Né dans le cadre de l'initiative d'excellence Lorraine (ex-Lorraine Université d’Excellence), CELEST est un CRET (Centre de recherche et d’expertise transversal) qui réunit plus de 80 chercheurs en SHS pour analyser les grandes transformations contemporaines. Il croise disciplines et regards pour éclairer les transitions à l’œuvre dans nos sociétés. Rencontre avec Samuel Ferey, professeur des Universités en sciences économiques et chercheur au bureau d'économie théorique et appliquée (BETA-CNRS) et directeur de CELEST pour l'année 2025.
Pouvez-vous nous présenter ce CRET et préciser quel grand défi il vise à relever ?
Samuel Ferey : CELEST (Center for intErdiscipLinary rEsearch and expertiSe on Transitions) est un centre de recherche et d’expertise interdisciplinaire. Il est le fruit d’un travail de plus de deux ans menés dans le cadre de la pérennisation de l’initiative Lorraine Université d’Excellence (LUE), que nous avons coordonné, à huit mains, avec mes collègues Angéliki Monnier du CREM, Guy Lapostolle du LISEC et Grégory Hamez du LOTERR ! On le sait, les sociétés contemporaines font face à des défis sans précédent imposant de profondes transformations, le climat n’étant finalement qu’un exemple parmi d’autres. Mais tandis que les approches scientifiques et techniques ont tendance à considérer que c’est par l’innovation technologique que les sociétés humaines peuvent espérer répondre à ces défis, le point de départ de CELEST est de rappeler que ces défis relèvent aussi, et peut-être avant tout, de transformations sociales, juridiques, économiques, philosophiques… CELEST confère donc un rôle central aux sciences humaines et sociales (SHS) dans l’analyse, dans la compréhension et dans la critique de ces dynamiques de transformation.
Son objectif est double :
- stimuler la recherche fondamentale en sciences humaines et sociales sur les caractéristiques des sociétés en transition
- soutenir les autres initiatives de LUE qui travaillent sur ces mêmes transitions (programmes interdisciplinaires, projets Impact), en apportant un éclairage critique et contextualisé des SHS.
Pouvez-vous expliquer en quoi ce CRET se distingue par son approche interdisciplinaire et comment vous envisagez la coordination entre les différents acteurs pour garantir une dynamique de recherche agile et efficace ?
Samuel Ferey : L’une des spécificités majeures de CELEST est son engagement interdisciplinaire. Le projet fédère des chercheurs issus de différents champs des SHS – sociologie, science politique, philosophie, droit, gestion, économie, communication, géographie… Plus précisément, quatre grands axes de recherche seront développés : 1. En quoi la réponse aux défis de transformation relève d’une évolution des pratiques scientifiques afin de se demander si le caractère systémique des transformations à venir n’impose pas de faire de la science autrement, 2. Comment l’articulation entre science et politique est renouvelée aujourd’hui par les attentes sociales et politiques concernant « la transition » et en quoi le régime d’expertise contemporain se trouve être modifié par rapport aux époques précédentes. 3. En quoi l’accompagnement des transformations à venir peut et doit passer par une évolution des cadres normatifs, à la fois éthiques et juridiques. 4. Comment ces transformations impactent les territoires de nos concitoyens et quelles en sont les dynamiques locales. Cette approche favorise une fertilisation croisée des savoirs, en dialogue constant avec d’autres disciplines (sciences naturelles, formelles, etc.) pleinement intégrée à l’écosystème LUE (programmes interdisciplinaires et projets Impacts notamment).
Pourriez-vous nous donner un exemple de ces articulations ?
Samuel Ferey : Oui bien sûr. Prenez le cas des Obligations réelles environnementales sur lequel travaille notre collègue Katia Blairon. Il s’agit d’un dispositif juridique où un propriétaire privé peut décider de protéger pour l’avenir un objet naturel en sa possession (un arbre, une marre, un éco-système…). Cela signifie que, même si la propriété foncière est vendue, le nouvel acheteur (et tous ceux qui suivront), devra respecter les obligations créées par le premier possédant. C’est une innovation juridique très intéressante et prometteuse puisque cela signifie que des individus, aujourd’hui, peuvent protéger des actifs naturels pour l’avenir (dans la pratique jusqu’à 99 ans) et imposer aux propriétaires suivants le respect de ces obligations. Elle mérite d’être étudiée afin d’en comprendre les raisons (pourquoi avoir choisi ce dispositif plutôt qu’une reconnaissance des droits de la nature - comme cela se fait en Nouvelle Zélande - ou une servitude écologique comme aux Etats-Unis ?) d’en analyser les impacts, y compris locaux, et le cas échéant de proposer des pistes d’améliorations au pouvoir politique. On a là un exemple typique où chercheurs en sciences du vivant, juristes, politistes, économistes, gestionnaires, géographes, philosophes doivent appréhender conjointement les questions de transformation de notre rapport à la nature.
Ceci n’est évidemment qu’un exemple parmi d’autres car CELEST, c’est plus de 80 chercheurs, 8 responsables de sous-axes, 15 laboratoires de SHS représentés, une UAR associée (MSHL), le soutien à des plates-formes SHS, des initiatives en formation et déjà beaucoup d’actions prévues ! Nous avons notamment, un gros travail à effectuer dans la diffusion de nos recherches auprès des décideurs publics, des acteurs privés et du grand public.
Vous avez pris la direction de CELEST mais le programme est prévu pour durer 10 ans, n’est-ce pas trop long ?
Samuel Ferey : Vous avez tout fait raison, la question de la temporalité du programme CELEST est cruciale et, avec mes collègues, nous y avons beaucoup réfléchi. D’abord, c’est une chance ! Il est assez rare que des chercheurs en SHS puissent se projeter sur une durée aussi longue, et je crois qu’il faut saluer ici les instances de LUE, qui ont offert cette possibilité aux centres transversaux. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de sites universitaires en SHS en France bénéficiant d’une telle opportunité alors même que le temps long est essentiel à la science. Ensuite, à nous d’assurer ce long terme et tout à la fois de creuser notre sillon et en sachant nous renouveler. A ce titre, du point de vue scientifique, CELEST est ouvert et quiconque est intéressé par nos travaux peut nous rejoindre, à condition évidemment que sa contribution rentre dans nos axes de recherche !