Archéologie expérimentale - Un poignard du Bronze ancien (1 700 ans Av. J.-C.) reconstitué

 
Publié le 31/08/2016 - Mis à jour le 5/09/2016
Coulée expérimentale - Photographie D. Morin

Une équipe de chercheurs de l’Université de Lorraine et du Centre de recherche en archéologie expérimentale de l’Est (ERMINA) ont partagé un temps leurs travaux avec les ouvriers fondeurs de la fonderie Serero de Plancher les Mines dirigée par son PDG Denis Weistroffer.

L’entreprise Serero de Plancher les Mines est implantée depuis le 19ème siècle et elle toujours développé son savoir-faire dans le domaine de la fonderie de métaux légers, bronze et aluminium. Elle est maintenant spécialisée dans la production de pièces techniques à destination de l’aéronautique, de l’électricité et de l’automobile. Ses équipes d’une vingtaine de compagnons coulent chaque jour environ une tonne de métal dans des moules en sable de différentes dimensions afin de réaliser ces pièces. Respectueuse de l’environnement, elle recycle l’intégralité des sables de fonderie ainsi que des déchets métalliques.

L’objectif de ce travail inédit était de confronter et de comparer les techniques de fonderie passées et actuelles, de comprendre les techniques de fabrication complexes de ces premiers objets de métal. L’objet sélectionné pour cette opération délicate est un poignard de l’Age du Bronze, une pièce emblématique du patrimoine archéologique puisqu’il s'agit du poignard en bronze de Crussol dont une réplique a été confié à l'équipe par le musée archéologique d'Orgnac en vue de cette expérimentation.

Le poignard de Crussol, conservé au Musée de Valence (Drôme), a été découvert le 9 janvier 1790 au lieudit « le rocher de Crussol » dans le département de l’Ardèche par deux ouvriers occupés à effectuer des tirs de mine dans une carrière. Ces carriers et plusieurs autres ouvriers présents, étonnés d'une lette découverte, cassèrent la pointe de l’objet, pour vérifier si le métal en était précieux, le dégagèrent de son enveloppe calcaire dont il conserve encore quelques parties, et le frottèrent ensuite avec une pierre de grès. Après avoir été acheté, l’objet finit par atterrir dans les collections du musée de Valence. Ce poignard est, sans doute, parmi les plus beaux trouvés en France. La lame est à double tranchant, en forme de triangle très allongé; les bords sont ornés d’une série de quatre filets en creux, parallèles au tranchant ; l'échancrure demi-ovale, laissée par la poignée, est décorée de fines gravures géométriques que limite à la base une rangée de dents de loup. La poignée est courte et de section ovale ; le fût porte trois anneaux de six traits, chaque groupe limité par deux anneaux de pointillé; l'extrémité, qui s'unit à la lame, est en forme de croissant; elle présente une profonde rainure où vient s'implanter la partie supérieure de la lame, fixée au moyen de six rivets perçant de deux côtés. Un bouton, plat et ovale, décoré d'un ornement en croix, termine la poignée. Sa longueur totale est de 267 mm; son poids de 338 grammes. Il est en bronze avec une proportion de 88% de cuivre et de 12% d’étain. Par la richesse du décor, ce poignard de type rhodanien était vraisemblablement un objet de prestige réservé aux élites. Ce type de poignard est répandu dans la vallée du Rhône et celle de la Saône, mais également dans les Alpes et la Suisse occidentale.

Pour tester les capacités de coulée modernes, plusieurs moules ont été réalisés par les ouvriers de la fonderie. La finesse de la lame, les incisions présentes en surface, l’insertion de la garde, constituent les points les plus remarquables mais aussi les plus énigmatiques en termes de conception de cet objet. Et pourtant, ils démontrent s’il en est des capacités intellectuelles et techniques de haut niveau des premiers métallurgistes d’Europe occidentale. La coulée qui a suivi le façonnage des moules a permis de réaliser avec succès un exemplaire de ce poignard. L’analyse des techniques et des gestes mis en œuvre au cours de cette opération devrait permettre d’améliorer notre connaissance des savoir-faire à l’aube de la métallurgie. La démarche paléométallurgique est renforcée lorsque les hypothèses sont testées expérimentalement : en amont de cette opération, les archéologues avaient coulé une première réplique d’après les données archéologiques utilisant des moules en grès des Vosges et des soufflets manuels à partir de modèles ethnographiques. Cette opération hors du temps est le résultat d’une longue coopération et d’un travail entre des archéologues, spécialistes en archéologie des techniques, Jean Sainty fondateur du Centre Expérimental de Préhistoire Alsacienne (CEPA) et Denis Morin, enseignant chercheur à l’Université de Lorraine, rattaché au laboratoire EA 1132, HISCANT-MA.

Cette opération s’inscrit dans un programme consacré à l’origine des techniques d’extraction et de transformation des ressources minérales en Europe : des travaux qui se concrétisent par des recherches aussi bien sur le terrain qu’en laboratoire.Plusieurs expérimentations sont en cours afin de tester les différentes possibilités d'emmanchement. L’équipe doit prochainement réaliser plusieurs expérimentations métallurgique afin de tester les minerais de cuivre provenant des mines médiévales du Warndt en Lorraine.

Une réplique du poignard dans son moule in situ après coulée - Photographie D. Morin
Réplique du poignard de Crussol - Photographie D. Morin
Poignard en bronze de Crussol
Fonderie Serero - Coulée de bronze in situ - Photographie D. Morin