[Rencontre] Sandrine Capizzi - Tiques : mieux vaut prévenir que guérir…

 
Publié le 10/06/2020 - Mis à jour le 11/06/2020

Le déconfinement et le beau temps sont propices aux joies du grand air, aux balades en famille ou encore au jardinage. Mais c’est aussi la saison des tiques… Ces petites bêtes, qui n’ont l’air de rien sont plutôt voraces et peuvent être dangereuses pour notre santé. Factuel a rencontré Sandrine Capizzi, maître de conférences en Parasitologie à la Faculté de pharmacie de l'Université de Lorraine. Dans cet entretien, elle revient sur le phénomène « tiques » et l’enjeu de santé publique qu’il génère, elle nous explique les bons gestes de prévention à adopter, elle nous parle de son implication dans le programme CiTIQUE et revient sur son parcours professionnel atypique et engagé !

Factuel : C'est quoi une tique ? La Lorraine, région à tiques ?

Sandrine Capizzi : La tique est un acarien qui vit dans les herbes, en forêt préférentiellement car il lui faut de l’humidité et des animaux comme des rongeurs pour se nourrir. Lorsqu’elle a faim, elle n’hésite pas à piquer des oiseaux, des chiens, ou des humains. C’est une particularité de Ixodes, principale tique dans notre région, elle n’est pas spécifique d’un animal. Pas difficile, elle se contente de ce qu’elle a sous ses chélicères (sortes de crochets-pinces). La Lorraine, région très boisée est fortement impactée comme le Limousin ou les Pyrénées. Ces « régions à tiques » connaissent une augmentation des populations de tiques. Le réchauffement climatique en est peut-être la cause, tout comme les changements de modes dans l’agriculture, nos balades plus nombreuses en forêt et la présence d’un grand nombre de cervidés (les cerfs, les chevreuils, etc.) permettant la reproduction de la tique. La proximité des tiques en bordures de nos habitations, pose un problème majeur aboutissant à la présence de tiques dans nos jardins : entre 30 et 40% des piqures de tiques y ont été enregistrées par CiTIQUE (programme de recherche participative où les citoyens peuvent aider la recherche sur les tiques et les maladies qu’elles transmettent).

Factuel : Comment se protéger ? Comment réagir en cas de piqûre ?

Sandrine Capizzi : La protection passe par une surveillance. Aucun moyen ne permet de protéger à 100%. La perméthrine (insecticide chimique) vaporiser sur les vêtements et chaussures reste la meilleure technique. Les solutions à base d’huile essentielle d’Eucalyptus citronné ou de citridiol (molécule provenant de cette même plante) semblent efficace, mais il reste difficile de déterminer le bon dosage car aucune étude scientifique ne démontre l’efficacité de ces produits répulsifs. Il est impératif de s’inspecter lors du retour à la maison suite à une promenade, et après la douche le soir, lorsque la tique se sera accrochée. Les enfants doivent être aidés pour adopter les bons gestes. Les tiques s’accrochent plus souvent au niveau de la tête, rendant la recherche difficile chez les plus jeunes enfants. Les nymphes de tiques sont celles qui sont le plus souvent retrouvées lors d’une piqûre. Leur taille minuscule inférieure à 1 mm et leur corps plat, leur permettent de se glisser partout. Aucun endroit n’est épargné.

Lors de la présence d’une tique accrochée dans la peau, il faut agir rapidement en l’enlevant avec un tire tique. Lorsque la tique est minuscule, une pince à épiler peut-être nécessaire. Le retrait se fera toujours en effectuant une rotation de la tique en la maintenant verticale sans trop la serrer. Plus le temps passe, plus le risque de contamination augmente. Il est minime dans les premières heures, car les bactéries pathogènes se multiplient dans la tique, puis migrent dans la peau humaine via sa salive. Un point rouge apparait le plus souvent autour de la piqûre par réaction à la salive de la tique. Aucun produit ne doit être utilisé pour l’enlever, ni alcool, ni désinfectants, ni savon, ni huiles essentielles. Toute solution appliquée sur le corps de la tique, stressera la tique. En essayant de s’échapper, elle relarguera tous les parasites, bactéries ou virus présents dans ses glandes salivaires. L’objectif n’étant pas qu’elle se décroche toute seule ! Surtout pas, le geste doit être rapide sans produit chimique ou naturel.

La seconde phase est la surveillance du point de piqûre. Une tâche rouge indolore, supérieure à 2 cm, sans démangeaison, augmentant de taille est le signe d’une infection. Cette contamination avec les bactéries Borrelia nécessite un traitement par des antibiotiques de 3 semaines. Dans certains cas (20 à 50% des cas selon les médecins), cette tâche rouge ou érythème migrant, n’apparait pas lors de l’infection par les borrélies suite à une piqûre de tique.

Factuel : La recherche avec le programme CiTIQUE – Quelle est votre implication ?

Sandrine Capizzi : CiTIQUE est un programme de recherche participative partenarial qui vise à mieux comprendre l’écologie des tiques et les maladies qu’elles transmettent, dont la maladie de Lyme. Créé en 2017, ce programme fait travailler ensemble des citoyens et des chercheurs autour de plusieurs actions comme la création d’une application smartphone Signalement Tique, la constitution d’une tiquothèque (unique en France), la distribution de kits de collectes, la prévention, etc. Je participe au développement de CiTIQUE au niveau régional et national, lors de campagnes de prévention et d’information. Les étudiants de la faculté de pharmacie ont créé des outils de prévention. Des jeux, des supports de communication permettant de sensibiliser le jeune public. Les enfants des classes de maternelles et primaires sont souvent piqués et ne pensent pas à enlever les tiques. Un manque de connaissance sur ce sujet est responsable d’une pathologie grave chez les enfants. Les données publiées par les instances médicales montrent que les enfants de 5 à 9 ans consultent autant que les personnes de 50 ans pour des formes graves de maladie de Lyme. Mes actions de formation et d’information ont pour objectif de développer des outils de prévention pour le milieu scolaire, et de les divulguer aux enseignants ou animateurs. Le corps médical peine à la diagnostiquer, les symptômes étant multiples et communs, et elle est longue à traiter. Des formations auprès des médecins sont réalisées chaque année, mais elles ne sont pas assez nombreuses. Le nombre de malade augmente et seule la prévention permettra de le restreindre. Il faut continuer à se promener, et éviter les forêts n’est pas la solution au problème. La formation et l’information permettent une bonne prévention.

Factuel : Exposition itinérante, documentaire, chansons, conférences, mallette pédagogique, applications web, kits de collectes, etc., les outils d’information et de prévention ne manquent pas. Pourtant, beaucoup ignorent encore le phénomène. Comment y remédier ?

Sandrine Capizzi : Le public averti (comme les promeneurs, chasseurs, forestiers) connait à minima la problématique. Beaucoup de fausses informations circulent sur le web. La difficulté est surtout de rencontrer le public à risque et non averti. Celui qui ne sait pas, donc qui ne vient pas chercher l’information. C’est la grande majorité des personnes : promeneurs occasionnels, urbains, enfants… La réalisation d’un site web, regroupant les outils de prévention à télécharger gratuitement, selon l’âge et les besoins, est en développement. De nombreux outils y seront accessibles avec des notices. Pour la suite, il faudra se lancer dans un développement plus national, une fois les méthodes testées et validées. Nous travaillons également avec des projets plus précis sur les travailleurs forestiers.

Factuel : Quel est votre parcours et comment est né votre engagement ?

Sandrine Capizzi : Chercheuse aux LCPME (Laboratoire de Chimie Physique et Microbiologie pour les Matériaux et l'Environnement), mon domaine initial est la parasitologie. Des vers parasites intestinaux, plus précisément sur la détection de leurs œufs, je suis passée ensuite à la détection des amibes (infection parasitaire) présentes dans nos réseaux d’eaux. Actuellement, je recherche des virus entériques dans les eaux de rivières. Dans l’équipe de microbiologie du LCPME, nous travaillons sur la détection d’un indicateur de contamination fécale et virale dans les eaux et fruits de mer.

Il y a une dizaine d’année, lors de conférences grand public réalisées dans le cadre du festival du film de chercheur, Jacqueline Ries de l’université et Véronique Bronner au CNRS m’ont proposé de réaliser des conférences sur les tiques. Nos premières rencontres avec le public, nous ont montré le besoin d’information de la population. Les personnes venaient nombreuses à chaque fois. Après une trentaine de conférences sur les tiques, les demandes et les questions sont toujours aussi nombreuses. Je réalise des formations dans les écoles, les associations communales et auprès de clubs de marcheurs en même temps que mes activités de recherche sur les virus. Dans un avenir proche, mon travail au sein de CiTIQUE devrait être plus important, au détriment de ma recherche sur les virus, avec la gestion de projets à visée plus nationale. Mais d’autres sujets m’intéressent aussi comme les punaises de lits, la gale, ou les chenilles processionnaires. Autant de sujets que de problématiques importantes en termes de santé publique. Pour tous ces sujets, la prévention et l’information est la clé pour éviter les contaminations.

Pour en savoir +

  • https://www.citique.fr/
  • "Signalement Tique" : nouvelle version de l’application pour signaler les piqûres de tiques | Lire (communiqué de presse UL/Inraé)
  • Tiques, maladie de Lyme et autres maladies à tiques | Lire (dossier de presse Inraé)
  • Catherine Flauder : "Tiques : s'informer, se protéger", une expo accessible | Lire (article factuel)
  • Tiques, s'informer, se protéger : une exposition en musique | Lire (article factuel)