[DHC 2019] 3 questions à Myriam Watthee-Delmotte, professeure en littérature française contemporaine et Docteure Honoris Causa de l'Université de Lorraine

 
Publié le 21/10/2019 - Mis à jour le 5/05/2023

Myriam Watthee-Delmotte, professeure en littérature française contemporaine à l’Université Catholique de Louvain (Belgique) et Directrice de recherche du Fonds National de la Recherche Scientifique recevra les titre et insignes de docteure Honoris Causa de l'Université de Lorraine lors d'une cérémonie qui se déroulera le 7 novembre 2019 à Metz. Cette cérémonie sera suivie d'une conférence de Myriam Watthee-Delmotte : La littérature, figure de l'indemne.

Quelles sont vos relations avec le Laboratoire Écritures et l’Université de Lorraine et depuis quand durent-elles ?

Mes premiers contacts avec l’Université de Lorraine remontent à vingt-cinq ans déjà : j’ai participé à un colloque sur « Bible et littérature » organisé par Pierre-Marie Beaude. J’ai ensuite gardé des contacts réguliers avec l’équipe du Centre pluridisciplinaire créé par Michel Baude, alors intitulé « Littérature et spiritualité », qui développait un programme qui correspondait en tous points à celui de mes propres axes de recherche. Les rapports entre littérature et sacré ont toujours été au cœur de mes travaux, or cette question est loin d’aller de soi dans le cadre des études francisantes en contexte de laïcité, en particulier dans les recherches qui portent sur l’époque contemporaine. L’Université de Lorraine a cependant toujours inclus ce volet dans son programme scientifique. Du fait de cette convergence de perspectives, nous avons été amenés à participer réciproquement à seize colloques ou séminaires messins et louvanistes, et à autant de publications. C’est ainsi que je suis aussi devenue Membre associée du Centre « Écritures ». Lors de mon année sabbatique de 2010, j’ai été Professeure invitée à Metz. Il en a résulté, à l’initiative de Pierre Halen qui avait succédé à Gérard Nauroy à la tête du Centre, un colloque dans le cadre des « Fêtes de la science », publié dans un ouvrage sur Le sacré dans la littérature contemporaine  que j’ai co-dirigé avec Aude Bonord, aujourd’hui en poste à Orléans.

Par ailleurs, l’analyse des représentations mentales et l’attention portée aux mutations des supports de la création m’ont aussi induite à m’intéresser aux perspectives développées dans le cadre de deux autres équipes de l’Université de Lorraine, en lien avec le Centre « Figura. Le texte et l’Imaginaire » de l’Université du Québec à Montréal : le laboratoire « Littératures, Imaginaires, Sociétés » (LIS) que Christian Chelebourg a développé à Nancy, et l’ethnocritique littéraire pratiquée par Marie Scarpa et Jean-Marie Privat dans le cadre du Centre de recherche sur les médiations (Crem).

Que représente le titre de Doctor Honoris Causa pour vous ?

C’est d’abord une immense joie personnelle que de voir récompensé un travail effectué avec passion et persévérance durant toute une carrière. Je suis aussi très heureuse de cette distinction pour les études littéraires en tant que telles, de plus en plus déconsidérées dans le milieu académique parce que comprises comme un luxe inutile. À mon sens, la faculté d’interpréter les textes est au contraire une compétence de base, de même que la maîtrise des nuances du langage qui permettent d’aborder le monde dans sa complexité. Les savoir-faire qu’impliquent les études de Lettres préservent de la réduction de la pensée à des schémas binaires ou simplificateurs qui entraînent la paupérisation intellectuelle. Que le travail sur la littérature puisse obtenir la plus haute reconnaissance d’une université me fait un immense plaisir pour la valorisation de ma discipline. Dans ma propre université, plusieurs écrivains se sont vu attribuer un DHC (Jorge Semprun, Amin Maalouf, Elie Wiesel, Tahar Ben Jelloun entre autres, et on voit que c’est la question de l’engagement sociétal qui les réunit), mais non les professeurs et chercheurs en littérature. Je suis extrêmement reconnaissante à l’Université de Lorraine pour le geste fort qu’elle pose en faveur des études littéraires, en ce moment où elles sont fragilisées par une logique du rendement quantifiable et immédiat qui néglige, voire dénigre les formations dont les résultats sont qualitatifs et non mesurables, et relèvent du long terme.

Enfin, que cette reconnaissance soit accordée au travail d’une femme me procure un vif plaisir, car d’après les statistiques que m’a livrées mon université, je ne suis jamais que la sixième professeure néo-louvaniste qui ait reçu les honneurs d’un DHC. Il faut dire que les femmes ne sont pas présentes depuis très longtemps dans le paysage universitaire… Je suis donc ravie de ce que mon nom vienne contribuer à rendre visible leur présence agissante dans le champ du savoir scientifique.

Quels sont vos projets de recherche et en particulier ceux que vous développez avec le centre de recherche Écritures?

Je me suis donné pour objectif de montrer que l’imaginaire littéraire est ce par quoi un sujet accède à la culture et construit son rapport à l’Histoire et au monde. Mon champ de recherche concerne spécifiquement la littérature qui vise l’expression d’une « inquiétude de l’absolu » (Jossua), c’est-à-dire d’un mouvement de transcendance ou d’un sens du mystère dépendants ou non d’une croyance instituée.

Curieusement, l’idée communément véhiculée de l’impuissance de la littérature s’assortit d’une production textuelle qui ne cesse de s’accroître. Il s’agit d’analyser la littérature d’une part dans ses contenus et ses formes, et c’est pourquoi j’ai choisi de développer la problématique de « l’indemne » lors de la cérémonie de réception du DHC. D’autre part, il faut observer comment la littérature fabrique du sacré en termes de performativité : comment les écrivains produisent-ils du sacré, par quelles pratiques d’écriture et quelles postures, par quelles procédures de diffusion et quelles interactions avec le lectorat entre autres ?

Pour moi, la littérature est de l’ordre du faire, c’est un agir. De nos jours, en particulier, elle se construit au contact d’autres arts et en dehors du seul support livresque : quel est l’impact des innovations technologiques sur le développement, la diffusion et la réception du phénomène littéraire ? Voilà aussi une question qui réclame une réponse urgente dans le cadre des études de Lettres, qui ne peuvent plus s’opérer en seul régime d’autonomie : les jeunes que nous formons sont appelés à ce devenir, dans la plupart des cas, des passeurs de culture riches d’un bagage historique et ouverts aux mouvances du paysage contemporain, et nous avons le devoir de les outiller adéquatement.

Ces préoccupations sont partagées par les collègues de l’Université de Lorraine, comme en attestent entre autres plusieurs ouvrages de la collection éditoriale attachée à l’équipe « Écritures », « Recherches en littérature et en spiritualité », chez Peter Lang, dont je suis membre du comité scientifique, mais aussi différents sujets de séminaires et de thèses. Le DHC vient souligner la conscience d’une cause commune et l’accord sur des options de travail, et c’est pleinement stimulant.