Jean-Noël Gentile (promotion ENSAIA 1994-1997) remporte le Prix Nobel de la Paix 2020, avec toute l'équipe du PAM, Programme Alimentaire Mondial des Nations-Unies).
Interview par Adrien Lacroix, Président de l’ANAENSAIA, l'association des anciens de l'école
Adrien Lacroix (ANAENSAIA) : Peux-tu présenter ton parcours, et ce qui t'a mené à intégrer le PAM ?
Jean-Noël Gentile (PAM) : Je suis issu de la Promo 1994-1997 de l’ENSAIA, spécialisation Marchés & Consommation. Des débuts professionnels en 1997-1998 dans le secteur marketing de multinationales de l’agro-chimie. Période aussi passionnante que déterminante pour me convaincre d’explorer d’autres opportunités professionnelles. D’abord dans le secteur bancaire qui était en recherche de différents profils de Grandes écoles dont des Agros à l’époque. Puis le Gouvernement français/MAE et le Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies (PAM) ont retenu ma candidature pour le programme compétitif des jeunes experts associés (Junior Professional Officer en anglais) en 1999. Au départ, ma candidature à ce programme était principalement motivée par le développement rural en Afrique. Avec mon profil très influencé par le secteur privé et la culture des résultats, le PAM plus que tout autre agence onusienne me correspondait bien, pour son côté très opérationnel, innovant et audacieux, et son double mandat visant à sauver des vies en situations d’urgence tout en contribuant à développer des solutions durables contre la faim, faisant du PAM la plus grande agence humanitaire au monde. Il y a une vingtaine d’années, la France finançait environ 80 jeunes experts par an toutes organisations internationales confondues ; elle n’en finance hélas plus qu’une vingtaine de nos jours, mais cela reste une voie royale pour intégrer ces organisations et y faire carrière. Ainsi, après deux années financées par le gouvernement français , j’ai été convaincu par le PAM et j’ai la chance d’y poursuivre ma carrière. Depuis j’ai gravi les échelons , et je suis toujours autant passionné par mon travail et mes missions au service des plus vulnérables.
En quoi consiste ta mission actuelle au PAM ?
Actuellement directeur-adjoint du PAM au Niger. Un pays magnifique où j’avais déjà été en poste plusieurs années jusqu’en 2005. Depuis la sécurité s’y est considérablement détériorée comme dans les autres pays du centre du Sahel. Cette zone , confrontée à une conjonction de chocs et vulnérabilités liés à la pauvreté chronique, une croissance démographique galopante, le changement climatique, la dégradation des sols mais aussi l’insécurité affectant la cohésion sociale et la stabilité, et maintenant l’impact socio-économique de la COVID-19, etc., atteint un point de rupture ! A ce titre, je coordonne la vision stratégique et la mise en œuvre opérationnelle du programme du PAM d’un budget d’environ 300 millions de dollars E.-U. par an au Niger, s’appuyant sur 290 staff et des dizaines de partenaires. Ce programme multisectoriel vient en aide à plus de 1,5 millions de personnes en insécurité alimentaire élevée en moyenne par an, avec des distributions de cash ou de vivres, dans un contexte sécuritaire et d’accès humanitaire très contraignants. Il allie des priorités humanitaires de réponses d’urgence dans les zones affectées par le conflit et l’instabilité et les chocs climatiques ou d’autres crises , mais aussi des priorités de construction de la résilience des ménages vulnérables pour leur sécurité alimentaire et nutritionnelle durable , à travers par exemple des activités intégrées de production agricole et de régénération des ressources naturelles, de nutrition basées sur les aliments nutritifs locaux , de cantines scolaires et d’autres activités visant à lever les barrières à l’education des filles, d’achats locaux auprès de petits producteurs, d’inclusion financière, de renforcement des capacités des communautés vulnérables mais aussi des municipalités, de la société civile en général et des services techniques décentralisés, etc.
Qu'as-tu ressenti à l'annonce du Prix Nobel de la Paix 2020 ?
D’abord bien sûr beaucoup de joie et de fierté de faire partie d’une organisation telle que le PAM. Le jour de l’annonce fut particulièrement intense pour nous au PAM Niger alors que notre Directeur Exécutif était en mission à Niamey et présent dans nos bureaux. Nous avons donc vécu toute l’attention médiatique et les appels des « Grands » de ce monde en direct. Nous avons aussi rapidement eu une pensée pour nos collègues partis trop tôt et qui méritaient tant de vivre un tel moment unique... Le PAM est présent dans plus de 80 pays de par le monde et nous sommes amenés à travailler dans des pays en proie à des conflits et souvent hélas les travailleurs humanitaires sont la cible de violences. Nous sommes tous très conscients que ce prix Nobel est le résultat de partenariats et collaborations efficaces que ce soit avec les ONG locales et internationales, gouvernements, donateurs, secteur privé etc. Nous le devons aussi à nos familles qui nous soutiennent dans un choix de vie qui n’est pas toujours simple à gérer. Mais ce prix accordé au PAM nous rappelle surtout combien la sécurité alimentaire est un déterminant majeur de la cohésion sociale et de la paix, et inversement. La lutte doit plus que jamais continuer !
Quel lien pourrais-tu faire avec ta formation à l'ENSAIA ?
L’ENSAIA, et la prépa sup/spe Bio avant elle, c’est avant tout une rigueur et une méthode de travail... Mais l’ENSAIA c’est aussi du pragmatisme, une cohésion et un bon esprit d’équipe, des valeurs fondamentales pour la suite. Sur le plan technique, le lien peut être fait grâce à l’attention particulière que je dédie aux approches filières (agricoles et agro-alimentaires) , le développement des marchés locaux et le soutien à la production locale , les initiatives d’inclusion financière en lien avec la digitalisation, le partenariat public-privé, etc., pour développer des solutions respectueuses de l’environnement, rémunératrices pour les plus vulnérables et pérennes.
Souhaites-tu dire quelques mots aux étudiants actuels ?
L’ENSAIA est bien une Grande école. Plus qu’un excellent souvenir de ses élèves, sa direction et ses professeurs passionnés et engagés , sa ferme, sa « guerre des gangs », ses soirées en Pézence et ses 24H de Stan , et bien plus encore… elle a formidablement contribué à mon émancipation professionnelle ! Toutes les carrières vous sont ouvertes pour peu que vous ayez de la détermination et du courage. L’ENSAIA a beaucoup à contribuer dans l’atteinte des Objectifs de Développement Durable et notamment l’ODD 2 la « faim zéro » dans le monde d’ici 2030 !