Entretien avec Sylvie Camet, organisatrice du colloque "Femmes d'à côté. Soeurs, filles, épouses d'hommes célèbres"

 
Publié le 31/10/2014

Sylvie Camet, professeure de Littérature comparée à l'Université de Lorraine et chercheur au laboratoire LIS (Littératures, imaginaire, sociétés), organise un colloque internationale sur le thème : "Femmes d'à côté. Soeurs, filles, épouses d'hommes célèbres", les 6 et 7 novembre 2014 sur la campus Lettres et sciences humaines de Nancy - Bâtiment G, salle 004. Ce colloque est la première illustration sur la thématique des femmes, un des axes de recherche proposés par Elsa Chaarani au sein du LIS. A cette occasion, Factuel a posé trois questions à Sylvie Camet.

Pourquoi ce colloque ? quels enjeux ? Que cherchez-vous à démontrer ?

S.C. : Le colloque vise à réhabiliter les productions de femmes qui ont souvent travaillé dans l'ombre et auxquelles les histoires littéraires ou les études critiques n'accordent pas de vraie place. ​De fait, il y a de nombreux cas de soeurs ou d'épouses qui ont consacré leur vie à l'oeuvre de l'autre et sont ensuite définitivement oubliées : on pense notamment à Henriette Renan ou à Eugénie de Guérin. Mais plus encore, lorsque l'on commence à s'intéresser à ces figures cachées on découvre souvent avec surprise qu'elles sont elles-mêmes des auteures et ont laissé des oeuvres parfois vouées à l'oubli (Judith Gautier), ou exigeant du temps pour être reconnues (Christina Rossetti), traduisant un désarroi impossible à surmonter (Adèle Hugo). Enfin, l'incrédulité et la misogynie sont allées jusqu'à renverser les places : ainsi l'on a longtemps attribué à Georges de Scudéry des écrits composés par sa soeur Madeleine. Les communications proposées s'efforcent à une justice dont la société n'est guère capable. En faisant admettre que les femmes ne sont pas toujours si absentes qu'on l'a prétendu dans le passé, on a des chances de communiquer à celles qui cherchent la voie de leur expression aujourd'hui, la conviction que leur effort n'est pas définitivement solitaire.

Quel rôle féminin étudié vous intéresse le plus et pourquoi ?

S.C. : Comme beaucoup, je suis fascinée par l'exemple de Camille Claudel ; il n'y a pas de famille qui présente un frère et une soeur parvenus simultanément à ce degré ​d'exception dans l'art. Cependant, celle qui va ployer sous l'ampleur de la tâche et l'âpreté de la lutte, c'est Camille, même si Paul a prétendu que sans la religion son sort aurait été identique, que la maladie mentale l'aurait guetté tout autant. Il convient alors d'analyser tous les relais qui l'ont supporté lui et toutes les entraves qui l'ont confrontée elle à l'impossible de son avènement : déjà le métier de "sculptrice" n'existe pas.

Aujourd'hui, qu'est-ce que les femmes d'à côté vous inspirent ? Leur rôle auprès d'hommes célèbres a t-il évolué ?

S.C. : Les femmes sont conditionnées par leur éducation à accepter non seulement des rôles subalternes mais à trouver satisfaction sous la forme d'une cession altruiste : de la même manière qu'elles sont assistantes maternelles ou assistantes sociales elles ​assurent le secrétariat de l'écrivain ou se cantonnent au rôle de muse. Evidemment, les fonctions stéréotypées bougent et il y a de très nombreuses artistes aujourd'hui à prendre la parole pour elles-mêmes. Mais qu'on ouvre une anthologie ou qu'on recense les prix, brutalement on observe un décalage manifeste avec l'expérience qu'on peut faire dans une librairie ou dans une galerie : les femmes ont disparu. Hemingway écrit, mais Margaux est mannequin, Pablo Picasso peint mais Paloma vend des parfums : les filles peuvent accéder à une forme de reconnaissance publique qui ne signifie pas que l’on encourage leur capacité artistique mais que l’on exploite notamment leur paraître comme image satisfaisante du groupe, d’autre part, la ségrégation ne s’opère plus selon la dichotomie produire / ne pas produire, mais plutôt selon celle qui oppose sérieux / léger, réflexif / divertissant.

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