Atelier de recherche : La radicalisation, un processus à étudier de manière interdisciplinaire

 
Publié le 23/04/2018
Lors d'un meeting sur la prévention de la radicalisation, en octobre 2016. Lionel Bonaventure/AFP

Au cours de leur atelier de recherche, les étudiant·e·s du Master Journalisme et médias numériques ont rencontré des chercheur·e·s travaillant sur les médias – depuis les pratiques professionnelles jusqu’aux thématiques récurrentes dans l’information. Une série de 5 épisodes réalisée pour The Conversation en partenariat avec le Centre de recherche sur les médiations (Crem). Pour ce cinquième et dernier épisode, le texte et la vidéo sont signés Élie Guckert et Lucas Hueber.


Malgré sa complexité, de nombreux chercheurs tentent aujourd’hui de modéliser les schémas de la radicalisation afin de pouvoir la prévenir. Rabie Fares, docteur en psychologie sociale et ATER à l’Université de Lorraine, s’intéresse en particulier au rôle de la construction subjective du rapport au religieux chez les jeunes Français radicalisés.

Première précision : si le terme de radicalisation est passé dans le langage courant en France, c’est un phénomène très récent. « Depuis le 11 septembre, le terme de radicalisation est utilisé par les journalistes », explique Rabie Fares. Petit à petit, il a imprégné le monde de la recherche. « Avant, on parlait d’extrémisme, de fanatisme ou de terrorisme. »

S’il est des concepts qui tombent sous le sens, celui de radicalisation reste en réalité flou et renferme la manifestation de plusieurs phénomènes qui se croisent. « C’est un concept-écran », estime Rabie Fares, pour qui le terme reste « peu défini ». Pendant longtemps, la recherche a cru pouvoir dessiner le profil type du radicalisé, mais la diversité des personnes touchées ces dernières années a battu en brèche cette vision du phénomène. « La radicalisation prend plusieurs formes. Il faut donc une approche sur le processus et non sur le profil. » L’étude doit donc se faire au cas par cas et prendre en compte la multiplicité des paramètres qui s’agrègent pour former ce genre de situations.

Besoin de plus d’interdisciplinarité

Rabie Fares estime que l’on peut malgré tout identifier des traits communs dans la diversité des profils radicalisés. Il est d’abord nécessaire selon lui de différencier la radicalisation en France et au Moyen-Orient, où l’environnement est bien différent. Pour lui les jeunes Français sont bien souvent des jeunes issus de l’immigration ayant subi une forme de « déculturation » et revenus tardivement à la religion. Une « jeunesse qui redécouvre la religion et qui a du mal à en saisir les valeurs. »

Au sein des radicalisés religieux, on trouve notamment deux profils prégnants, à savoir « les convertis qui quittent leur religion, ou les convertis qui sont des personnes qui n’ont jamais eu, auparavant, un profil religieux. » Une religiosité qu’ils se sont construite eux-mêmes, une forme de sous-culture, en dehors des cercles religieux classiques. Cette religiosité subjective conduirait ainsi à adhérer à une action violente en forme de contestation de l’ordre établi, y compris donc de l’ordre religieux.

The ConversationAutant de pistes qui sont tout sauf des certitudes pour le chercheur qui appelle à l’humilité : « On est encore loin de comprendre le phénomène vu son aspect mutant. » Une complexité qui nécessite selon lui plus d’interdisciplinarité entre la sociologie, la psychologie ou encore les sciences politiques. Une interdisciplinarité qu’il considère encore trop peu développée en France mais qui peut réellement être bénéfique sur le sujet de la radicalisation. Le phénomène touche en effet de nombreux domaines de la société française comme l’a démontré la question récente des revenants, mais aussi celle des détenus radicalisés, qui sont autant de défis à la démocratie.

Loïc Ballarini, Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.