Je tousse et j’éternue mais je n’ai pas le Covid-19 !

 
Publié le 11/01/2022 - Mis à jour le 14/04/2023

Jaouad Bouayed, chercheur en neurosciences au laboratoire LCOMS a publié un article d’opinion dans le Journal de référence "Brain, Behavior, and Immunity" abordant la stigmatisation qui peut accompagner la toux et l’éternuement durant cette pandémie du Covid-19. En effet, de nombreuses personnes se sentent stigmatisées quand elles éternuent ou toussent en public ou se sentent plutôt gênées, tout en essayant d’être discrètes.  

Factuel : Y-a-t-il une relation entre la stigmatisation et les maladies infectieuses ? 

Jaouad Bouayed : "Il est très connu que les épidémies sont accompagnées par la stigmatisation, et que le Covid-19 ne fait d’ailleurs pas exception. La stigmatisation peut aboutir à la discrimination, la xénophobie et au rejet social... En outre, il est important de combattre la stigmatisation car elle constitue un frein pour endiguer les épidémies. Par exemple, par peur d’être stigmatisée, il arrive qu’une personne puisse cacher sa maladie. 
 

Factuel : Est-il vrai que la stigmatisation voire la discrimination peuvent être une conséquence de la réaction de notre système immunitaire ? 

Jaouad Bouayed : "Durant la pandémie du Covid-19, par la peur et l’anxiété d’être infectée par le virus, la société n’a pas été épargnée de comportements négatifs et des attitudes préjudiciables jusqu’à assimiler des personnes au risque de contamination seulement par leur origine. Au début de la pandémie, les personnes originaires de Wuhan ont été la cible de la stigmatisation dans le reste de la Chine. Puis, quand le virus a été désigné comme étant un virus chinois, ceci a provoqué une stigmatisation des personnes d’origine chinoise voire même d’origine asiatique, et ce dans de nombreuses parties du globe. De nombreux articles scientifiques ont mis en évidence que durant cette pandémie (et durant les épidémies d’une façon générale), les travailleurs de première ligne contre le Covid y compris les personnels de santé constituent une population vulnérable à la stigmatisation. A titre d’exemple, ils n’ont parfois pas été acceptés par leur famille voire par leur voisin, dans certains cas ont même été contraints de déménager. Certains individus qui ont guéri du Covid-19, donc non-contagieux, ont même été agressés dans la rue voire empêchés d’utiliser le transport public. Ce ne sont que des exemples qui illustrent des réactions certes exagérées de notre système immunitaire mais qui peuvent exister dès lors que la menace de la contamination plane qu’elle soit réelle, potentielle ou parfois même inexistante. L’exemple le plus amusant que notre système immunitaire peut nous jouer des tours est la ruée pour achat compulsif de papier toilette entrainant parfois même des bagarres qui ont été médiatisée dans des supermarchés. En effet, ce phénomène a été attribué à la peur des germes suscitée par la pandémie du Covid et l’activation du système immunitaire comportemental qui est un système de défense et de préservation contre les germes et les infections." 
 

Factuel : Comment notre système immunitaire peut agir sur notre comportement ? 

Jaouad Bouayed : "Durant notre histoire, les agents pathogènes ont causé davantage de fatalité que toutes les autres causes de mortalité combinées. Ainsi, les pathogènes ont exercé une pression sélective sur l’être humain, en le forçant à s’adapter à son environnement pathogénique. Ainsi, pour faire face aux infections, notre système immunitaire est composé de deux composantes immunitaires complémentaires dont une est réactive alors que l’autre est plutôt proactive. Ces deux systèmes immunitaires ne sont pas indépendants mais au contraire entretiennent une communication bidirectionnelle.
La première composante du système immunitaire qu’on connait tous, se nomme le système immunitaire physiologique. Il s’agit d’un système de défense sophistiqué et dynamique qui combat les pathogènes uniquement quand ils s’introduisent dans notre corps. Donc, on peut bien comprendre que le système immunitaire biologique est un système réactif. Cependant, il est métaboliquement couteux et peut causer des dommages collatéraux par exemple quand il met en place un orage des cytokines (une hyper-inflammation).
La seconde composante est un système de défense proactif qui s’appelle le système immunitaire comportemental. Il s’agit d’un système de défense qui nous évite le contact avec la source d’infection et par conséquent est considéré comme étant la première ligne de défense contre les pathogènes. Comme ces derniers sont invisibles à l’œil nu, le système immunitaire comportemental est activé donc par des signaux perceptifs qui renseignent l’existence d’une menace d’infection tels que la toux, l’éternuement, les odeurs nauséabondes... Une fois la menace détectée par nos organes sensoriels, il déclenche par conséquent des comportements prophylactiques pour éviter la source d’infection, ce qui permet d’épargner le système immunitaire physiologique. Donc, l’activation du système immunitaire comportementale nous engage dans un comportement préventif tel que laver les mains, respecter la distanciation physique et porter le masque. Au tout début de la pandémie, il arrivait que lorsque l’on croise quelqu’un on coupe notre respiration voire que l’on change le trottoir : ce type de comportement s’il a été expérimenté par quelqu’un, a été tout simplement déclenché par son système immunitaire comportemental. Il faudrait savoir que le système immunitaire comportemental est un système complexe comprenant plusieurs composantes, et du coup il peut entrainer la chose ou son contraire telle que des attitudes pro-vaccinales (suite à une aversion des germes élevée) ou des attitudes anti-vaccinales (suite au dégout de la seringue, de l’injection, du sang ou des germes).
Le système immunitaire comportemental a évolué pour qu’il soit hypersensible. Il répond donc à des menaces d’infection réelles et même à des menaces potentielles. Donc, on peut parfaitement prendre quelqu’un qui n’est pas malade pour un contagieux (un faux-positif), en interprétant les signaux perceptifs d’une façon erronée, ce qui se traduit par des attitudes et comportements d’évitement envers les individus affichant les faux-signes d’une contamination. La variabilité interindividuelle de la réponse du système immunitaire comportemental est dictée par certains traits humains tels que le niveau du dégoût et le niveau de l’aversion du germe, et aussi par le niveau de la menace. Ainsi, le système immunitaire comportemental est censé activé un comportement préventif pour éviter la source d’infection mais une hyper-activation de ce système peut parfois causer des attitudes préjudiciables telles que la stigmatisation."
 

Factuel : La toux et l’éternuement sont-ils devenus de nos jours tabous ? 

Jaouad Bouayed : "La toux et l’éternuement peuvent être interceptés par notre système immunitaire comportemental comme des signaux auditifs et visuels d’une menace à une contamination. Durant cette période de pandémie, si quelqu’un portant un masque facial éternue en plein public, il n’est plus habituel d’entendre ‘‘à tes souhaits’’, comme d’ailleurs on ne se fait plus la bise pour se saluer. Si on se compare à la période pré-covid, sans doute notre rapport à la toux et l’éternuement a radicalement changé ; alors que la toux et l’éternuement sont très fréquents chez les personnes qui ont des allergies ou le rhume ordinaire. La toux chronique est très présente chez les fumeurs et les patients post-covid…
Cet article apporte un regard neuf, en expliquant ce nouveau phénomène sociétal autour de l’éternuement et la toux en public et du rôle du système immunitaire comportemental dans notre perception de ces réflexes de protection des voies respiratoires. Pour une réponse exhaustive à la question si la toux et l’éternuement sont devenus tabous, je vous invite à lire la publication."
 

Lire l’article : 

Bouayed J. Sorry, I am sneezing and coughing but I do not have COVID-19. Brain, Behavior, and Immunity (2022) 101 : 57-58. 
 

Références