[Colloque IUF] Olivier Houdé : « C'est quand même ça, l'intelligence humaine : allier les chiffres et les lettres »

 
Publié le 25/05/2022 - Mis à jour le 14/04/2023
Olivier Houdé

Du 2 au 4 juin 2022, l’Institut universitaire de France (IUF) organise son colloque annuel à Nancy, et fait se croiser littéraires et scientifiques. Olivier Houdé, psychologue expérimentaliste et Administrateur de l'IUF, revient pour nous sur cet événement intitulé « Conférences Sciences et littérature ».

L’Institut universitaire de France (IUF) n’est pas très connu du grand public. Pouvez-vous nous le présenter ?

L’IUF est un service du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Il a été créé en 1991 avec trois missions fondamentales :

  • encourager les établissements et les enseignants-chercheurs à l'excellence en matière de recherche, afin d’avoir des conséquences positives sur l'enseignement, la formation des jeunes chercheurs et la diffusion des savoirs vers la société.
  • contribuer à la féminisation du secteur de la recherche autant que possible.
  • contribuer à une répartition équilibrée de la recherche universitaire dans tout le pays et donc à une politique de maillage scientifique du territoire. Nous avons des membres IUF venant de toute la France.

Chaque année, l’IUF organise des jurys internationaux de sélection des lauréats, 100 Juniors (jusqu’à 40 ans) et 100 Seniors. Ceux-ci bénéficient de cinq ans de délégation, durant lesquels leur charge de service est réduite à un tiers. Ce tiers est important, car les IUF ne sont pas des chercheurs enfermés dans leur tour d'ivoire. Mais cette décharge d’enseignements et de tâches administratives est absolument nécessaire pour leur permettre de se concentrer sur un projet de recherche créatif et ambitieux.

Les lauréats sont par ailleurs automatiquement bénéficiaires de la prime d'encadrement doctoral et de recherche, ainsi que d’un crédit scientifique.

Nous donnons enfin aux établissements une compensation pédagogique pour le nombre d'heures que ne fait pas l'enseignant-chercheur, afin de leur permettre de cofinancer un poste d’ATER par exemple.

Bref, c’est un dispositif simple et élégant qui donne du temps et de « l’oxygène cognitif » aux enseignants-chercheurs les plus talentueux, tant en sciences naturelles et médicales qu’en sciences humaines et sociales, avec un profil de recherche fondamentale, d’innovation et/ou de médiation scientifique.

Chaque année, l’IUF organise un colloque en province. Et cette année, il se déroule à Nancy.

Oui, notre colloque annuel se déroule effectivement en province, ce qui illustre la vocation de l'IUF à mailler tout le territoire. Avec la crise sanitaire, les derniers colloques n’ont pu se tenir, celui qui se déroule à Nancy signe donc une renaissance !

Intitulé « Conférences Sciences et littérature : quand écrivains et scientifiques se rencontrent ! », il rassemble d'éminents scientifiques de diverses disciplines et d'éminents littéraires, ainsi que des journalistes. « Sciences et littérature » est un thème essentiel. Chacun sait ce que sont les sciences ou a une idée de ce qu'est la littérature. Un des défis de notre siècle, c'est de recréer du lien entre ces deux grands champs des savoirs humains. Jadis, il était possible de posséder une culture générale à la fois scientifique et littéraire. Aujourd’hui, c’est de plus en plus segmenté et difficile. Or, c'est quand même ça, l'intelligence humaine : allier les chiffres et les lettres.

Ce colloque débute avec une action très originale : une rencontre spéciale entre des lycéens et des membres de l’IUF. Elle symbolise la volonté des universités de faire aussi le lien entre l'enseignement secondaire et supérieur, de faciliter l'orientation professionnelle des élèves, futurs étudiants. Le comité IUF lorrain d’organisation montre là la générosité de ses membres, en souhaitant parler aux plus jeunes et à la société. J'en profite pour tous les remercier chaleureusement : Halima Alem-Marchand, Maîtresse de Conférences à l’Université de Lorraine - Sciences des Matériaux, Laurent Chaput, Professeur à l'Université de Lorraine en Physique théorique, Claire Gaiani, Professeure à l'Université de Lorraine en Agroalimentaire, Laetitia Graslin-Thomé, Maîtresse de Conférences à l'Université de Lorraine en Histoire Ancienne, Jean-Paul Haton, Professeur émérite à l'Université de Lorraine en reconnaissance des formes, intelligence artificielle, Stéphane Mangin, Professeur à l'Université de Lorraine en Physique, Jean-Yves Marion, Professeur à l'Université de Lorraine en Informatique fondamentale et sécurité, Bernard Marty, Professeur à l'Université de Lorraine en Géochimie et Sarah Polacci, Commissaire générale du Livre sur la Place.

 

Vous tenez vous-même une conférence inaugurale qui associe sciences et littérature : Les trésors du cerveau humain : de Paul Valéry aux neurosciences.

Couverture de "Paul Valéry, amoureux de son cerveau"Oui, il se fait que j’ai récemment écrit un ouvrage sur ce sujet, Paul Valéry, amoureux de son cerveau. Ce monument de la littérature française avait une seule obsession : comprendre le cerveau humain ou plutôt son propre cerveau. Tous les matins, des heures durant, il auto-analysait les algorithmes de sa pensée, consignant ses observations dans les milliers de pages de ses Cahiers. Et en même temps, il s'intéressait de près aux scientifiques de l'époque, dont il visitait les laboratoires en Sorbonne ou au Collège de France. Il obtint dans ce dernier une Chaire de « poétique » car Valéry était avant tout renommé pour ses poésies : Le cimetière marin, La Jeune Parque, etc.

Dans les années 1990, je suis tombé sur une citation de Valéry disant (je cite de mémoire) que le cerveau perçoit ou construit les mathématiques dans l'univers grâce à un mélange rare de concentration et de désir. Spécialiste de psychologie expérimentale et de neurosciences, j'ai dès lors immédiatement saisi, ressenti la forte portée tant littéraire et poétique qu’épistémologique de Valéry. Mais à l’époque, j’étais absorbé par mes recherches inédites et très techniques d'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Grâce au soutien de l’IUF, je travaillais avec des enfants d’école maternelle et primaire pour étudier les réseaux neuronaux activés lorsqu’ils effectuaient des calculs, des raisonnements, etc.

Puis, trente ans plus tard, aujourd’hui, je suis revenu enfin à Valéry avec ce livre. J’y raconte sa vie et son œuvre, mais j'y explique surtout en quoi, pour le neuroscientifique actuel, le psychologue Valéry est génial, fulgurant ! Je me suis d’ailleurs permis une partie fictionnelle, en imaginant Valéry venant visiter notre laboratoire de la Sorbonne et découvrant les technologies actuelles d'imagerie cérébrale, accompagné du héros de son unique roman, Monsieur Teste, champion de l’auto-analyse et du sport intellectuel !

Cette étude plus approfondie de Valéry m’a en outre permis de formuler des hypothèses nouvelles sur le cerveau. Je termine ainsi le livre par un chapitre qui s’intitule « Valéry après Valéry, un projet de neurosciences et d'astrophysique pour aujourd'hui ». Mais je vous laisse lire et découvrir ces hypothèses…

>> Site de l’IUF

>> Découvrez le programme du colloque "Conférences Sciences et Littérature"