La matinée du mardi 27 novembre s’annonçait particulière pour les étudiant.es d’Information-Communication de l’Université de Nancy, avec l’intervention de l’éminent scientifique et professeur Milad Doueihi. Une conférence de 50 minutes pour réfléchir sur le thème « Pourquoi Fake et pas False News ? ».
Dans un second temps, un débat animé par Samuel Nowakowski (enseignant-chercheur à l’Université de Lorraine), a permis aux étudiant.es de questionner M. Doueihi sur les problématiques de l’information liée aux outils numériques.
Séduit par le projet 123FontCom, Milad Doueihi a accepté de venir éclairer les étudiant.es sur la thématique des Fake News, fondamentale dans les disciplines d’information-communication. L’objectif de cette conférence est de comprendre l’ampleur du phénomène des Fake News, de le définir et de ne pas le confondre avec des False News ou autre…
Milad Doueihi est historien des religions, et spécialiste mondial du Numérique. Il détient la Chaire « d’humanisme numérique » à l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV). Il étudie les transformations sociétales entraînées par le numérique et les algorithmes. Il est l’un des premiers à parler « d’humanisme numériques » ou « digital humanities », notamment dans son ouvrage : Pour un humanisme numérique 2011.
A l’origine des Fake News
L’utilisation du terme Fake News remonte à 1890, de la transmission de l’information et les effets de celle-ci sur notre rapport à la vérité. Il était autrefois employé pour désigner les messages transmis par des criminels, pour échapper à la police. Au premier abord, les Fake News se réfèrent généralement à des faits concrets, elles imitent de vraies informations, mais sont soumises à (des usages) de la manipulation. Elles sont construites pour tromper et suivent des objectifs néfastes. Elles s’opposent ainsi aux écrits de fabrication comme les essais, les romans, qui n’ont pas d’intention mauvaise.
Depuis octobre 2018, et la récente Loi française sur les Fake News, on parle « d’infox » ou « d’information fallacieuse » pour qualifier ce phénomène.
Un nouveau cadre économique pour l’information
L’information et l’attention ont acquis une nouvelle valeur économique qui a entraîné un déplacement des modèles économique et socio-culturel. Herbert Simon, parlait déjà en 1971 « d’une économie de l’attention » en se référant à cette nouvelle ressource rare. Milad Doueihi évoque une « gloutonnerie » ou collecte massive de données faite par les Etats et les plateformes sociaux numériques. « L’information devient consommatrice de l’individu ». Ce processus s’articule de la manière suivante : l’individu est actif sur les réseaux-sociaux ou sur le web, il laisse une trace, à partir de laquelle les plateformes présupposent une « intention ». Le ciblage personnalisé intervient ensuite, avec l’action du système de recommandation, qui influence nos choix, notre initiative de recherche et nous façonnent ainsi. Les Fakes News et les Soft News apparaissent alors comme une forme de Soft Power de plus en plus répandue et questionnée.
Les stratégies de diffusion des Fake News et leur impact sur le paysage social
Il y a une dimension sociale et culturelle inhérente aux réseaux-sociaux qui sont porteurs de « sociabilités numériques » qu’il convient d’étudier. Le phénomène de Fake News s’appuie notamment sur une forme de résonance, de multiplication du message et ce à moindre coût. Il est beaucoup plus facile de relayer une Fake News : qui conforte les idées reçues et ne nécessite pas de réflexion excessive. A travers le mimétisme des groupes, l’appropriation et la réutilisation de leur vocabulaire spécifiques, les individus pourront être trompés par les émetteurs de Fake News (les trolls, les bots et les honey pots). C’est une forme d’injonction collective qui est permise par les algorithmes automatisés qui ne disposent pas de la faculté de jugement humain. Il y a alors un problème quant à l’attribution de l’information et sa légitimité. Cela entraîne une fracture de la confiance entre l’identité numérique d’un individu et l’utilisation qui est faite de ses données.
Différentes perceptions du « Fake » et du « False »
Le contexte culturel est très important pour pouvoir interpréter les Fake News. Il y a d’un côté, notre modèle occidental, qui garantit les Libertés d’Information et de la Presse. Avec avec un véritable travail de recherche et d’objectivité des journalistes pour nous présenter l’information. Pour ces acteurs, dont sont aussi l’Etat et les entreprises, les Fake News et les d’interventions logicielles qui les fabriquent apparaissent comme un danger.
Alors qu’au contraire, dans certaines cultures Asiatiques (ex. la Chine), le False (contrefait) fait partie de certaines formes de cultures. Avec le marché des contrefaçons, l’horizon d’acceptabilité des Fake News ou des False News est différent, et est davantage perçu comme une manière de partager. En Sciences on parle davantage du False et d’informations fausses qui peuvent s’avérer très dangereuses dans un contexte médical par exemple.
Les frontières du web et métaphores maritimes
L’histoire du Web et sa philologie sont illustrées d’un vocabulaire maritime (streaming, flux, débit, surfer…). Durant sa période utopique, le Web, semblable à la mer n’avait pas de frontières, on pouvait y surfer librement. (le Droit International aussi est inspiré du Droit Maritime).
Aujourd’hui on retrouve une notion plus territoriale du web, avec moins d’arbitraire. Il y a un problème de colonisation (ex. différents résultats de recherche à l’étranger) liée à la localisation, déterminée grâce au réseau et aux traces laissées. Milad Doueihi évoque une fracture de l’Internet en trois différentes sphères : « l’Internet en Chine, l’Internet avec ou sans neutralité (ex. Europe ou USA) et l’Internet en Russie. »
Quels modes de gouvernance à l’ère de la Soft vérité ?
Jusqu’à récemment, la valeur de l’information, sa légitimité et sa véracité était fondée sur un travail sourcé, d’objectivité et d’authenticité. Aujourd’hui les contraintes de l’environnement numérique ont tendance à éclipser le critère de « recherche » au profit de la « recommandation ». Ce modèle de recommandation est fragile et plus difficilement exploitable. C’est un nouveau modèle de confiance : on parle de Soft Truth ou Soft vérité.
Les règles et les méthodes d’hier ne sont plus suffisantes pour évaluer la vérité, les logiciels et le numérique bouleversent ce rapport. Les algorithmes sont certes dynamiques et apprenants, mais ils sont encore loin de pouvoir distinguer une information sûre d’une Fake News. C’est ce qui paralyse les législations internationales dans leur tentative de régulation de ce phénomène. Il faut ainsi avoir un regard plus large, prendre du recul et bien veiller à bien définir le contexte…
Julien Muzet