Interculturalité à l’école : bousculons nos stéréotypes !

 
Publié le 24/11/2021 - Mis à jour le 9/05/2023

Et si l’enfer était pavé de bonnes intentions ? Dans son article Bousculer pour développer des compétences interculturelles en master MEEF, Véronique Lemoine-Bresson, maîtresse de conférences en didactique des langues et interculturalité, pointe les risques d’une imagerie idéalisée du vivre ensemble. Et propose de bousculer les enseignants stagiaires pour leur faire prendre conscience des stéréotypes qui les habitent. Entretien.

Votre étude prend comme base le concept de microaggressions. En quoi consiste-t-il ?

Le concept de microaggressions se fixe à la base sur la question des origines. Il est né aux Etats-Unis dans les années 70 (Chester Middlebrook Pierce). Les microaggressions, ce sont, par exemple, ces questions qu’on pose avec une bonne intention sur l’origine de quelqu’un. La personne qui la pose se dit même très ouverte, puisqu’elle veut en savoir plus sur l’autre, qu’elle questionne. Mais ce questionnement indiscret creuse parfois avec insistance dans l’intimité de quelqu’un qu’on ne connait presque pas et qui va l’amener à devoir se dire, alors même que cela le gêne. Elle sous-entend aussi qu’il est un peu bizarre parce qu’il a des origines. Alors que tout le monde a des origines ! Mais cette question n’est pas posée à tout le monde… Derrière les microaggressions, il y a un message caché : « tu n’es pas des nôtres, d’où viens-tu ? » C’est ce qu’on appelle l’altérisation de l’autre. On pose une distance, une frontière symbolique entre nous et l’autre.

Comment en êtes-vous arrivée à travailler sur ce concept ?

J’enseigne l’interculturalité à des professeurs des école stagiaires à Lille et à des étudiants en master MEEF à l’INSPE de Lorraine. J’ai remarqué que certains, en retour de stage en classe, disaient ne pas avoir pu faire d’atelier interculturel parce qu’il n’y avait pas d’élèves avec des « origines ». Cette expression revenait souvent. Je leur ai donc proposé un travail à partir de photos ou de vidéos que je qualifie de « bousculantes », traitant de cette question : « c’est quoi, ces origines ? Question banale ? » Le résultat de mon étude montre que les microaggressions dépassent aujourd’hui la centration sur le culturel. Dans les travaux produits par les étudiants, on voit une extension de la réflexion à la question du genre, à l’orientation sexuelle, à du handicap, et même à celle du métier d’enseignant.

On parle peu des compétences interculturelles à l’école…

Pourtant dans la loi nᵒ 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, dans les priorités pour renforcer les fondamentaux,  il y a « lire », « écrire », « compter », et il y a « respecter autrui ». Les questions interculturelles traversent ainsi l’enseignement des langues, l’éducation morale et civique, les arts plastiques, la mise en place de projets, mais ce sont surtout des compétences transversales. C’est même un état d’être, et des manières de faire des enseignant qui permettent d’instaurer dans une classe les manières de réfléchir l’autre, et soi en miroir.

Une production d'une étudiante de l'INSPE de LorraineComment s’acquièrent ces compétences ?

Nous travaillons la question de l’interculturalité en cours d’un point de vue cognitif, par la coconstruction de principes basés sur des recherches récentes du champ. Les étudiants élaborent ensuite un dispositif pédagogique, qu’ils expérimentent en classe. Sans formation sur ces questions, leur prise en charge et leur gestion peuvent avoir l’effet inverse de ce qui est souhaité. Dans les années 80-90, on parlait de « pédagogie couscous ». L’idée était de survaloriser les différences de l’autre, en entrant par le tout culturel. Mais c’était aussi assigner l’autre à se dire tel qu’on le fantasmait. On renforçait en fait les stéréotypes, on continuait à mettre les gens dans des boites. Il faut donc former les enseignants en amont, pour qu’ils puissent proposer des formats pédagogiques qui permettent de se distancier de ce tout culturel pour définir, voire expliquer l’autre (ou soi).

Quelle méthode utilisez-vous ?

Pour les étudiants, l’interculturel, c’est le vivre ensemble. C’est plutôt la solution que le problème. Ils évoquent rarement les conflits qui peuvent naître dans les rencontres. Il y a des expressions emblématiques, comme de se dire ouvert à la culture des autres, être tolérant. Mais quand on creuse un peu ces notions là, elles dissimulent, en toute bonne foi, un positionnement, parfois hiérarchisant, qui peut tourner à l’exotisation de l’autre. Je me suis rendue compte que les étudiants avaient de la peine à prendre de la distance avec ces fantasmes, souvent teintés d’émotions. Durant mes recherches, j’ai lu des sujets sur le principe pédagogique de « bousculer ». Je me suis aperçue qu’il fallait que je les fasse sortir de leur zone de confort. Je mets donc en place des activités qui peuvent les amener à être choqués, à mettre au jour les manières de dire l’autre qui sont stéréotypées et les idéologies sous-jacentes.

Comment les compétences interculturelles trouvent-elle une place à l’école ?

Dans le principe de bien/mieux vivre ensemble, sans ignorer les conflits qui peuvent apparaître entre les personnes. Mais c’est aussi de laisser le droit de parole aux élèves, de ne pas leur assigner une identité, une place, un rôle imaginés pour eux. Il faut donc inventer des dispositifs pédagogiques qui permettent un rééquilibrage de la relation maître-élèves. L’élève est expert de son identité plurielle.