Une épée de l’âge du bronze, l'épée d'Obernai, datée du Bronze final (1 300-800 Av. J.-C.) a été intégralement reconstituée à l’issue d’une opération métallurgique expérimentale inédite : une première pour un objet de cette taille. L’opération de fonte qui a duré un peu moins d’une heure a permis de démontrer l’usage et la pertinence des moules bivalves de grande taille en grès des Vosges pour une telle fabrication de même que l’utilisation de soufflets rudimentaires à base d’outres en peaux.
Cette prouesse technique est le résultat d’une longue coopération et d’un travail entre deux archéologues, tous deux spécialistes en archéologie des techniques, le préhistorien Jean Sainty fondateur du Centre Expérimental de Préhistoire Alsacienne (CEPA) et Denis Morin, enseignant chercheur à l’Université de Lorraine, rattaché au laboratoire EA 1132, HISCANT-MA et au CNRS UMR 5608, avec l’appui d’un forgeron professionnel, Jean Marche.
Cette opération s’inscrit dans un programme original consacré à l’origine des techniques d’extraction et de transformation des ressources minérales en Europe : des travaux qui se concrétisent aussi bien par des recherches sur le terrain qu’en laboratoire.
Les épées apparaissent au Bronze moyen et se multiplient au Bronze final avec diverses variantes typologiques. La lame en bronze découverte en 1969 à Obernai (Bas-Rhin) et qui a servi de modèle à cette expérimentation, se rattache au type de Krautergersheim à languette tripartite et bords étroits, perforée d'une série d’orifices de rivets circulaires pour la fixation du manche. La lame est de type pistilliforme. Une languette à bouton circulaire et crochet arrondi accompagne l’épée. Le haut de la lame, sous la soie, est pourvu de ricasso, petites encoches pratiquées sur le tranchant lui-même, permettant d’y placer le pouce pour frapper. Les mensurations de cette épée exceptionnelle sont les suivantes :
- largeur maximum 4,7 cm.
- longueur totale de la lame 58,8 cm.
- longueur de la poignée: 10,2 cm.
L’analyse de l'alliage réalisé sur l’objet, a donné en pourcentage : 91,2% de cuivre, 7,7% d’étain, 0,30% de plomb et 0,25% d’arsenic. Le métal reconstitué lors de l’expérimentation renferme ces proportions à l’identique. Avec les exemplaires d’Eguisheim et de Meyenheim, c’est la troisième épée de ce type trouvée en Alsace.
C’est probablement à partir du 7e millénaire que la métallurgie du cuivre fait son apparition dans un vaste secteur géographique qui s’étend de l’Anatolie à l’Iran, région riche en gisements métallifères. Dans un premier temps, le cuivre découvert à l’état natif est travaillé à froid par martelage, puis chauffé, pour le rendre plus malléable. Ces techniques, très rudimentaires, permettent la confection de petits objets : alènes, aiguilles, perles, crochets… Dans le sud-est de la Turquie, le gisement de Cayönü a permis de recueillir une quarantaine d’objets en cuivre dans des couches archéologiques datées entre 7 250 et 6 750 ans av. J.-C. Il s’agit des plus anciennes traces connues de la métallurgie. Ce n’est que plus tard, à partir du 5e millénaire que la métallurgie du cuivre se développe au Proche-Orient. Les artisans fondeurs, grâce au savoir-faire des potiers, qui maîtrisent parfaitement bien la cuisson des céramiques, parviennent à atteindre des températures supérieures à 1000°, nécessaires à la réduction des minerais pour obtenir du cuivre. La fusion de ce métal dans des creusets en terre cuite permet de le couler dans des moules en pierre qui comportent l’empreinte en creux des objets à réaliser. Par quelles voies de passage l’usage du cuivre atteignit-il l’Europe ? La réponse est complexe car la diffusion du métal se développe de proche en proche à partir des centres d’innovation initiaux mais également en fonction de la répartition géographique des gisements de minerai. Cette phase ancienne, difficile à saisir, est appelée Chalcolithique ou Âge du cuivre. Au cours de cette période, des civilisations connaissant déjà le métal se côtoient avec d’autres vivant encore exclusivement sur les acquis du Néolithique. A partir de l’Egée et de l’Anatolie, trois grands courants de diffusion sont perceptibles : par la voie orientale des Balkans et du Caucase, par la voie médiane de l’Adriatique. Par les voies occidentales permettant l’accès au Sud de la France, l’Italie, l’Espagne… Les recherches en cours dans les anciennes mines d’étain et de cuivre du massif alpin, de l’Est de la France (district minier du Warndt) et du Royaume-Uni devraient permettre de reconsidérer l’origine et la diffusion des premières techniques métallurgiques en Europe.
Elaborer des armes, des outils ou des éléments de parure en bronze, en essayant de reproduire les techniques et les gestes des artisans fondeur du deuxième millénaire, constitue un champ de recherche particulièrement novateur. L’expérimentation permet au chercheur de dépasser le stade des spéculations et de mettre en avant l’importance des gestes, des savoirs et des savoir-faire qui représentent une dimension anthropologique trop souvent négligée dans l’analyse de l’artefact.
Certes, les préhistoriques maitrisaient le métal ; les vestiges sont là pour l’attester ; il s’agit de montrer qu’ils fabriquaient des objets en conjuguant toute une série de paramètres complexes comme les contraintes de la matière et du feu, un certain nombre de conduites idéelles et l’existence de schèmes cognitifs. La fabrication de l’épée d’Obernai permet d’aborder la notion de chaîne opératoire de manière objective et démontre le savoir-faire exceptionnel de ces premiers métallurgistes européens.