Trois doctorants de l'Université de Lorraine témoignent de la richesse et de la variété des compétences développées au cours de leur expérience en thèse. Le doctorat est non seulement un diplôme, mais aussi une expérience professionnelle à part entière.
Pendant que leurs camarades de promo multiplient les envois de CV et quittent définitivement les bancs de la fac pour un poste en entreprise, les diplômés de master qui ont choisi de poursuivre leur parcours en thèse renouvellent quant à eux leur carte d’étudiant. Mais, derrière la formalité administrative, gare aux faux-semblants.
Si les chercheurs en herbe vont continuer à fréquenter amphis et bibliothèques, le doctorat marque une rupture avec la vie étudiante qu’ils ont connue auparavant. Ces trois à cinq années ne sont pas seulement un tremplin vers l’emploi mais une expérience professionnelle en soi.
Une place dans l’industrie
Le « thésard » est généralement imaginé comme un étudiant enfermé entre quatre murs, engloutissant tous les ouvrages et articles qu’il lui est possible de trouver sur son sujet de recherche. Si cette représentation est très populaire, elle ne traduit qu’une partie de la réalité.
Fait bien moins connu, les doctorants ont déjà un pied dans nos laboratoires et industries. Depuis plus de 30 ans, par le biais des contrats CIFRE (Conventions industrielles de formation par la recherche), de grandes entreprises confient à une partie non négligeable d’entre eux des missions de recherche cruciales pour leur développement. D’autres lancent des appels à projets afin les recruter en « recherche et développement ».
Bien loin de leurs livres, c’est sur le terrain que les jeunes chercheurs viennent enquêter et recueillir leurs données sur des questions de société. Prenons l’exemple des efforts de concentration demandés aux opérateurs des chaînes de montage automobiles. Les doctorants en psychologie cognitive sont sollicités pour se pencher sur les problèmes de surcharge cognitive et proposer des solutions innovantes d’aménagement pour contrer les erreurs qu’elles engendrent. Voilà qui va réduire la part de produits défectueux redirigés vers le service qualité, tout en augmentant la productivité et la qualité de vie au travail des opérateurs.
De l’enseignement au conseil
De la même façon que les doctorants participent à la vie en entreprise, entre réunions et audits, ils prennent aussi part à la transmission du savoir. Tout comme leurs pairs, ils présentent leurs travaux sous forme d’articles scientifiques ou d’interventions orales lors de colloques ou de séminaires. Là, il s’agit d’y défendre une méthodologie et des résultats, tout en accueillant les critiques et les perspectives à entrevoir.
De plus, les doctorants intéressés par une carrière universitaire peuvent s’essayer à l’enseignement en prenant en charge des travaux dirigés (TD) ou TP (travaux pratiques), face à une trentaine d’élèves. Cette expérience est parfois décisive, marquant un tournant dans la vie d’un futur maître de conférence ou professeur des universités.
Ceux qui se projettent d’ores et déjà en entreprise peuvent exercer aussi comme formateurs ou consultants. Par exemple, un doctorant ergonome pourra consacrer une partie de son temps de travail à la formation aux gestes et aux postures dans des entreprises ou réaliser des évaluations de postes de travail.
Compétences « hors catalogue »
Il n’est pas rare, pour ne pas dire courant, que les doctorants développent des savoir-faire qui n’étaient pas jusqu’alors « catalogués » par leur école doctorale. Par exemple, la publication d’un ouvrage ou encore les formations en entreprise délivrées par les doctorants eux-mêmes ne rentrent pas dans « les standards » définis par l’université. Mais c’est l’occasion pour les chercheurs en herbe de se singulariser, d’autant que certaines universités commencent à développer de reconnaissance de compétences de « hors catalogue ».
Ce changement de mentalité s’accompagne même d’un renouvellement de l’offre de formation. L’Université de Lorraine, par exemple, propose depuis maintenant deux ans le parcours « compétences pour l’entreprise » qui permet (1) la labellisation de la thèse des doctorants inscrits à ce parcours, mais aussi (2) la validation officielle des compétences spécifiques au secteur privé qui ont été acquises. Les premiers doctorants à recevoir ce label ont soutenu leurs travaux en 2018.
À l’échelle nationale, le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a mis en place une mesure permettant de répondre à cette mutation. La publication au Journal officiel (JORF n°0207 du 8 septembre 2018 texte n° 17) de l’arrêté du 27 juillet 2018 inscrit et enregistre de droit les diplômes de doctorat au répertoire national des certifications professionnelles. De quoi élargir leurs horizons.
« Trois années d’expérience requises »
Intégré dans les réunions de laboratoire et d’entreprise, le futur docteur est également un gestionnaire de projet et de communication. Il travaille en équipe, prend des d’initiatives, s’adapte aux demandes mais aussi aux imprévus et se porte garant des missions qu’on lui a confiées.
Lorsque ces trois ans se sont écoulés, si l’entreprise avec laquelle il a collaboré ne lui a pas proposé d’ores et déjà le prolongement de son contrat, il part à la recherche d’un nouveau poste. « Trois années d’expérience requises ». Cette exigence figure quasiment dans toutes les offres d’emplois en ligne…
S’il y a une recommandation à faire aux doctorants, c’est bien celle-ci : cher·e·s doctorant·e·s, votre doctorat n’a pas a figurer dans la catégorie diplôme, mais bien dans la catégorie expérience professionnelle de votre curriculum vitae ! Vous aurez alors, comme dans cet article, tout le loisir d’expliquer aux recruteurs pourquoi vous n’êtes pas un ancien étudiant, mais un chercheur depuis déjà trois ans !
Laura Déléant, Doctorante en Ergonomie Cognitive, Université de Lorraine; Alexis Olry de Rancourt, Doctorant en ergonomie cognitive, Université de Lorraine et Lisa Jeanson, Doctorante en ergonomie cognitive, groupe PSA/laboratoire PErSEUs, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.