[Retour sur] Prix littéraire Frontières : rencontre avec Olivier Hodasava

 
Publié le 10/02/2022 - Mis à jour le 14/02/2022

La frontière comme un réseau de lignes entrecroisées et connectées ! Lors de la rencontre du 2 février dernier, animée par Carole Bisenius-Penin, co-responsable du prix littéraire Frontières – Léonora Miano (Crem, Loterr, Université de Lorraine, UniGR), les étudiant.e.s de L3 – Humanités ont accueilli Olivier Hodasava à la bibliothèque du Saulcy. Un quatrième volet du cycle de rencontres « Écrire les frontières », en collaboration avec la Mél (Maison des Maison des écrivains et de la littérature, Paris), à mi-chemin entre cartographie, numérique et littérature.

Écrire pour se dire…

L’écriture d’O. Hodasava a une profonde dimension autobiographique, presque auto-exorcisante. C’est en quelque sorte un besoin d’investir ses personnages, qui jaillit spontanément dans ce qu’il écrit. On pense alors à Janine (Éditions Inculte, 2016), dans laquelle se dessine un hommage poignant à Françoise Wald, du groupe WC3. Sur le modèle littéraire de l’enquête, Olivier Hodasava, qui a rencontré Wald le jour de son suicide, entreprend un travail méticuleux de recherche, intensément teinté de psychologie. S’il n’est pas lui-même l’objet du roman, on comprend qu’Hodasava livre ici un récit sur le passage à l’âge adulte auquel il invite des éléments de sa propre expérience. L’écriture devient alors le témoin d’une urgence personnelle.
Cette intimité dans l’écriture est notamment traduite par un travail d’orfèvre sur les souvenirs. L’on y sent la profonde influence perecquienne grâce à l’emploi omniprésent de l’infra-ordinaire : dans un monde qui se soucie presque exclusivement de l’extra-ordinaire, qu’en est-il de ces petits souvenirs, ces détails et anecdotes ? O. Hodasava offre ainsi une littérature qui « fourmille d’histoires », pour reprendre ses dires. C’est un panorama presque cartographique qui se dessine devant le lecteur, où chaque panneau contient une histoire, un détail, une saveur particulière. 
 

… et dire un monde multiscalaire

Dans son entreprise de dire le monde, O. Hodasava a recours à la cartographie. Membre fondateur de l’OuCarPo (l’Ouvroir de Cartographie potentielle, fondée sur le modèle de l’OULIPO), il incorpore la géographie dans l’écriture au quotidien. Son roman Une ville de papier (Éditions Inculte, 2019) explore cette capacité créatrice des cartes et s’inspire de la véritable destinée d’une telle ville de papier dans l'État de New York, utilisée comme copyright trap dans les cartes routières américaines. Une ville qui n’existerait que sur une carte, pour des raisons de droits d’auteur, devient le fantastique théâtre d’une épopée au sein de laquelle elle voit le jour. Pour l’écrivain, « La carte est métaphysique, elle est entre le monde que je regarde et moi ».
Cette passion pour la géographie se manifeste plus particulièrement dans Éclats d’Amérique (Éditions Inculte, 2014). À partir de prises de vue obtenues grâce à Google Street View, il explore les Etats Unis d’aujourd’hui et en propose une lecture touchante. Sans ordre particulier de déambulation entre les États (à l’instar d’Internet, au sein duquel les informations se confondent pêle-mêle), une certaine forme d’éternité émerge : Street View capture un instant auquel l’écrivain confère une histoire, reprenant l’idée simonienne que derrière chaque image se trouve une fiction. La frontière temporelle se retrouve pourtant avec l’actualisation des fichiers de Google Street View. Il en ressort alors une forme de stop-motion qui remet en question notre perception du temps et de la société dans laquelle nous évoluons.
 

Le blog comme boussole : la nécessité de l’exploration numérique et littéraire

Le processus créatif d’O. Hodasava se caractérise avant tout par son aspect multimodal. En 2010, l’idée d’un blog lui vient (Dreamlands Virtual Tour). À une époque où n’importe qui peut écrire et être lu grâce à Internet, le blog apparaît comme une solution face au monde parfois assez contraignant de l’édition. Ces explorations timides ont commencé par la Sibérie, puis des cités napolitaines… L’utilisation d’Internet est vitale pour l’auteur, qui admet volontiers que celui-ci a été un moteur à ses débuts. Le blog lui permet d’explorer, de publier de la fiction, certes, mais aussi des comptes rendus documentaires. À cela s’ajoute une contrainte temporelle fixée par l’auteur démiurge : O. Hodasava y accorde environ 7 minutes par jour. 
Cette volonté d’exploration amorcée par le blog, Hodasava la cultive dans son œuvre romanesque. Une subtile cohabitation de fiction, d’auto-fiction et de non-fiction se nourrissant mutuellement : l’auto-fiction seule relève d’une forme d’impudeur, la fiction seule manque parfois de points d’ancrage dans le réel et la non-fiction pose un problème d’imagination. Une interdépendance entre ces notions permet donc à l’écrivain de critiquer la frontière du réel au sein de la littérature. Cette mise en question devient une pratique ludique. L’exemple probant d’Une ville de papier brise le caractère si sérieux de la création et de la représentation, ici cartographique : faire exister une représentation du réel au sein de laquelle existe un « piège », un « leurre », devient presque jubilatoire.
Outre la cartographie, les sources numériques et la littérature, c’est également le graphisme qui nourrit l’imaginaire d’O. Hodasava. Le travail de l’image nourrit le style littéraire, qui cherche, à la manière du graphiste, à capturer l’image qui marquera le lecteur. La création devient un ensemble de « si », de conditions fictives desquelles découlent une progression logique. L’auteur considère ainsi que son écriture romanesque revient à placer méticuleusement des fils et à les dérouler petit à petit. Stylistiquement parlant, cela se ressent par le caractère bref de ses phrases : tout va à l’essentiel afin de happer le lecteur.
En somme, la pratique littéraire d’Olivier Hodasava écrit et dessine au quotidien les frontières du monde actuel : le monde apparaît, tel une carte monumentale qui se déroule et fourmille d’histoires du quotidien auxquelles chacun.e pourra s’identifier.
 

Retour en images sur cette rencontre :

 

 
 
 
Article de Paul-Matthias Leboutet, étudiant L2, membre du jury, Prix Frontières
 

Lors de cette rencontre ont été dévoilés les 10 ouvrages sélectionnés pour le prix : à découvrir en vidéo