[Témoignage] Un tournesol pour rendre visible les handicaps invisibles

 
Publié le 11/02/2025 - Mis à jour le 27/02/2025
Vincent-Thomas Barrouillet portant un cordon tournesol

Vincent-Thomas Barrouillet, doctorant au laboratoire Atilf, est porteur d'un trouble autistique. Pour lui, le « cordon tournesol » est un fantastique outil d'information et de partage sur sa situation de handicap et celles de beaucoup d'autres personnes, porteuses d'un handicap invisible. Voici son témoignage.

Qu'est-ce que le "cordon tournesol" ?

Le « cordon tournesol », qu’on porte autour du cou, a pour vocation de rendre visible un handicap, de quelle que nature qu’il soit : psychique, cognitif, neurodéveloppemental, mais aussi physique. Pourquoi le symbole du tournesol ? Il n’y a pas vraiment de réponse claire à cette question, mais l’avantage de ces motifs jaune sur vert est d’être visible de loin sans que cela ne trahisse une pathologie ou une neurodivergence en particulier pour maintenir le secret médical. J’ai choisi de porter le « cordon tournesol » pour visibiliser mon handicap invisible. En effet, je suis porteur d’un trouble autistique qui entame massivement mon autonomie dans la vie de tous les jours, et je voudrais partager mon expérience.

Le « cordon tournesol » nous vient d’Angleterre. C’est récent et il reste encore peu connu en France. Cependant, dans les aéroports, les gares et les trains, ainsi que dans les supermarchés, le personnel est formé à reconnaitre le « cordon tournesol ». En ce qui me concerne, j’ai une hypersensibilité sensorielle, et les supermarchés sont des lieux très stressants. Avec le « cordon tournesol », je peux prendre la file prioritaire, et je vous promets que ce n’est pas un luxe. Autre exemple, dès que je suis dans un lieu que je ne connais pas, je perds mes moyens et je ne sais plus retrouver ma route. Récemment, je suis allé retirer de l’argent dans le distributeur de la gare de Nancy pourtant de taille modeste. Je n’y allais que pour la deuxième fois, et je me suis totalement perdu. J’ai vu un agent de la police ferroviaire qui a reconnu le « cordon tournesol », et m’a très aimablement orienté vers la sortie.

Mais cela va beaucoup plus loin, car le « cordon tournesol », en manifestant le handicap, me permet d’être moi-même, c’est-à-dire de « démasquer », comme on dit dans le jargon.

En quoi le « cordon tournesol » vous permet-il d’être vous-même ?

Dans toute la gamme des handicaps invisibles, il y a une tendance au « masking ». En voici une définition selon ma traduction du Wikipédia anglais : « En psychologie et en sociologie, le masquage, également appelé camouflage social, est un comportement défensif par lequel un individu dissimule sa personnalité ou son comportement naturel en réponse à la pression sociale, aux abus ou au harcèlement ». Pour aller plus loin, citons aussi Laura James : « Le camouflage autistique, c’est comme porter un masque chaque jour. Cela demande une énergie immense et crée une fracture entre ce que nous montrons au monde et ce que nous sommes vraiment ». Et Emily Lees de conclure : « Les adultes autistes qui masquent ont des taux élevés d’anxiété et de problèmes de santé mentale concomitants ».

La pression sociale, normalisante, pousse au « masking ». En jouant autant de pièces de théâtre que de situations d’interaction sociale, non seulement on s’épuise, mais encore « ça sonne faux », et pour cette raison, on passe pour des gens bizarres, marginaux, et la stigmatisation sociale n’en est que renforcée. C’est alors le cercle vicieux du « masking », plus on nous met à l’écart, plus on va tenter de se « camoufler », socialement, au prix d’une énergie psychique qu’on ne soupçonne pas. Une spirale se met en place aboutissant au rejet social, à l’isolement, la marginalisation, voire au suicide (une étude britannique de 2016 montre que les adultes autistes sans déficience intellectuelle meurent par suicide près de 10 fois plus que le reste de la population).

Mais le « cordon tournesol » est un moyen d’assumer mon handicap, et en faisant tomber les masques, je peux « marcher droit, avec mes travers ; marcher de travers, mais dans mes droits », comme dit une chanson bien connue… Le « cordon tournesol » me permet d’avoir des comportements soi-disant « inadaptés » qui ne vont plus être mal perçus. Pour la première fois de ma vie, j’assume d’être quelqu’un de gentil à la limite de la niaiserie, et j’ai arrêté de faire le dur, retrouvant en cela ma vraie personnalité.

Je milite donc pour Le « cordon tournesol » qui est encore peu connu.

Quel message souhaitez-vous transmettre aux personnes concernées et au grand public sur le « cordon tournesol » et le handicap invisible ?

Il faut le porter massivement pour faire le buzz, pour que ce symbole du handicap invisible passe les frontières de la zone d’embarquement des aéroports ! En effet, je suis intimement convaincu que le « cordon tournesol » est le meilleur moyen de progresser très nettement vers une société inclusive au regard des handicaps invisibles qui sont à la traine face aux handicaps visibles. Il faut pouvoir sensibiliser dès le plus jeune âge sur le handicap invisible, et le « cordon tournesol » le permet.

Quoi de plus logique ? Tant que nous masquerons notre handicap, nous serons poussés à la marge par ceux dont le comportement irresponsable ne fait qu’amplifier notre situation de handicap. En effet, il n’y a pas de handicap sans un environnement de nature à créer une situation de handicap. Mais le vent tourne, et avec le « cordon tournesol », nous avons l’opportunité de retrouver notre dignité en société.