Découverte essentielle sur la formation de la croûte continentale par des chercheurs lorrains

 
Publié le 11/06/2013 - Mis à jour le 2/07/2013
Croûte terrestre

Il y a 3,5 milliards d’années, soit environ 1 milliard d’années après la formation de la Terre, une croûte continentale importante occupant environ la moitié de son volume actuel existait déjà. C’est ce que vient de montrer une équipe franco-britannique par l’analyse géochimique de l’argon présent dans des inclusions fluides de tailles micrométriques contenues dans des quartz de la formation Dresser, région de North Pole (Australie du sud-ouest). Ces travaux sont publiés dans la revue Nature du 6 Juin 2013.

Que savons-nous de la formation de la croûte terrestre en dehors du fait qu’elle est issue de processus magmatique l’ayant, en quelque sorte, extrait du manteau et que les roches les plus anciennes présentes à la surface de la Terre datent de 4 milliards d’années? Encore relativement peu de chose.

Pour tenter d’y voir plus clair, une équipe de chercheurs (Magali Pujol – ingénieure ENSG, Ph D de l’Univ. de Lorraine, Bernard Marty -  prof. CRPG-ENSG-UL, Grenville Turner – inventeur de la méthode Ar-Ar, Ray Burgess de l’Université de Manchester et Pascal Philippot de l’IPG Paris) a entrepris l’analyse géochimique de l’argon présent en inclusions fluides dans des quartz du continent australien, vieux de 3,5 milliards d’années. En effet, lors de leur cristallisation, les minéraux, et le quartz en particulier, piègent dans des défauts de croissance, des cavités, des fluides présents au moment de leur formation. De ce fait, ils en préservent certaines caractéristiques, géochimiques notamment, qu’il est possible d’analyser. Le faire, c’est avoir directement accès à des propriétés de l’environnement terrestre aux temps les plus reculés.

Pourquoi s’intéresser à l’argon ? Cet élément existe sous trois formes isotopiques 36Ar, 38Ar, 40Ar. Les deux premiers, présents dès l’origine, ont augmenté dans l’atmosphère terrestre au cours du temps par dégazage de la Terre solide (volcanisme et tectonique). Ces deux isotopes se sont dégazés principalement durant les premières dizaines de millions d’années, et leur abondance atmosphérique n’a ensuite pas varié significativement. Au contraire, le troisième isotope de l’argon, L’argon-40, provient de la désintégration radioactive du potassium-40, qui a une demi-vie de 1,25 milliards d’années. Il s’est donc accumulé progressivement dans l’atmosphère, par dégazage de la croûte et du manteau au cours du temps. Ainsi le rapport entre l’argon-40 et un autre isotope de l’argon, par exemple l’argon-36, a augmenté d’une valeur proche de 0 au début de l’histoire de la Terre vers sa valeur atmosphérique actuelle de 299. Cependant, l’histoire est là plus compliquée. Le potassium, dont l’isotope 40 est le parent de l’argon-40, a été transféré du manteau vers la croûte au cours de la croissance de celle-ci, et le dégazage qui a permis à l’argon-40 produit par la désintégration du potassium de s’accumuler dans l’atmosphère à été inhibé au cours du temps du fait du refroidissement de la croûte. Ainsi le rapport isotopique de l’argon dépend également du volume de croûte, et sa variation au cours du temps est un enregistrement du taux de croissance crustale.

Le quartz analysé par l’équipe fait partie d’un dépôt hydrothermal remplissant une cavité de dégazage d’une lave datant de 3,5 milliards d’années et provenant de North Pole, dans la région des Pilbara en Australie du Nord-Ouest. Le quartz a d’abord été irradié par activation neutronique, puis broyé sous vide et chauffé par pallier pour libérer l’argon à analyser. Les résultats révèlent que ces inclusions contiennent un mélange de fluide hydrothermal et d’eau de surface datant de la formation du quartz (3,5 millards d’années), contenant des gaz atmosphériques en solution. A cette époque le rapport 40Ar/36Ar était à peu près de la moitié de sa valeur actuelle  299. Les données intégrées dans un modèle de croissance de la croûte au cours du temps permettent aux auteurs de conclure que la croûte continentale s’est principalement formée durant l’Archéen entre 3,8 et 2,7 milliards d’années. Après cette période et jusqu’à l’époque actuelle, le taux de croissance a été faible, l’essentiel de la croûte créée étant vraisemblablement recyclée ou retravaillée.

D’une manière générale, l’érosion de la croûte continentale s’accompagne de consommation de CO2. Le développement de la croûte à l’Archéen peut expliquer simplement le passage d’une atmosphère riche en dioxyde de carbone entraînant un effet de serre compensant à l’époque un soleil plus froid, à une atmosphère au CO2 raréfié, responsable des premières glaciations globales à la fin de l’Archéen.

Contact

Bernard Marty,  Université de Lorraine  Centre de recherches pétrographiques et géochimiques (CRPG)/CNRS/Université de Lorraine

bmarty@crpg.cnrs-nancy.fr  Tél : 03 83 59 42 22