Factuel est allé à la rencontre de Steven N. Dworkin, professeur émérite de l'Université du Michigan aux États-Unis, qui se verra remettre les insignes et titre de docteur honoris causa le 24 mars prochain à l'ATILF (Analyse et traitement informatique de la langue française).
Factuel : Quelles sont vos relations avec l'Université de Lorraine et en particulier l’ATILF ?
Steven N. Dworkin : Mes relations avec l'Université de Lorraine sont une conséquence de ma participation aux activités scientifiques de l'ATILF, un laboratoire de recherche en sciences du langage sous tutelle CNRS et Université de Lorraine. En 2012 Éva Buchi m'a invité à être coprésident de la section dédiée à l'étymologie romane au sein du Congrès international de linguistique et de philologie romanes qui allait se dérouler à Nancy au mois de juillet 2013. Au mois d'octobre 2012 j'ai participé à Nancy à une réunion des présidents de section organisée par Éva. Pendant cette visite elle m'a présenté le projet Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) et j'ai accepté son invitation à y participer comme rédacteur des articles. Elle a obtenu une petite bourse pour un stage à Nancy au mois de février 2013 et au cours de l'année académique 2013-14 une bourse de « Chercheur d'excellence » décernée par la Région Lorraine qui a soutenu une visite de 4 mois.
L'ATILF, qui abrite deux grands projets de dictionnaires étymologiques, le DERom et le Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW), est devenu un grand centre de recherche sur l'étymologie romane, surtout grâce à son centre de documentation, un véritable paradis pour les chercheurs et les chercheuses. En juillet 2014 j'ai prononcé une conférence plénière au sein de l'école d'été et actuellement je rédige et révise les articles. Au fil des années, j'ai effectué d'autres courts stages de recherche et j'ai régulièrement participé aux ateliers du DERom (avant les interruptions provoquées par la pandémie de Covid-19). En outre, j’ai eu plusieurs fois l’occasion d’intervenir en tant que professeur invité dans les cours de l'European Master in Lexicography (EMLex), un master Erasmus Mundus dans lequel l’UL est impliquée. Mon profil scientifique a profité de mon association avec l'ATILF et le DÉRom. Bien que je me sois formé en philologie romane, comme la plupart des romanistes qui font de la linguistique historique aux États-Unis, je suis devenu hispanisant. Mes recherches pour le DÉRom, un projet à échelle panromane, m'a ramené à mes racines intellectuelles.
Factuel : Que représente le titre de Docteur Honoris Causa de l'Université de Lorraine pour vous ?
Steven N. Dworkin : Le Doctorat Honoris Causa de l'Université de Lorraine est une source de gratification énorme et de satisfaction personnelle. C'était une surprise totalement inattendue quand Yan Greub, chercheur à l'ATILF, m'a appelé pour partager cette nouvelle avec moi. Le DHC représente la reconnaissance par une université prestigieuse de mes activités scientifiques au long d'une carrière qui a duré presque 50 ans. Je me réjouis que l'Université de Lorraine ait eu la bonté de reconnaître le travail d'un savant américain qui travaille dans un champ scientifique vénérable mais qui n'est plus à la mode. La situation actuelle de l'étymologie et mes propositions pour la renouveler et la revitaliser en la rapprochant de la linguistique générale diachronique forment le thème central du discours que je vais prononcer à la cérémonie de remise du DHC le 24 mars prochain.
Factuel : Quels sont vos projets de recherche et en particulier ceux que vous développez avec l’ATILF ?
Steven N. Dworkin : Bien que je sois à la retraite, je continue de poursuivre mes recherches sur des questions d'étymologie romane (et surtout hispanique). La rédaction des articles pour le DÉRom constitue une de mes activités plus importantes. Je continue pleinement d'étudier les causes et les conséquences linguistiques et non-linguistiques du changement lexical. Mes recherches se concentrent sur les causes internes et externes de la perte lexicale (surtout en espagnol) et le phénomène de la stabilité lexicale. Je cherche ainsi à déterminer s'il y a des champs sémantiques où la perte lexicale se produit assez souvent et s'il y a des champs sémantiques qui tendent à résister à des changements lexicaux. À une échelle panromane je continue à étudier les cas où un mot héréditaire du latin ne survit que dans une ou deux variétés romanes.