Le 10 décembre 2018 seront remis les insignes et titre de docteure honoris causa à Leila Messaoudi, professeure émérite en sciences du langage à l'Université de Kenitra (Maroc). Cette cérémonie sera suivie d'une conférence de Leila Messaoudi : Les défis sociétaux de la sociolinguistique aujourd'hui.
Résumé de la conférence
Pendant longtemps, la sociolinguistique a été « ignorée » voire « méprisée » par les linguistes qui l’évacuaient du noyau dur disciplinaire de la linguistique. Pour beaucoup d’entre eux, la sociolinguistique ne constituait pas une discipline à part entière - et ce, quelle que soit leur appartenance théorique aussi bien fonctionnaliste (Martinet (1960)), générativiste (Chomsky (1966)) pour ne citer que les deux grands courants théoriques qui étaient dominants jusqu’à une époque récente.
Cependant, un consensus semble se dégager ces dernières années, quant à la reconnaissance de la discipline grâce, entre autres, aux travaux de Labov (1972), aux USA (instituant le courant variationniste), Gumperz (1971, 1989) ( introduisant le courant interactionniste) et en France, Gardin Marcellesi (l’ école de Rouen) et Calvet (sur la glottophagie). Depuis 1990, une dénomination revient dans les écrits des auteurs français, celle de « linguistique de terrain » (Boutet, 1994 ; Blanchet, 2001 ; Bulot (1999)) qui privilégie le recueil de données contextualisées, le plus souvent à caractère oral.
Quels sont les enjeux de cette linguistique de terrain ? Ils seraient à classer en 3 rubriques :
- La connaissance du terrain : émanant de travaux englobant les pratiques et les attitudes des sujets parlants (pour les pratiques, sont pris en compte les faits de langue, permettant une cartographie de la situation linguistique d’un pays, d’une région, d’une localité, d’un quartier, d’une communauté, etc. ; pour les attitudes, une échelle graduée de valeurs peut être dégagée, allant du prestige à la stigmatisation. Les effets de cette dernière ont été abordés récemment (« glottophobie » (Blanchet))
- La politique linguistique : les résultats de la linguistique de terrain peuvent conduire les décideurs à faire des propositions pour statuer sur les fonctions des langues présentes dans tel ou tel paysage linguistique (par ex. la Belgique (JM Klinckerberg), la France (B. Cerquiglini), le Québec (JC Corbeil)°. Au Maghreb, la constitutionnalisation du berbère (de l’amazighe) au Maroc et en Algérie doit beaucoup aux travaux de la sociolinguistique (par exemple, Boukous pour le Maroc)
- La politique éducative et la didactique des langues : la question des choix de langues d’enseignement-apprentissage, se pose avec acuité dans les différents cursus scolaires et académiques, aussi bien à l’échelle des pays développés (par ex le combat pour la diversité linguistique en Europe face à ‘l’uniformisation par l’anglais) que dans les pays en développement (par ex. La place du français e Maghreb notamment dans l’enseignement des technolectes (langues spécialisées) pour les filières scientifiques).
En outre, il est une dimension théorique importante qui requiert des développements de la recherche sociolinguistique : celle des genres de discours. Ainsi, en plus des variables retenues généralement (sexe, âge, catégorie socio professionnelle, niveau d’études, etc.), la question des « genres de discours » (voir travaux du CELTED, le Centre de recherches sur les médiations (CREM) et l’équipe Praxitexte ; revue Pratiques) est à intégrer dans l’approche. Cela contribuerait à une meilleure contextualisation des données recueillies et fournirait un éclairage complémentaire pour l’appréhension des productions langagières ; par exemple, les différents genres de discours spécialisés/ technolectes dans les domaines intéressant la vie du citoyen, comme la santé, l’éducation, l’agriculture, l’industrie, les technologies, l’écologie, etc. Sans oublier les nouveaux métiers (ouvriers de la langue, Boutet, 2007) ainsi que la cyberlangue.