre d’espèces équivalent voire supérieur à une forêt par exemple. Certaines friches peuvent même devenir des habitats pour des espèces menacées, comme le hibou grand-duc que l’on retrouve dans d’anciennes carrières ou le castor qui s’installe parfois dans d’anciennes gravières.

Quels services les sols nous rendent-ils ? Quelle est la valeur d’un sol ?

J.-F. N. : Le sol est très peu étudié dans le cadre des études urbaines et réglementaires. On s’intéresse généralement à la pollution des sols dans une logique de maitrise des risques sanitaires ; par contre la biodiversité des sols, l’analyse de ses différentes fonctions (stockage de l’eau, du carbone, valeur agronomique…) sont des champs entiers qui ne sont pas ou peu pris en compte. La vision du sol reste très partielle comme support du végétal, source éventuelle de pollution ou encore pour sa valeur foncière mais on ne l’imagine pas comme un écosystème complexe.

C’est pourquoi il est indispensable d’avoir des outils pour mieux définir la valeur d’un sol et mettre en place des outils d’aide à la décision à disposition des élus et acteurs de l’aménagement leur permettant de prendre des décisions éclairées dans leur projet de requalification des friches.

F. M.-D. : Le sol est un milieu complexe et très hétérogène. Il assure un grand nombre de fonctions (infiltration de l’eau, stockage de carbone, production primaire, régulation du cycle des nutriments, habitat de très nombreuses espèces…). Via ces fonctions, le sol rend aux humains un certain nombre de services écosystémiques, regroupés en quatre catégories : support (ex : réservoir de biodiversité), approvisionnement (ex : production de denrées alimentaires ou d’énergie), régulation (ex : stockage d’eau lors des crues) et culturels (ex : conservation d’informations archéologiques).

Or, de nombreuses activités humaines (agriculture intensive, déforestation, pollution, urbanisation…) entrainent la dégradation des sols (érosion, compaction, contamination, imperméabilisation…), mettant en péril le fonctionnement du sol et ainsi les services écosystémiques rendus à l’humain. Lorsque le sol est trop dégradé, une réhabilitation est possible, mais nécessite des investissements à long termes et coûteux, qui ne permettent en général pas de revenir à l’état d’origine.

Fonctions du sol

Les sols fournissent des services écosystémiques essentiels à la vie sur terre

Qu’est-ce que l’artificialisation des sols et l’objectif « ZAN » ?

F. M.-D. : L’artificialisation des sols est un état extrême de la dégradation des sols, lié à l’extension urbaine et à la construction de nouvelles infrastructures. Elle entraine la plupart du temps l’imperméabilisation partielle ou totale des sols et la perte partielle ou totale des fonctions qu’ils assurent. Le « Zéro artificialisation nette » (ZAN), mesure adoptée en août 2021, constitue un objectif à atteindre en 2050 et nécessite de réduire progressivement le rythme de l’artificialisation des sols, de 50 % d’ici 2030 par rapport à la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers mesurée entre 2011 et 2020.

J.-F. N. : Les textes de loi associés au ZAN ont intégré une notion importante de renaturation. En effet, à partir de 2050, il sera possible d’artificialiser des sols uniquement si en parallèle d’autres sites font l’objet de projet de renaturation. Mais qu’est-ce qu’un projet de renaturation ? Quelles sont les fonctions minimales du sol à restaurer pour considérer que le projet de renaturation est atteint ? A ce stade, les textes de loi sont muets sur la question.

Pourtant les porteurs de projet et les services de l’État devront bien se mettre d’accord sur les objectifs à atteindre en matière de renaturation et il faudra bien réaliser des suivis pour mesurer la pérennité des fonctions restaurées. La communauté scientifique a un rôle pour éclairer les débats et les enjeux en la matière.

Que faudrait-il mettre en place pour améliorer la gestion des sols ? 

J.-F. N. : Je pense que la majorité des acteurs de l’aménagement a compris qu’une meilleure compréhension des sols est indispensable et le ZAN vient cristalliser plus que jamais cette question.

Maintenant il nous faut des outils pragmatiques pour évaluer la « valeur » et les fonctions d’un sol dans le temps de réalisation d’un projet urbain. Ces outils doivent être adaptés techniquement et financièrement aux projets urbains pour être déployés de manière systématique lors des études de conception et de réalisation. Mais il ne faut pas oublier non plus leur dimension pédagogique pour qu’ils puissent être compris par des non sachants, notamment les élus décisionnaires finaux en matière d’urbanisme.

F. M.-D. : Évaluer l’état d’un sol ou de son fonctionnement, nécessite de prendre en compte toute sa complexité (structure complexe et hétérogène, nombreuses fonctions, grand nombre d’organismes vivants en interaction…). Afin de développer des outils fiables et robustes, les équipes de recherche sur le sujet ont besoin de moyens (humains et financiers) pour améliorer la compréhension des réponses des communautés et des sols aux dégradations et tester différents indicateurs permettant de rendre compte du niveau d’impact des sols par ces perturbations, mais également d’évaluer l’efficacité des mesures de réhabilitation.