Benoit Grasser, vice-président adjoint à la politique scientifique de l’Université de Lorraine devient le directeur exécutif de Lorraine Université d’Excellence depuis le 1er janvier 2025. Il succède ainsi à Karl Tombre qui a fait valoir ses droits à la retraite. Rencontre.
Pouvez-vous vous présenter et présenter votre parcours ?
Benoît Grasser : « Je suis professeur en Sciences de Gestion et Management, en poste à IAE Nancy et membre du laboratoire CEREFIGE. Je suis spécialiste en théorie des organisations et en gestion des ressources humaines. Je m’intéresse plus particulièrement au management des compétences, à la manière dont les compétences deviennent des enjeux stratégiques et sociaux pour les organisations, et aux processus de type apprentissage organisationnel, sensemaking ou routines dynamiques qui permettent de modéliser l’emboîtement des niveaux de compétences, des individus à l’organisation en passant par le collectif. Mes recherches se sont nourries de nombreux terrains dans des entreprises industrielles, à l’hôpital, dans des organisations publiques ou parapubliques, ou, plus récemment, dans le secteur de la forêt.
J’ai enseigné à l’IUT d’Epinal pendant 10 ans puis j’ai rejoint l’IAE Nancy en 2008. J’ai longtemps exercé différentes responsabilités pédagogiques, dont le pilotage d’un parcours de Master en gestion des Ressources Humaines orienté sur la gestion des compétences.
J’ai été directeur-adjoint du CEREFIGE pendant 6 ans, puis j’ai été chargé de mission pour la contractualisation des unités de recherche auprès de Frédéric Villieras lors de la précédente mandature. Je suis actuellement membre de l’équipe politique d’Hélène Boulanger en tant que Vice-président, adjoint à la politique scientifique, travaillant plus particulièrement auprès d’Alain Hehn, Vice-président du Conseil Scientifique. Le dialogue entre la gouvernance de LUE et les organes de délibération ou de décision de l’Université de Lorraine a été renforcé dans la dernière période, avec un rôle plus important joué notamment par le Conseil Scientifique et le Conseil de la Formation. C’est la voie que je poursuivrai en tant que Vice-président et Directeur Exécutif de LUE. »
Pourquoi l'interdisciplinarité est-elle au coeur de LUE ?
Benoît Grasser : « Le pilier de l’interdisciplinarité est sans doute le plus original dans la démarche LUE. J'ai moi-même beaucoup expérimenté le travail de recherche à l’intersection de plusieurs disciplines, en collaborant régulièrement avec des économistes, des sociologues ou des psychologues du travail par exemple. J’ai aussi été responsable pendant la phase probatoire de LUE de l’Impact Exploratoire C-SHIFT, qui impliquait des disciplines traitant de l’informatique, des automatismes, de la santé et des organisations. La codirection de deux thèses se situant dans le champ forestier m’a également permis de m’ouvrir à cette autre communauté scientifique. Ces expériences m’ont permis de connaître tout aussi bien les potentialités de l’interdisciplinarité que ses limites et difficultés.
L’interdisciplinarité est effectivement au cœur de LUE. Il est nécessaire cependant de préciser que l’interdisciplinarité telle que pensée dans LUE n’est pas une alternative à l’expertise scientifique disciplinaire. C’est bien au sein de chaque communauté scientifique que se développent les corpus de connaissances nécessaires aux échanges interdisciplinaires, et c’est là principalement que se fait la validation scientifique par les pairs. D’ailleurs, la plupart du temps, ce sont les projets qui sont interdisciplinaires plus que les chercheurs. Cela étant posé, la raison essentielle du besoin d’interdisciplinarité est à rechercher dans la nécessité d’agréger et de combiner plusieurs types de connaissances pour pouvoir faire un pas de côté, de se confronter différemment à la complexité des défis auxquels nous devons faire face. Cette interdisciplinarité est nécessairement multiple, que ce soit dans l’ampleur du spectre des disciplines impliquées ou bien dans les méthodes mises en œuvre, mais elle doit faire l’objet d’efforts constants qu’il faut soutenir et sur lesquels il faut capitaliser. De manière complémentaire aux programmes portés par ORION, l’interdisciplinarité encouragée par LUE doit également irriguer la formation, que ce soit en faisant évoluer les connaissances enseignées ou bien en proposant des approches pédagogiques innovantes impliquant plusieurs disciplines.
Bien que hautement souhaitable et souvent souhaitée, l’interdisciplinarité en tant que telle reste un défi, parce qu’elle soulève de très nombreuses questions, notamment méthodologiques, et qu’elle est très timidement reconnue par les différentes instances d’évaluation de la recherche. Mais elle est transformante, et LUE doit donc être un endroit privilégié où l’on peut la penser, l’expérimenter, et la partager. »
Quelles sont vos ambitions futures pour la dynamique de LUE pérennisé ?
Benoît Grasser : « Je tiens tout d’abord à remercier Karl Tombre. Il a été l’artisan principal de LUE et a porté cette vision d’ingénierie systémique globale centrée sur des grands défis qui en est la marque de fabrique fondatrice. Il a pu s’appuyer sur le travail très efficace de la cellule LUE qui doit aussi être remerciée, et avec laquelle j’aurai grand plaisir à collaborer. LUE reste avant tout un dispositif de site, piloté conjointement par l’UL et ses partenaires (CNRS, CHRU de Nancy, Georgia Tech Europe, Inria, INRAE, Inserm et AgroParisTech), et orienté vers ses valeurs cardinales que sont l’interdisciplinarité, la volonté de traiter de défis sociétaux ciblés, l’internationalisation, et sa vocation transformatrice. C’est à cette fin en effet que des moyens supplémentaires ont été accordés dans le cadre de l’ISITE.
Dans cette perspective, l’objectif majeur de la période à venir est de réussir la transformation liée au passage à LUE pérennisé. La phase d'émergence des nouveaux programmes (Programmes Interdisciplinaires, Impacts, et Centres de Recherche et d’Expertise Transversale) arrive à son terme. Les premiers programmes sont créés, d’autres sont envoyés pour évaluation à des experts externes, d’autres encore sont sur le point de l’être ou doivent encore être finalisés pour pouvoir être expertisés à leur tour. L’idée générale est d’avoir une structuration stabilisée ou quasi-stabilisée à échéance de l’été 2025. Une fois finalisée cette étape, le deuxième objectif sera de soutenir ces programmes, avec l’aide des Project Managers de LUE et en lien avec les instances, pour qu’ils génèrent effectivement les dynamiques attendues et qu’ils restent connectés et ouverts à l’ensemble de la communauté scientifique du site. Enfin, le troisième objectif sera d’initier une logique d’auto-évaluation continue de LUE, pour deux raisons essentielles. La première raison est très prosaïque : si la pérennisation nous permet de nous projeter raisonnablement sur le temps long, elle ne nous met pas à l’abri de devoir rendre des comptes à un moment ou à un autre sur les activités soutenues par LUE et leurs résultats scientifiques, et il nous faudra être prêts. La seconde raison renvoie à la nécessité d’avoir des indicateurs à des fins d’apprentissage collectif. Tous les programmes sont en effet des dispositifs ambitieux, expérimentaux, originaux à bien des égards. Il s’agit donc d’élaborer des méthodologies adaptées pour produire des indicateurs pertinents, en termes de capacité à éclairer les problématiques liées aux défis sociétaux, de progression de l’interdisciplinarité, ou d’impacts allant au-delà du monde académique. Une réflexion en ce sens a été initiée avec l’aide de l’Advisory Board et d’un groupe de travail « Indicateurs d’impacts », et va commencer à être partagée beaucoup plus largement. Au-delà des ces objectifs propres aux programmes interdisciplinaires, les autres dispositifs de LUE visant à soutenir l’internationalisation ou l’attractivité seront largement maintenus car ils correspondent manifestement aux attentes de la communauté. »