Les recherches entreprises sur la métallurgie du fer au Haut Moyen Âge ont permis de mettre en évidence la présence de nombreux sites dans le Grand Est proches des zones d’approvisionnement en minerais de qualité.
Les sites métallurgiques dans le Grand Est et leurs minerais de qualité
Les traces archéologiques de cette activité sont essentiellement présentes sous forme de scories. Les prospections au sol ont mis en évidence l’utilisation de deux types de minerais : des minerais à oolithes ferrugineuses d’origine marine (appelé aussi minerai de fer en roche), formés au Mésozoïque à partir du fer hérité du lessivage des sols ferrugineux des zones émergées et des minerais d’altération que les anciens auteurs anciens nommaient minerais en grains, bohnherz, minerais pisolithiques ou pisiformes. Ces derniers se sont formés au Plio-Pléistocène et sont issus du démantèlement de sols de type latéritiques. Au 19e siècle certains maîtres de forges mélangeaient les deux types de minerais dans le gueulard des hauts fourneaux.
La combinaison de minerais dans les hauts fourneaux
Dans la continuité des travaux entrepris au Centre de Recherche en Archéologie Expérimentale de l'Est (CRAE) du Mont Vaudois sur le comportement des matériaux et sur les gestes techniques, une expérimentation de réduction par le procédé direct a été entreprise. Ce type d’opération avec des minerais d’origine régionale avait pour objectif de tester leur faisabilité tout en fournissant des informations sur les gestes techniques mis en œuvre pour parvenir à cette production.
Enregistrées en continu par Rémi Brageu (UMR 8220 du CNRS), les images seront assemblées pour venir composer un court métrage axé sur les conditions d’expérimentation et sur la gestuelle mécanique enregistrée au cours des différentes étapes de la chaine opératoire. Ce travail sera comparé et mis en perspective avec des prises de vue cinématographiques anciennes: reportages ethnographiques sur des sites de réduction du continent africain. Une analyse image par image permettra de mesurer les déplacements et les gestes, apportant ainsi de précieuses informations sur les patterns de mouvement, particulièrement complexes à enregistrer.
Expérimentation de réduction par le procédé direct
André Leroi-Gourhan définissait le geste technique comme « un geste efficace sur la matière ». Les gestes techniques sont l’une des composantes qui caractérisent une tâche. Cette tâche est à l’origine l’une des composantes du fait technique qui peut se définir comme un système complexe. Analyser un fait technique suppose la mise en perspective du contexte et du geste. La gestuelle mise en œuvre autour d’une même opération technique comme la métallurgie de réduction directe peut varier en intensité comme en mouvement. Ses propriétés ont une incidence directe à la fois sur l’action et sur la dynamique qui sous-tend l’adoption de nouvelles pratiques et de nouveaux ajustements. Les contraintes liées à la nature des matériaux combinées à celles des techniques mises en œuvre peuvent modifier le déroulement de la chaîne opératoire. L’importance du geste pour appréhender certains phénomènes complexes comme l’innovation technique est ici essentielle
une équipe pluridisciplinaire pour la construction du four
L’opération qui s’est déroulée en plusieurs étapes a réuni une équipe pluridisciplinaire composée d’archéologues et d’archéomètres. La construction du four - ou réacteur - a été réalisée à partir de modèles archéologiques au moyen de limons collectés sur les glacis quaternaires des Vosges méridionales. Les minerais pisolithiques proviennent des plaines et des plateaux de Saône. Quant au minerai oolithique (minette lorraine) il a été recueilli le long des affleurements aaléniens de la cuesta médio jurassique. Une fois construit et séché, le four a été placé en roulement plusieurs heures durant au cours desquelles les charges de minerais alternées avec celles de charbon de bois se sont succédé.
L’expérimentation archéologique associée à l’observation des faits constitue un champ de recherche particulièrement fécond pour l’interprétation des traces et des vestiges, et au-delà pour la compréhension des technologies anciennes.
Indices et traces… La mémoire des gestes. Principaux acteurs/actrices et laboratoires impliqués dans ce projet
- Jean Sainty, ethno-archéologue, préhistorien, fondateur du Centre Expérimental de Préhistoire Alsacienne, directeur du Centre de Recherche en Archéologie expérimentale du Mont Vaudois CRAE.
- Rémi Brageu, Ingénieur d’études en photogrammétrie rattaché à l’UMR 8220 du CNRS et de Sorbonne Université, spécialiste en physico-chimie.
- Mathieu Courgey, archéologue, rattaché à l’équipe ERMINA (Equipe interdisciplinaire d'études et de recherches archéologiques sur les mines anciennes et le patrimoine technique)
- Amaury Losseroy, enseignant, rattaché à l’équipe ERMINA
- Michel Mauvilly, archéologue émérite, responsable du Secteur Pré - et Protohistoire auprès du Service archéologique de l'État de Fribourg (Suisse).
- Hélène Morin-Hamon, archéologue, UMR CNRS 5608
- Denis Morin, archéologue, Maitre de Conférences HDR émérite à l’Université de Lorraine, rattaché au laboratoire HisCANT-MA (EA 1132), coordinateur de l'axe "Archéologie " du Programme de valorisation et de préservation du patrimoine des Mille Étangs (Haute-Saône).