Intelligence territoriale et transitions : un processus info-communicationnel pour faire mieux, ensemble

 
Publié le 3/01/2023

« Une puissance d'autocréation. En termes cognitifs, elle se traduit par une capacité d’apprentissage autonome et en termes historiques par un processus d’évolution. L’intelligence émerge de processus d’interaction circulaires et auto producteurs entre un grand nombre de systèmes complexes. Ainsi, un écosystème, une espèce vivante, une société animale, une société humaine, un organisme, un système immunitaire ou un cerveau peuvent être dits « intelligents ». En effet, ils sont engagés, avec leurs environnements, dans des processus entrecroisés d’autoproduction et d’évolution (ou d’apprentissage).[1] » C’est ainsi que Pierre Levy définit l’intelligence collective, notion méconnue du grand public mais pourtant si essentielle et centrale dans tous les domaines existants.

Le 14 décembre, les étudiants du Master VSOC (Veille Stratégique et Organisation des Connaissances) ont assisté à un séminaire présenté et animé par Cyril Masselot, enseignant-chercheur en Information-Communication à l’Université de Bourgogne Franche-Comté. Cette séance fut l’occasion d’aborder un sujet à la fois essentiel et enrichissant : « Intelligence territoriale et transitions », un moment de partage permettant d’échanger sur les transformations que les sociétés rencontrent actuellement.

L'intelligence collective abordée au sein du master VSOC

Les enseignements dispensés dans le master VSOC se rapportent à des métiers intrinsèquement liés à la notion d’intelligence collective. Qu’il s’agisse en effet, de veille, d’influence, d’innovation, de sécurité de l’information, de gestion des connaissances, etc., tous ces métiers font nécessairement appel à une collaboration, ou au moins, à une coopération des acteurs impliqués. Autant dire que l’intelligence collective est un élément fondamental au sein de notre Master. C’est en fait là que l’approche systémique d’Edgar Morin[2] prend tout son sens. Aussi faut-il préciser que « le tout est plus que la somme des parties ». Cette assertion qui nous viendrait d’Aristote met en lumière le fait que c’est ensemble que nous sommes le plus susceptibles de réaliser de grandes choses, et en l’occurrence, des choses pouvant impacter positivement notre environnement et les humains qu’il comprend. En effet, dans notre formation, on ne perd pas de vue le fait que les métiers doivent se mettre au service des humains.

L’apport de l’intelligence collective en intelligence économique

L’intelligence économique[3] est indissociable de l’intelligence collective tant elle a recours à des métiers divers et variés (veille, influence, sécurité de l’information, etc.). Aussi, l’intelligence collective constitue-t-elle le socle sur lequel repose à la fois ces métiers, le ciment qui lie entre eux les différents acteurs qui les font exister, mais également, le produit de leur association. Ainsi, l’intelligence collective permet de faire émerger des données, informations et autres connaissances indispensables pour les décideurs, qu’ils relèvent du secteur privé ou public, dans le cadre notamment de leurs processus de prise de décision. Il faut par ailleurs préciser que dans le contexte actuel de transition vers un monde soucieux de l’environnement, il est urgent que la vision éco-responsable chère à l’intelligence territoriale soit partagée par l’ensemble des parties (décideurs politiques, dirigeants sociaux, populations, etc.)

Entretien avec Cyril Masselot, enseignant-chercheur en Information-Communication

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et présenter vos thématiques de recherche ?

Je suis Cyril Masselot. Je suis enseignant chercheur en Information-Communication à l’Université de Bourgogne Franche-Comté. Mes thématiques de recherche portent surtout sur comment les Sciences de l’Information et de la Communication peuvent accompagner les changements, les transitions, dans une optique d’intelligence territoriale. 

Pour vous, qu’est-ce que l’intelligence collective ?

Il n’y a pas qu’une seule intelligence collective, car elle est extrêmement contextualisée, elle est très fortement dépendante de son contexte qui est son territoire d’action, les communautés qui agissent et construisent cette intelligence collective. Et dans ces communautés, on prend aussi en compte les écosystèmes et tout ce qui est patrimoine immatériel. On parle bien d’intelligence puisqu’on s’intéresse à la construction de connaissances pour s’adapter à son milieu et non pas pour adapter son milieu à soi. 

Comment définissez-vous l'intelligence territoriale (IT) ?

L'intelligence territoriale est une intelligence collective appliquée aux écosystèmes territoriaux, structurant un processus qui fait émerger, stimule et met en synergie les intelligences des divers acteurs, des citoyens, et des environnements. Elle prend en compte l'expression des diversités territoriales, et des communautés. Elle se fonde sur l'interaction entre chaque être humain (individuellement et collectivement) et son environnement, et sur les relations entre individus. Son objectif principal est de construire collectivement la connaissance nécessaire pour agir de manière coopérative sur un territoire. L’IT s'organise autour d'une méthode d'ingénierie territoriale et d'un processus info-communicationnel allant de l'observation à l'action territoriale, en prenant en compte l’environnement, les relations, les individus et les sociétés. L’idée fondamentale de la méthodologie d’IT est de construire ensemble, collectivement, de la connaissance pour agir sur nos territoires. Agir, c'est l’idée d’améliorer nos pratiques et nos pratiques de vivre ensemble. À l’heure actuelle, nos méthodes d’intelligence territoriale se focalisent sur : comment faire pour accompagner les transitions ? La vraie question à se poser avant toute démarche c’est « est-ce qu’on en a besoin ? »

Quels sont selon vous les différents enjeux de l’intelligence territoriale dans un contexte de transitions ?

C’est avant tout de réussir les transitions. Il y a donc des enjeux humains, de sensibilisation, de conviction, scientifique. L'ingénierie, la méthode et les processus qui permettent de construire ces connaissances et actions doivent être les plus rigoureuses, justes, collectives, et coopératives possibles, afin qu’elles soient les mieux armées et les plus efficaces et résilientes sur un territoire. Pour réussir, il faut réussir à convaincre. Parce que ça a beau être une méthode qui est utilisée depuis 20 ou 25 ans sur certains territoires, il y a encore beaucoup de territoires qui auraient, je pense, besoin de la mettre en place dans d’autres aspects et projets. 

Vous évoquez dans vos travaux la méthode Catalyse, pourriez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?

C’est justement la fameuse méthode d'ingénierie territoriale qui permet d’articuler ce travail à partir d’un processus de construction d’information. C’est là où les techniques de veille, par exemple, entrent en jeu. C’est une méthode qui permet de comprendre sur un même territoire les besoins d’une population de manière générale ou par rapport à une thématique bien précise. On compare les besoins, les ressources, avec ce qu’est le territoire, c’est–à-dire ce qu’on connaît être du territoire, les statistiques officielles, celles de l’INSEE mais aussi celles de la Région, de la Communauté de communes, toutes les données qu’on peut avoir officiellement, et qui nous permettent de comprendre comment s’organisent ces divers éléments. C’est pour cela qu’on articule cette méthodologie en trois pôles : les besoins, les ressources et le territoire. Pour outiller cette méthode, on utilise des techniques d’enquêtes, des méthodologies de veille, de construction d'information, ou de structuration d’information, afin de rendre opérationnel ce processus info-communicationnel : de la donnée à l’information, de l’information à la connaissance, et de la connaissance à l'action. 

Selon vous, en quoi l’intelligence territoriale peut aider les populations ?

L’idée n’est pas de rendre un territoire intelligent. L’idée c’est de susciter sur les territoires toutes les intelligences qui existent, les faire travailler ensemble pour mieux vivre ensemble. Cela rejoint l’agir collectif tel que pensé en sociologie par Latour et Callon par exemple. L’IT en tant que telle peut indirectement être un support ou un levier économique pour que les gens vivent mieux ensemble. 

 

Charlotte Delatte et Ibrahim Lailaba, M2 VSOC

 


[1] Lévy, P. (2002). Chapitre VI. Éthique de l’intelligence collective. Dans : P. Lévy, Cyberdémocratie (pp. 243-275). Odile Jacob.

[2] Morin, E. (2014). Introduction à la pensée complexe. Paris : Points. P.160.

[3] L’intelligence économique peut être admise comme « l’ensemble des actions coordonnées de recherche de traitement et de diffusion de l'information utile aux acteurs économiques en vue de son exploitation à des fins stratégiques et opérationnelles. Ces diverses actions sont menées légalement, avec toutes les garanties de protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l'entreprise, dans les meilleures conditions de qualité, de délai et de coût ». Martre, H. (1994). Intelligence économique et stratégie des entreprises. La Documentation française.