Le Brunch « La géomatique aujourd’hui et demain » a été organisé dans le cadre du Salon de la géomatique du Festival international de géographie à Saint-Dié-des-Vosges. Il s’est tenu à la Maison Mosaïque le vendredi 5 octobre 2018.
Même si nous sommes nombreux à ne pas en être conscients, la géomatique est déjà très fortement présente dans nos vies. Certes, il y a le GPS, la géolocalisation, toutes ces applications directes qui, si nous ne les relions pas forcément à cette discipline, font désormais partie de notre quotidien, mais elles ne constituent pourtant que le côté émergé de l’iceberg. Et cette diversité se traduit dans la communauté même des géomaticiens. Ainsi, et ce fut probablement le premier étonnement de ce Brunch, parmi nos intervenants et dans le public, des formations d’origine très diverses étaient représentées : informaticiens, agronomes, géographes, littéraires...
Cette variété, qui est évidemment une immense richesse, soulève cependant d’entrée de jeu la question de la définition même du métier, et des compétences mises en jeu par la géomatique. Naturellement, chaque discipline apporte sa pierre à l’édifice : Gilles Simon du Laboratoire lorrain d’informatique et ses applications, qui représentait ici les informaticiens, a ainsi eu l’occasion de montrer comment les travaux de l’équipe MAGRIT, à laquelle il appartient, permettent d’apporter de nouvelles réponses. En effet, lorsque vous travaillez en réalité augmentée, une partie de l’enjeu consiste à être capable de se repérer avec précision dans l’image sur laquelle vous travaillez. Ainsi, en utilisant et développant des outils d’analyse d’image, l’équipe MAGRIT est capable de détecter de façon automatique les points de fuite dans une image et de définir l’orientation de celle-ci. En couplant cela à la reconnaissance de façades, cela permet de déterminer une position.
Avec ces outils et ces technologies, les entreprises peuvent alors mener des études en fonction des besoins identifiés. Ainsi, Christophe Chantraine, de GEOFIT, nous a présenté diverses applications développées par sa société. À Morlaix, ils ont mis au point un système permettant d’analyser les flux d’eaux souterraines, la ville étant confrontée à un problème récurrent de crues que les canalisations historiques de la cité s’avèrent incapables de réguler. Il s’agit alors de représenter précisément le réseau souterrain et donc, par nature, invisible, afin de déterminer quelles quantités d’eau se retrouvent à quels endroits du réseau, et donc de pouvoir apporter des solutions efficientes. Dans un tout autre domaine, mais en exploitant les mêmes outils, GEOFIT a mis en place un système de suivi des loups, GéoLoup, destiné à suivre en temps réel, sur une plateforme géographique, les zones d’attaque (le même type d’application pouvant être mis en place pour le suivi des ours). Ainsi, on le voit, la géomatique permet d’agir curativement, pour trouver des solutions à des situations acquises ; ou préventivement, dans le cadre de situations que l’on ne pouvait pas modéliser précédemment.
Dans tous les cas, on le voit, le développement de la géomatique se traduit par un « entrelacement » de technologies. C’est d’ailleurs ce que souligne Nicolas Dorkel, du laboratoire LOTERR, qui animait le Brunch. En effet, il rappelle que, pour les géographes, « la géomatique servait en premier lieu à faire des cartes. Le Brunch m’a appris à quel point faire des cartes est devenu l’un des items possibles », mais ce n’est pas le seul : elle permet en effet « de deviner l’invisible et nous [aide] à nous projeter ». Et ce jusque dans le passé, comme le propose une application développée par l’Institut géographique national et forestière (IGN), « Remonter le temps », qui offre à chacun la possibilité de découvrir les évolutions du territoire au fil du temps.
Lilyane Beauquel, écrivaine, a pour sa part insisté sur la possible transformation de notre rapport au monde avec ces nouveaux outils. Notre expérience passe non seulement par notre perception d’un espace que nous parcourons – en nous promenant dans une ville, en parcourant un chemin de randonnée, en traversant une forêt, en escaladant une montagne – mais également par la représentation de ce même espace sur des cartes, des cartes en relief, des globes terrestres, et, aujourd’hui, sur l’écran de nos ordinateurs ou de nos smartphones. Ces multiples modalités d'émerveillement, avec le frisson métaphysique qui l'accompagne parfois, affinent nos connaissances et nos prises de conscience face aux poignantes problématiques liées aux changements climatiques ou aux questions des frontières, des réserves naturelles... Mais le jeu peut aussi rester entier, ainsi, dans le contexte de l'écriture d'un roman se déroulant au Japon, elle a décrit la sensation particulière qui émane d’une randonnée virtuelle dans laquelle, sans bouger de son bureau, elle « survole » les sentiers d'Hokkaido en accédant à tel détail du paysage, du bâti... ou de visiteurs sur place saisis par la caméra : le vertige de l'espace et du temps.
Ces approches, aussi variées que spécifiques, ont permis de mettre en lumière le vaste champ des possibles ouvert par la géomatique. Et c’est bien cette richesse qui motive l’action de l’Association française pour l’information géographique (AFIGÉO), qui mène une réflexion sur les métiers et les compétences de cette discipline en plein déploiement, dans la perspective de la nécessaire pluridisciplinarité évoquée précédemment : en effet, elle ne se limite pas aux spécialistes, rompus aux technologies concernées, mais elle impacte tous les corps de métier utilisateurs dont la géomatique révolutionne les tâches et les compétences. Son vice-président, Pierre Bazile, a notamment rappelé le chantier en cours sur les référentiels de compétences et de formation par branches, qui s’inscrit dans une vision prospective qui dépasse les frontières nationales, et se nourrit des expériences internationales, comme celles menées, dans le Canton de Genève, par l’équipe de Laurent Niggeler.
Naturellement, toutes ces évolutions, et l’impact qu’elles peuvent avoir sur notre vie quotidienne, posent question, et soulèvent des inquiétudes. Certaines voix se sont élevées dans le public pour questionner, non pas les technologies elles-mêmes, mais l’emploi qui pourrait en être fait, en fonction de choix politiques et/ou citoyens. Mais, là aussi, Nicolas Dorkel insiste sur l’idée que, si les smart cities génèrent en effet des inquiétudes, il ne faut pas perdre de vue le fait que « ces outils permettent de régler bien plus de problèmes sociétaux qu’ils n’en créent ».
Le feu roulant des questions et la poursuite des échanges à l’issue du Brunch a montré, en tout cas, que ce sujet ne laisse pas indifférent. Alors, rendez-vous pour la prochaine édition du Salon de la géomatique ?
Pour tout renseignement complémentaire ou recevoir le calendrier des prochains Brunchs, envoyez un e-mail à l'adresse suivante : lebrunch-contact@univ-lorraine.fr
Article rédigé par Thierry DAUNOIS, chargé de développement territorial et innovation au sein de la Direction de l'entrepreneuriat et des partenariats socio-économiques (DEPAS) de l'Université de Lorraine.
Dessins réalisés par Catherine CRÉHANGE, illustratrice de propos et photos prises par Morgane STEFAN, Assistante Brunch
