Un an après, Rémi Malingrëy a porté un regard graphique et personnel sur cet article. C'est l'occasion pour Dominique Macaire, professeure à l'Espé de Lorraine, de revenir sur sa contribution à The Conversation France :
Trouver les mots justes ? Changer les codes ?
Les élections aux USA n’ont pas grand chose en commun avec les événements terroristes à Paris, et pourtant… ils laissent sans voix, sidérés. Et l’on se demande comment parler aux jeunes générations de la société qui se dessine pour leur avenir. Derrière la peur ou la panique qui saisit, derrière les déclarations fracassantes relayées par la presse, il y a des valeurs qui ont pris le large, que l’on n’a plus assez dites et contextualisées dans le quotidien, qui deviennent l’occasion de contradictions et laissent place aux individualismes.
Avant de « trouver les mots justes », l’école doit réinterroger le sens et réinventer les mots eux-mêmes, au nom de la liberté : « sur les murs de l’école, j’écris ton nom, Liberté ». Et puis, finalement, l’école ne devrait-elle pas changer ses codes, réviser les rôles en donnant une place davantage proactive aux élèves, à tous les élèves dans le respect de l’inclusion ? Les « mots justes », s’ils existent, se diront ensemble.
Les enfants d’aujourd’hui doivent apprendre à vivre dans le fluide, les incertitudes, ce qui rend encore plus nécessaire le recours à leurs bases, à des valeurs éducatives et citoyennes que les enseignants comme les familles devraient aider à construire dans une cohérence concertée.
16 novembre 2015
Après les attentats, l’école a repris, les classes ouvrent de nouveau et le deuil national de 3 jours est encore présent. Comment parler aux enfants, aux élèves et aux étudiants, à nos jeunes ? Durant tout le week-end se sont déroulés des rassemblements spontanés, des bougies ont été allumées. Sur le sol, on a écrit « Pour eux » avec la date. Mais comment les jeunes peuvent-ils comprendre ?
Plusieurs enseignantes venant de niveaux de classes et de disciplines diverses ont réfléchi et ont partagé avec nous les différentes actions qu’elles vont mener, sans penser qu’il s’agisse pour autant de modèles.
Nous sommes toutes démunis devant l’horreur, chacune va contribuer à sa manière, aucune ne recule. Toutes affichent qu’il est possible de faire quelque chose avec les enfants dès le plus jeune âge, les jeunes et les étudiants. Aucun silence ne répondra pour elles à l’agression du 13 novembre à Paris.
Des questions chez les enseignants
Annabelle, enseignante en collège, écrit : « C’est sûr, les professeurs de français se sentent concernés et s’interrogent !… Faut-il parler des attentats, comment en parler, sommes-nous légitimes en faisant cela, ne va-t-on pas faire plus de mal que de bien, comment gérer des réactions extrêmes ou inacceptables éventuelles de la part de certains élèves ? Si on ouvre l’espace de parole, il faut sans doute accepter de tout entendre (on l’a vu au mois de janvier). Comment réagir alors ? L’institution nous demande de signaler tout dérapage… Est-ce la bonne façon de gérer tout cela ? Les élèves vont-ils en parler à chaque heure de cours (dans ce cas, ça perd de son intérêt si on a la classe l’après-midi) ?
Et puis, j’ai conscience qu’en parler veut dire être capable de gérer toutes les remarques en restant professionnel, digne, fort, solide, pour aider les élèves, mais … je me sens au bord des larmes, fragile. J’en ai parlé avec ma fille qui est revenue du lycée samedi midi. Je lui ai demandé si elle avait parlé des attentats en classe, elle m’a répondu « Non, les profs, ils s’en foutent, ils ont dit qu’on avait autre chose à faire ». J’ai compris ce qu’ils avaient voulu dire avec maladresse, mais ça m’a fait mal. Je pense qu’en dehors de l’ampleur du nombre de victimes, il s’agit essentiellement de jeunes, agressés dans des moments de loisir, donc nos élèves se sentent vraiment concernés. Je crois que c’est sur ça que je voudrais d’abord les faire réfléchir. Quels étaient les lieux visés, pourquoi, en quoi c’est une atteinte à la liberté, qu’est-ce que ça veut dire la tolérance… ».
Ainsi, la liste de diffusion de Weblettres, le site associatif des professeurs de lettres, se fait l’écho des questions qui agitent les enseignants de français. Comment retrouver une place de guide lorsque le drame nous submerge ? Le site livre des pistes pour tous ceux qui se sentent démunis, mais ne veulent pas fuir. Les valeurs d’humanisme, la liberté, la culture, c’est tous ensemble dans la classe. Il s’agit de (re)créer la communauté et de la faire vivre.
Le besoin de rassurer
Monique, directrice d’école primaire dit : « En arrivant à l’école, je vais entendre mes collègues, voir comment nous allons procéder pour cette minute de silence, rassurer les élèves. Il s’agira pour nous dans un premier temps, d’accueillir les paroles des élèves, mettre des mots sur les ressentis, rester factuel, ne pas interpréter. »
Certains élèves ne comprennent pas ce qui se passe. Le « même pas peur » des adultes leur est étranger, ils balayent la réalité d’un revers de manche, s’enferment dans des postures de repli. Que faire ? Nombre d’entre eux sont aussi touchés par la peur qu’ils sentent malgré tout dans l’attitude des adultes.
Et certains se sentent stigmatisés, en danger peut-être… Il faut rassurer la jeunesse, ne pas laisser libre cours à cette ambiance.
Dany, enseignante en primaire, a décidé de mettre en place des activités autour de symboles : la paix, le vivre ensemble, par des activités de coopération positive et non de conflit ou de compétition. Elle a choisi des tâches développant les compétences sociales, des activités et des jeux pour se respecter, s’écouter, négocier ensemble.
Dans ces jeux, on poursuit un objectif commun, personne ne gagne ou ne perd seul et l’on découvre que c’est plus facile de perdre ensemble ou que l’on a bien plus de plaisir à résoudre collectivement un défi que seul (ex. le jeu allemand Tempo kleine Schnecke de Ravensburger, les jeux de plateaux, La ronde des oies, Le bal masqué des coccinelles). Ou encore on coopère pour atteindre un but ensemble, comme avec les jeux de rôles collectifs où chaque enfant est impliqué et apporte sa pierre à l’édifice (construire ensemble, faire une valise qu’un animal défait, etc.).
Selon le site non-violence actualité, « le développement des compétences psychosociales telles que la négociation, la résolution de conflits, la pensée créatrice, la capacité à prendre des décisions, à faire face aux évènements, les relations interpersonnelles et la communication, sont des éléments importants pour permettre un mieux-être individuel et collectif. Les recherches conduisent aux mêmes conclusions pour ce qui concerne la prévention des violences. Les phénomènes de violence résultent souvent d’une absence de parole ».
Dans ces jeux, le plaisir est présent et fondement de l’acte d’apprendre ensemble et de résoudre des problèmes en groupe.
Le besoin d’échanger et de partager
Carole, une enseignante de grande section, a opté pour accrocher un grand drap blanc dans la classe, sur lequel en arrivant à l’école les enfants ont dessiné avec de gros feutres de couleur ce qu’ils ont entendu, ressenti, vu durant ce week-end. Ensuite, assis en cercle, ils en ont discuté ensemble. Certains ne disaient rien, mais tous avaient dessiné. La parole ne libère pas toujours, surtout chez les très jeunes enfants. Mettre des mots sur l’indicible, s’apercevoir que les mots ne suffisent pas toujours.
Dans cette classe, il y a une forte proportion d’enfants dont le français n’est pas la langue de la maison. On a alors particulièrement pris en compte leurs dessins. Et expliqué ensuite les événements pour mettre des mots sur les faits, pour comprendre : « C’est quoi un attentat ? Tu as peur d’aller à l’école, toi ? Papa et maman ont éteint la TV ce week-end ; pourquoi ? »
Pour Carole, comme pour beaucoup d’autres enseignants, le temps de s’exprimer est primordial, mais aussi et avant tout le temps d’écouter les angoisses et les questions des jeunes. Ensuite, les élèves ont fait une ronde en écoutant des musiques du monde. Ensemble, par la musique et la danse, ils ont combattu les démons. L’art et le corps au service de la paix.
En primaire, et dans un second temps, une enseignante prévoit de mettre en place des débats réglés et d’organiser des ateliers philo. Une autre ne sait que faire, alors elle utilise le dossier d’Astrapi. Chacun sa solution, mais ne pas laisser le silence et l’ignorance s’installer…
Fatma, enseignante d’anglais en collège, s’exprime en anglais pour en parler :
1 : Listen
2 : Share
3 : Draw conclusions that have never been put foward !My option will be a constructive approach :
1 : The lessons in the next few weeks will be focussed on the future :
2 : These lessons will be followed up by a conditionnal tense : to promote a creative sence of a future.
Le besoin de recourir à nos fondements culturels
Dans la classe de Valérie, les élèves vont relire des textes littéraires. Ils verront qu’à diverses époques, Céline (Voyage au bout de la nuit) ou Camus (« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse »), tout comme bien d’autres grands penseurs, ont aussi contribué aux questions d’aujourd’hui.
Plusieurs enseignants de français soulignent l’importance d’expliquer l’Humanisme et les Lumières. Weblettres propose un choix de textes sous le titre « Notre arme à nous, c’est la culture ». Dans la classe de Nathalie, c’est le cinéma qui va aider les élèves avec le point de vue suivant : « Je veux leur montrer, comme prévu, cet extrait de La Nuit américaine de Truffaut.
Le besoin de s’inscrire dans la durée
A la fin de la matinée en maternelle, les enfants de la classe de Carole ont décidé d’écrire à d’autres enfants du 11e arrondissement dont on leur avait parlé il y a quelques temps.
Et puis il y a le danger des rumeurs qui font et défont les croyances avec davantage d’impact que le travail dans la durée parfois. Alors par exemple, on utilisera au second degré des articles parus sur les sites de presse.
Chez Monique, la directrice d’école primaire, c’est aussi dans la durée que l’on va s’inscrire. Pas seulement en agissant les premiers jours, mais en proposant des activités hebdomadaires pour développer le sens de l’autre et du respect.
Elle s’appuie sur les travaux de Serge Tisseron et notamment sur le jeu des 3F (le jeu des trois figures). Serge Tisseron est psychiatre, et chercheur associé à l’université Paris 7. Les avis des psychiatres, leur aide est nécessaire pour les enseignants démunis. Ici, les 3F ce sont les trois figures de l’agresseur, de la victime et du tiers. Dans un jeu de rôle sur un thème inventé, les élèves vont alternativement jouer chacun des trois rôles et les discuter ensuite.
Ce travail de recherche a servi notamment pour évacuer la violence devant les écrans de TV. Monique va le reprendre et d’adapter à la situation présente. Ces activités se dérouleront chaque semaine durant un mois.
D’autres envisagent des expositions sur la paix, la tolérance, construites par plusieurs classes et réunies dans le hall d’accueil de l’établissement. Les enseignantes (dont les noms ont été modifiés) qui nous ont soumis leurs suggestions sont des femmes de tous les jours, avec des doutes et leurs propres peurs.
Mais elles ont partagé pour que ne s’installe pas la barbarie.
Dominique Macaire, Professeure des universités à l'école supérieure du professorat et de l'éducation, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.