Le management de l’information au cœur de la gestion de crise

 
Publié le 16/01/2023 - Mis à jour le 17/01/2023

Le 1er  décembre 2022, une simulation sous forme d’exercice de gestion de crises a été vécue par les étudiants du master Veille Stratégique et Organisation des Connaissances (VSOC). Patrick Cansell, Docteur en sciences de l’information et de la communication, également formateur et conseiller en gestion des risques et de crises, par sa société ARTEM-IS[1] a animé cet exercice conciliant la théorie avec une mise en situation, se manifestant par une accumulation de crises potentiellement réelles.                      

Une entreprise peut subir une situation critique et/ou sensible avec divers problèmes (interne à l’entreprise, social, écologique, réputationnel, un accident, un incendie, des activistes qui perturbent le fonctionnement de l’établissement, etc.) A l’instar de Michel Monroy[2] (2003), il nous parait pertinent de rappeler que « la vulnérabilité peut concerner aussi bien les personnes que les organisations et les systèmes humains ». Il faut donc considérer chaque problème. De ce fait, les professionnels doivent s’adapter en conséquence.                                                              

Les membres du personnel déclenchent alors une « cellule de crise » pour organiser la gestion de crise. Les acteurs impliqués (décideurs, responsables des différents services, etc.) peuvent consulter des intervenants extérieurs. Yves Pesqueux[3]  (2012) explique que « la gestion des risques se trouve surtout être située dans l’univers de la conformité plus que dans celui du risque et que ce processus se fonde sur l’appel à la légitimité de l’expert, légitimité à défaut de laquelle il ne tiendrait pas » d’où la nécessité des experts dans la résolution de crise.                                                                 

Les buts de ces acteurs impliqués sont de prendre des décisions face à une crise menaçant l’activité de l’entreprise, voire aussi sa pérennité ; établir un plan d’action pour limiter les conséquences ; sortir de la crise et préserver l’entreprise, notamment son activité et sa réputation. En condition réelle, Yves Pesqueux explique qu’il faut tenir compte de l’approche informationnelle du risque. C’est-à-dire qu’elle est « conditionnée par une représentation a priori qui est de l’ordre politique de l’idéologie et qui ne peut tenir que par référence à la légitimité supposée de l’expertise » (Pesqueux, 2012).                        

Les étudiants VSOC ont été mis dans une situation réelle, confinés dans une salle durant 6 heures, ils ont pu découvert leur rôle qu’ils ont tenu jusqu’à la fin de l’exercice.

Déroulement de l’exercice

Avant de débuter réellement l’exercice, une phase de distribution des rôles est mise en place. Cet exercice comporte 13 rôles allant du directeur administratif et financier jusqu’au stagiaire de communication. La majorité des rôles sont distribués au hasard, seulement 3 sont attribués par choix aux joueurs : Le directeur administratif et financier (rôle offert à un étudiant qui participe à l’exercice de crise Cyber Humanum Est qui aura lieu en février), le juriste et l’assistant juridique.

À la suite, les joueurs ont une heure pour prendre connaissance de leurs rôles, réaliser des cartographies qui vont leur permettre de comprendre le contexte de l’exercice et de s’approprier leurs rôles. A la suite de cela, un codir se met en place qui sera interrompu par des événements imprévus qui provoqueront la crise principale, à laquelle, selon nos choix opérés, d’autres crises s’ajouteront.                                                               

Ainsi, pour gérer les crises nous devions nous organiser en groupe de travail et certains joueurs avaient des rôles spécifiques à la gestion de crise (par exemple : la main courante). A la fin de l’exercice, les étudiants ont tenu une conférence de presse pour expliquer les tenants et aboutissants, partager les évolutions de événements afin de résoudre les crises.

Le management de l’information, une nécessité pour la gestion de crise

Lors d’une crise, la gestion de l’information est une priorité, celle-ci devient très sensible. Des informations divulguées peuvent aggraver la crise, tandis que certaines permettent de l'éviter ou d’en sortir, si l’information est utilisée correctement. Il est donc nécessaire de savoir comment exploiter l’information pour qu’elle soit tournée à notre avantage lors d’une situation sensible voire critique. Comme le soulignent Bernard Besson et Jean Claude Possin : « Les informations sont désormais considérées par ces derniers [les cindyniques] comme nécessaires et parfois vitales pour la prise de décision. La gestion des risques dans les organisations n’échappe pas à ce besoin. » (Besson, Possin 2006)[4].                      

Par conséquent, un collaborateur avec un profil d’expert en intelligence économique est nécessaire dans l’équipe car pour le « système d’intelligence économique chaque risque, quel qu’il soit, est avant tout une information que l’entreprise a ou n’a pas, qu’elle peut recueillir et analyser afin de décider et de prévenir » (Besson, Possin 2006). Le master VSOC permet de former à ce type de profil. Celui-ci offre à ses étudiants une diversité d’enseignements notamment en lobbying, sécurité de l’information, prospective ou encore en gestion des risques. Ces compétences acquises leur permettent de faire face à tous types de crises et de risques, pour ainsi devenir un maillon central dans leur résolution.

Echanges avec Patrick Cansell

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à vous intéresser à la gestion des risques ?

J’ai toujours voulu faire deux choses dans la vie : travailler dans les chars et travailler dans la gestion de crise et j’ai eu la chance de bosser dans l’armement et ensuite d’être amené par l’enseignement à aller vers le sujet de la crise. C’était le fruit de rencontres, qui m’ont emmené à ce sujet qui me passionne depuis toujours. On a un concentré de tout ce qui fait intérêt de l’intelligence économique, c’est-à-dire, la recherche d’information, l’analyse, l’aide à la décision, la stratégie. Tout ça est mis en œuvre dans un espace-temps extrêmement court, extrêmement condensé et on voit immédiatement les effets de ce qu’on produit et c’est l’intérêt de la gestion de crise contrairement à l’intelligence économique du quotidien où tu ne sais pas vraiment tout de suite ta valeur ajoutée.

Est-ce que vous mettez en place des stratégies de veille pour développer votre socle de compétences en gestion de crise ?

Alors, je vais le faire individuellement à partir des retours d’expériences que j’ai au contact de mes clients et à partir d’évènements où je peux éventuellement échanger, assister, intervenir ou mes lectures, forcément on s’intéresse à des nouveaux sujets. Typiquement, un exemple concret, on a un sujet qui est intéressant aujourd’hui, c’est le fait de se représenter des territoires réels au virtuels pour les activités des entreprises, c’est-à-dire, concrètement sur quel environnement on intervient ? ; Quels sont les parties prenantes de ces environnements ? On va s’intéresser, non seulement à la nature des activités qui pourraient être à risque où qui pourrait être impactées par des risques, mais qui ne sont pas forcément génératrices de risque mais peuvent subir tout un tas d’évènements, et on va s’intéresser au territoire, aux environnements, aux écosystèmes dans lequel ça s’inscrit de façon à mieux anticiper les évènements

Comment avez-vous élaboré l’exercice ?

Généralement (pas celui-ci car celui-là, je me suis fait plaisir), un exercice repose à la fois sur un mélange de connaissances acquises par l’expérience donc des choses originales que vous avez vécues ou lorsqu’on coopère avec des gens qui étaient en train de le vivre une situation complexe […]. Ce qui est intéressant, c’est quand vous êtes dans le possible donc des choses qui n’ont pas encore eu lieu et qu’en fait, et ça arrive très souvent […]. L’exercice permet de montrer les vulnérabilités et d’insister sur ces sujets-là, auprès des membres des directions générales et de faire en sorte de désamorcer ces sujets.

Lorsque vous supervisez l’exercice et que vous jouez, tout est totalement cadré ou alors il y a une place à l’improvisation ?

Il faut de l’improvisation parce que vous avez carte blanche pour vos décisions, et vous pouvez prendre des voies que je ne soupçonne pas et je suis obligée d’improviser en fonction de ce que vous faites. […] Et j’ai souvenir avec mon ami Gilles Lejeune, le premier gros exercice que j’ai fait avec des élèves de master, c’était un exercice de 32 heures qu’on a fait dans des grottes près de Saumur. On ne voyait pas le jour, pas la nuit, on ne savait plus où on était. On a joué 4 jours en 32 heures. On est sorti de là, on était complètement déphasés. J’avais fait les dossiers initiaux, j’avais posé l’univers, les personnages principaux de l’exercice et pour le scénario, j’avais trois lignes. On a improvisé 100% de l’exercice, 1000 appels téléphoniques, 400 mails avec 98% des contenus improvisés. Je pense que c’est le meilleur exercice qu’on ait jamais fait […].

Avez-vous une anecdote face à une difficulté lors d’un exercice de ce type ? 

On a forcément eu des trucs complètement fous que je n'avais jamais vus. Ici la petite musique d’attente, je l’ai eu que deux fois en tout sur trois cents équipes donc c’était marrant que vous me la mettiez[5]. Je dirai que c’est quand un joueur décide sciemment d’aller dans l’illégalité […]. Le but, c’est que les gens fassent du bon boulot en gestion de crise demain, pas qu’ils deviennent des gangsters et qu’ils fassent n’importe quoi […].

Avez vous une expérience professionnelle qui illustre la gestion de crise / risques ?

Les choses qui sont anodines et qui deviennent une crise, ça c’est intéressant. J’ai un cas étonnant où je suis arrivé après coup pour analyser ce qui c’était passé. Un journaliste contacte la direction de l’entreprise quelques jours plus tard. Comme ils ont eu d’autres événements graves sur d’autres sujets avant, ils étaient à cran et ont décidé d’activer leur cellule de crise non pas sur l’événement à l’origine mais sur l’appel du journaliste avec la peur d’une exposition médiatique. Il est 22h, ils ne vont pas se quitter sans avoir produit quelque chose […]. Donc, ils font un communiqué qui est très mal vu et en même temps, ils regardent sur les réseaux sociaux […] ils voient des messages incendiaires, il y a une poignée et ils décident de répondre eux-mêmes sur Twitter, plutôt téléguider les messages. Ils finissent par copier-coller plusieurs fois le message et ils vont eux-mêmes générer la crise réputationnelle […] ça c’est un problème de maturité dans la gestion de crise […] C’est symptomatique d’une crise qui n’en n’est pas une. Ils génèrent la crise par une mauvaise gestion de la crise. Tu veux éteindre le feu et tu jettes de l’essence dessus ?

BESANÇON Cindy & MOUGENOT Lucas – M2 VSOC (https://twitter.com/vsocmaster et https://www.linkedin.com/in/master-vsoc/)



[2] Monroy, M. (2003). Procédures et gestion des risques. Connexions, n 79, 29-34. https://doi.org/10.3917/cnx.079.0029  

[3] Pesqueux, Y. (2012). La gestion du risque : une question d’expert ? Prospective et stratégie, 2-3, 243-265. https://doi.org/10.3917/pstrat.002.0243

[4] Besson, B. & Possin, J. (2006). L'intelligence des risques. Market Management, 6, 104-120. https://doi.org/10.3917/mama.033.0104

[5] Lors des appels téléphoniques, Monsieur Cansell nous faisait patienter avec différentes musiques d’attentes en fonction du personnage qu’il interprétait. Par mimétisme, nous avons voulu le faire attendre de la même manière, nous avons donc choisi notre propre musique et nous le faisions patienter par plaisanterie.