Entre changement climatique et croissance économique, des liens très étroits

 
Publié le 12/11/2018
Economie et climat : une fois de plus la preuve est faite qu'un bon dessin vaut mieux qu'un long discours. Rémi Malingreÿ.

Olivier Damette est professeur au Bureau d'économie théorique et appliquée (BETA). Pour lui, les économistes ont leur rôle à jouer aux côtés des climatologues dans l’analyse et la gestion du changement climatique, mais ils doivent d’abord perfectionner leurs modèles. C'est pourquoi il contribue au projet IMPACT Hydrogène sciences et technologies (ULHyS) dans le cadre du défi énergies du futur et transition énergétique de l'initiative Lorraine Université d'Excellence (LUE).

Le récent prix de la Banque de Suède (l’équivalent du Nobel d’économie) attribué à William Nordhaus, a remis en lumière, à l’heure où le GIEC met une nouvelle fois en garde la planète sur les risques du réchauffement climatique, l’intérêt d’étudier l’impact du changement climatique du point de vue de la science économique.

Dans un article récent du réputé Journal of Economic Perspectives, Solomon Hsiang et Robert E. Kopp démontrent que les économistes doivent accompagner, plus qu’on pourrait le croire, les climatologues dans l’analyse et la gestion du changement climatique. Mais que disent les chercheurs en sciences économiques sur les effets du climat ?

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Selon une étude, un degré Celsius supplémentaire se traduirait par 8,5% de croissance en moins. Sima / Shutterstock

Jusqu’à présent, les économètres analysaient les séries statistiques climatiques (températures par exemple) et tentaient d’établir des liens avec des indicateurs économiques pour bâtir des prévisions. Quant aux travaux normatifs – controversés – de Nordhaus et aux analyses de type IAM (integrated assessment model), ils visaient à évaluer le bienfait de certaines politiques d’atténuation (mitigation en anglais) en matière de bien-être économique.

Interrogations dès le XIVe siècle

Récemment, au-delà de ces travaux, s’est développée une nouvelle littérature économique du climat. Cette new climate economy literature a été popularisée par un article de Melissa Dell, Benjamin F. Jones et Benjamin A. Olken publié en 2014 dans le Journal of Economic Literature. Les auteurs font le point sur les travaux empiriques qui examinent le lien entre températures, précipitations ou évènements extrêmes (tempêtes, etc.) et les variables économiques. Il est à noter que Nordhaus lui-même, dès les années 1970, regrettait l’absence de travaux empiriques permettant de mettre en avant les effets des aléas climatiques sur la croissance notamment.

Longtemps, les économistes ont pensé que les éléments géographiques n’étaient pas des déterminants significatifs de la croissance (sauf éventuellement dans certains cas spécifiques). Selon les études empiriques recensées, il ne fait pourtant aucun doute que les chocs climatiques constitueraient bel et bien une entrave à la croissance. C’est au moins le cas pour les pays tropicaux dont les écarts de températures enregistrés engendreraient une volatilité forte des revenus agricoles ou encore du tourisme.

On soupçonne depuis des siècles le climat d’être corrélé négativement au revenu (voir par exemple les écrits de l’historien arabe Ibn Khaldoun au 14e siècle ou encore ceux du philosophe des Lumières Montesquieu sur l’excès de chaleur). Il a cependant fallu attendre 2014 pour que les économistes disposent d’un véritable article de référence sur la question et recensent les preuves empiriques des chocs climatiques sur la croissance.

Un degré Celsius supplémentaire, 8,5 % de croissance en moins

Les premières études économétriques en coupe (qui comparent un échantillon à différents instants donnés), menées notamment par Jeffrey D. Sachs au début des années 2000, montraient déjà des effets de températures élevées sur le revenu par habitant, la productivité agricole et la santé. À partir d’un échantillon mondial, Dell, Jones et Olken indiquent, eux, qu’un degré Celsius supplémentaire se traduirait par 8,5 % de croissance en moins.

Selon les travaux menés par Nordhaus en 2006, 20 % des différences de PIB entre les pays africains et les régions les plus riches de la planète s’expliqueraient par des variables géographiques dont la température, les précipitations (via leurs effets sur la qualité des sols) et la productivité agricole. Récemment, une étude de Marco Letta et Richard Tol insiste sur ce point : elle souligne que le changement climatique va accroître davantage les inégalités entre les pays riches et les pays du Sud, ces derniers étant plus vulnérables (forte part du secteur agricole impacté de facto par le changement climatique, accès restreint aux énergies, etc.).

Les études le plus récentes menées en panel (permettant de prendre en compte des effets conjugués et dynamiques à la fois dans le temps et l’espace) comme celles de Dell et coll. en 2012 montrent d’ailleurs que des températures élevées handicapent en premier lieu les pays pauvres (1,4 % de croissance en moins pour un degré Celsius supplémentaire).

Aller plus loin : non-linéarité et hétérogénéité spatiale

Ces études en panel ont permis d’améliorer la robustesse des effets identifiés, mais elles reposent souvent sur une estimation de l’impact de la température ou de la quantité de pluie sur une variable économique. Elles peinent donc à prendre en compte les effets asymétriques et non linéaires du climat sur l’économie. Bien évidemment, les sécheresses ont un impact négatif sur la croissance, via leurs effets sur les rendements agricoles. Mais alors qu’une augmentation des pluies est bénéfique pour les terres jusqu’à un certain seuil, son effet s’avère néfaste en excès (voir l’exemple des intempéries dans l’Aude en France, mi-octobre 2018). Des modèles non linéaires sont donc nécessaires pour capter ces phénomènes, comme l’ont très bien compris Marshall Burke, Solomon Hsiang et Edward Miguel.

Enfin, il est nécessaire de se demander si les périodes considérées dans les études ne sont pas sont trop restreintes et si les individus ne peuvent pas s’adapter au changement climatique sur très longue période ; c’est ce que fait Maria Waldinger, de la London School of Economics, en s’intéressant aux effets de long terme du climat sur la productivité agricole lors la période du petit âge glaciaire.

À présent, le défi pour les chercheurs en économie est d’aller encore au-delà. Outre la prise en compte de la non-linéarité, les recherches récentes visent à améliorer la qualité des variables climatiques. Les données utilisées, comme la température moyenne ou la quantité de pluies, s’avèrent en effet largement insuffisantes : quel point commun y a-t-il entre Lille et Marseille en termes de climat ? Aucun, et pourtant ils font partie d’une seule et même observation pour la France entière dans les études statistiques.

L’émergence de données spatiales et d’indicateurs climatiques plus synthétiques (utilisés par exemple par les économistes Cécile Couharde et Rémi Generoso dans de récents travaux) devraient permettre aux approches empiriques de gagner encore en crédibilité. Les économistes pourront ainsi aider au mieux les climatologues et les ingénieurs en sciences environnementales dans la bonne gestion future des effets du réchauffement climatique.

The Conversation

Olivier Damette, Professeur des Universités en Sciences Economiques, Laboratoire BETA, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.