Retour sur la manifestation "Coopérer pour apprendre" - ESPE Epinal

 
Publié le 12/06/2017 - Mis à jour le 3/05/2023
Coopérer pour apprendre - Manifestation Epinal

« Coopérer pour apprendre », tel était le thème de la manifestation et d’une table ronde qui se sont tenues à l’Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education de Lorraine sur le site d’Epinal. Pas moins d’une centaine d’enseignants, enseignants-chercheurs et étudiants ont assisté aux débats et participé aux différents ateliers.

Cette manifestation inédite était organisée par l’Ecole Supérieure du Professorat et de l'Education de Lorraine Site d’Epinal et l’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne (ICEM Pédagogie Freinet) et s’inscrivait dans le cadre du Cinquantenaire de la disparition d’un grand pédagogue : Célestin Freinet. A cette occasion, les intervenants ont pu souligner la vitalité du Groupe Vosgien de l’Ecole Moderne, l’un des plus anciens groupes pédagogiques créés sous l’égide de Célestin Freinet en 1936.

Dans un discours de bienvenue, Gilles Leuvrey, directeur du site d’Epinal de l’ESPE de Lorraine devait rappeler rappeler l’importance de l’ouverture aux pédagogies nouvelles.

Denis Morin, maître de Conférences et directeur de recherches à l'Université de Lorraine, a rappelé ensuite le contexte de cette manifestation : « la classe coopérative est une matrice démocratique d’apprentissage complexe, exceptionnelle. La coopérative ne s’insère pas plus ou moins harmonieusement dans la vie de la classe, elle est la classe même. La classe est alors ce laboratoire de savoirs où des élèves cherchent à comprendre le monde. On y écrit beaucoup, des journaux, des textes libres, à son gré, on y correspond, avec une ou plusieurs classes plus ou moins lointaines, seul ou en groupe, on en sort pour des enquêtes, des visites, des travaux guidés, dans des institutions, des usines, ou pour des voyages, à la rencontre des correspondants. C’est aussi la classe hors les murs. Cette façon de faire, de penser, d’apprendre, peut se transposer dans d’autres secteurs de la recherche sociale, non plus seulement au niveau de la classe. C’est le grand défi de l’éducation : vivre ensemble, et apprendre de la vie ».  Il a ensuite posé les principaux paradoxes d’une pédagogie dont la reconnaissance n’est toujours pas d’actualité dans l'hexagone et ce malgré les progrès de la recherche et de timides avancées dans les Instructions officielles.

Un débat, nourri autour des pédagogies coopératives, a suivi la projection du film de Delphine Pinson « C’est d’apprendre qui est sacré » … Dans les premiers pas d’une classe Freinet d’aujourd’hui.

Depuis sa sortie en février 2016, ce film de 52 minutes, frais et engagé a connu un accueil enthousiaste tant auprès des enseignants qu'auprès des autres acteurs du monde éducatif et notamment, les parents. Dans ce film, Delphine Pinson, jeune enseignante, à la recherche d’une école différente dans l'école publique, nous emmène vivre le premier mois d'école dans la classe de Michel Duckit. Militant et engagé, cet enseignant pratique depuis plus de vingt ans une pédagogie personnalisée dans laquelle les apprentissages émergent directement du vivant. Pas à pas, les enfants s'emparent de ces espaces de liberté, apprivoisent l'initiative et des étincelles naissent dans leurs yeux. Avec humour et sensibilité, ce film confirme que, dans l'école publique, permettre que chaque élève trouve sa place et s'épanouisse, c'est possible. Dans cette école publique, la salle de classe est un local tout ce qu’il y a de plus classique, rectangulaire et meublé de petites tables. Peu adapté, mal insonorisé pour une pédagogie fondée sur la liberté, la coopération et l’initiative de l’enfant. Et pourtant, par un astucieux agencement du mobilier, la pièce a été aménagée en ateliers : coin lecture bibliothèque, où chaque enfant peut s’isoler ; coin expression artistique (dessin, peinture…) ; espace consacré au musée de classe et aux expériences ; espace informatique… L’espace central est occupé par les bureaux où s'élabore le travail collectif, à deux ou isolément. Les contraintes, ce sont les enfants qui les découvrent. Ils s’organisent à partir du Conseil pour y faire place par une programmation de leur travail. Ainsi, pour que le courrier parte vers les correspondants, pour que le contact puisse se faire par Internet, il faut que tout le monde ait écrit. Alors on fixe une date limite pour la rédaction des lettres.  Des écrits qu’il aura fallu préparer, illustrer. Les enfants auront donc rassemblé une documentation pour répondre aux questions posées par les correspondants et on aura enrichi son vocabulaire pour exprimer le meilleur de ce qu’on voulait communiquer.

Dans cette classe, toutes les acquisitions sont l’aboutissements de projets, de démarches actives et motivantes analogues. Ce qui étonne dans l’attitude des enfants c’est qu’ils ne restent jamais inoccupés. L’enseignant se déplace de l’un à l’autre quand il est interpellé. Il répond, conseille, suggère. Un enfant a-t-il fini un travail qu’il s’inscrit aussitôt et cherche à réaliser autre chose. On en trouve au coin lecture, ou à l’expression pendant que certains terminent leurs apprentissages individualisés sur des documents/fiches ou des enquêtes à réaliser; d'autres enfin remplissent avec concentration leurs tâches de tuteurs auprès d'élèves en difficulté sur un exercice donné... « Pour autant ce n’est jamais la pédagogie du laisser-faire comme le laissent entendre certains médias, bien au contraire » explique l’enseignant qui laisse toujours la porte de sa classe ouverte, comme une invitation permanente à celles et ceux qui voudraient voir, connaître…

La table ronde a permis d’exposer les principes et l’actualité de la pédagogie Freinet, une pédagogie qui place l’enfant au cœur des apprentissages et dont les résultats sont unanimement reconnus par les scientifiques. Les discussions et les nombreuses interventions ont permis de relever les nombreux paradoxes liés à Célestin Freinet et ce qui nous vient de lui, ce qui perdure envers et contre tous : en France, il y a d’abord une double méconnaissance, celle de ses idées, et celle de l’actualité du mouvement pédagogique qu’il a créé ; en Europe et dans le monde, un mouvement et un modèle pédagogique reconnu, presque totalement ignoré dans l’hexagone. Autre paradoxe et non des moindre, la pédagogie Freinet est particulièrement développée en Finlande, un pays européen placé en tête des enquêtes internationales concernant la réussite scolaire. Le mouvement Finlandais de l’Ecole Moderne, Elämänkoulu, fondé en 1985 a joué un rôle fondamental dans les réformes du système éducatif. La coopération constitue un pivot du système éducatif avec les résultats que l’on sait. 

Célestin Freinet : un précurseur

Bar-sur-Loup, petit village des Alpes du Sud, 1920. Gravement blessé au poumon pendant la guerre, le nouvel instituteur, Célestin Freinet, a du mal à parler longtemps dans l’atmosphère éprouvante d’une classe primaire. Désemparé, Freinet se heurte à une autre évidence : l’école ne concerne pas les enfants, ainsi qu’en témoignent les sinistres tableaux de certaines méthode syllabiques… Né à Gars dans les Alpes Maritimes, en 1896, normalien à l’aube de la Grande Guerre, il devient instituteur avec la ferme intention de transformer une société « responsable de milliers de vies humaines ». Pour cela il mise sur une école laïque nouvelle où seraient données «  une éducation et une instruction humaines, sociales, démocratiques, populaires, une école apte à émanciper le peuple en le formant à la prise de ses responsabilités et à la défense de ses droits ». Il réalise alors que ses élèves sont prêts à prendre une part active dans l’enseignement. Mais il faudrait qu’ils puissent se frotter à la réalité. Le jeune instituteur les emmène donc, chaque après-midi, en classe-promenade, sous l’œil sceptique des villageois. De ces visites, sortiront des comptes rendus que les enfants recopieront et illustreront. Comment perpétuer l’existence éphémère de ces textes ? L’imprimerie est la solution choisie par Freinet qui, pour perfectionner et diffuser la nouvelle technique, crée en 1924 la Coopérative de l’enseignement Laïc (CEL). L’imprimerie débouche sur le journal de classe, la correspondance interscolaire, le fichier autocorrectif et la Bibliothèque de Travail (BT). En 1928, Freinet quitte Bar-sur-Loup pour Saint-Paul-de-Vence. En ces années de crise, sa pédagogie révolutionnaire devient le point de mire de la France entière. Le bouillant pédagogue devra ouvrir sa propre école, qu’il réserve en priorité aux fils d’ouvriers, et de paysans. Il créé alors l’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne (ICEM) œuvre de recherche pédagogique et de mise au point des éditions. Le mouvement, qui compte alors une centaine d’adhérents, laisse une entière liberté politique à ses membres, et lutte pour une pédagogie populaire. Pendant le Front populaire, le mouvement regroupe plus de 1500 enseignants. Lutte pédagogique et activité militante ne font qu’un, alors, pour Freinet. Il rédige le Front de l’Enfance, une charte militante pour l’école du peuple. Pendant la guerre, il écrit, en camp de concentration, l’Education du travail, puis l’Expérience tâtonnée et l’Essai de psychologie sensible. Après la Libération, le mouvement reprend ses travaux, avec des milliers de nouveaux adhérents. Aujourd’hui, le Ministère de l’Education, après avoir longtemps jeté l’anathème sur la personne de son fondateur, recommande dans de nombreux textes l’utilisation des techniques Freinet, sans toutefois les nommer et surtout sans les replacer dans le contexte de la coopération et du vivre ensemble, ce qui pourtant fait toute l’originalité et la modernité de son précurseur. 

La coopération au coeur du processus de formation

Malgré les incitations à développer la coopération dans les programmes, c’est une pédagogie qui reste peu pratiquée. Et pourtant : les évènements encore récents démontrent l’urgence à développer une pédagogie de la coopération et du vivre ensemble, et au-delà ; coopérer est une démarche d’apprentissage dont tous les chercheurs s’accordent pour en plébisciter les valeurs et l’efficacité. Débats autour de la pédagogie mais aussi évocation d’un grand pédagogue avec tour à tour des interventions multiples d’Olivier Francomme, enseignant chercheur à l’Université de Picardie et Directeur du Laboratoire « China Cooperative Research Center for Moderne School » (Jiaxing, Chine de l’Est), chargé de mission à la Fédération Internationale des Mouvements de l'Ecole Moderne (FIMEM) (https://www.fimem-freinet.org/), Henri Louis Go, Maitre de Conférences à l’Université de Lorraine et Directeur de l'Institut Freinet de Vence   (http://ecolefreinet.org/et Marc Hilger, responsable de l’Ecole inclusive Eis Schoule au Luxembourg. La présence d’enseignants, praticiens des pédagogies coopératives dans la salle a permis d’enrichir les débats et d'exposer les multiples facettes de la pédagogie Freinet mais aussi des pédagogies coopératives de la Maternelle à l’Université.

La deuxième partie de cette manifestation était consacrée aux ateliers de pratiques coopératives, dirigés et animés par des praticiens : enseignants et éducateurs des mouvements pédagogiques de Lorraine regroupés au sein du Collectif des Associations Partenaires de l’Ecole Publique (CAPE). Le public enseignant et étudiant s’est essayé à construire des jouets en bois en quelques minutes sous la conduite de Wilfried Furt, Colette Coquard et Delphine Briot des Centres d’Entrainement aux Méthodes d’Education Active (CEMEA) autour de mallettes bois ; créer des poésies avec l’atelier d’écriture de Philippe Vallet du Groupe Français d’Education Nouvelle (GFEN) ; découvrir et pratiquer les jeux coopératifs développés par Jean-Pierre Demoulin de l’Office Central de la Coopération à l’Ecole (OCCE) et s’essayer à monter des projets comme pourraient le faire des enfants ; vivre une approche interdisciplinaire comme fil conducteur au sein d’une école inclusive proposé par Marc Hilger et Ben Wagener Enseignants à Eis Schoul et membres du comité d’école de Eis Schoul (www.eisschoul.lu) au Luxembourg. L’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne (ICEM Pédagogie Freinet) organisait quatre ateliers autour du texte libre avec Marguerite Bialas et Jose Tome, de l’individualisation des apprentissages avec Olivier Francomme et Denis Morin ; autour des messages clairs avec Sylvie Denet, Marie-Clotilde Etienne et Anne Mansuy-Etienne ; autour des débats philosophiques avec Philippe Durand ; enfin avec des pratiques de manipulation de robots autoprogrammés avec Laurent Bouhours. 

Coopérer pour apprendre... Une mise en situation concrète de pratiques coopératives alternatives, une manifestation à la fois scientifique et pédagogique autour de la coopération et de l’agir et un authentique moment de formation : apprendre et se former ensemble, en pratiquant.

Contacts avec les Mouvements pédagogiques de Lorraine :

Centres d'Entrainement aux Méthodes d'Education Active - CEMEA : http://www.cemea.asso.fr/

Groupe Français d'Education Nouvelle - GFEN: http://www.gfen.asso.fr/fr/accueil

Institut Coopératif de l'Ecole Moderne - ICEM Pédagogie Freinet : https://www.icem-pedagogie-freinet.org/

Office Central de la Coopération à l'Ecole - OCCE :  http://www2.occe.coop/

 

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