Le projet INSIGHT, développé dans le cadre du programme IMPACT de Lorraine Université d'Excellence, s’inscrit dans le défi « Transition de la société ». Il ambitionne de construire de nouveaux ponts entre sciences humaines et sociales, arts, sciences juridiques et technologies numériques, en s’appuyant notamment sur les outils de l’intelligence artificielle et du traitement automatique des langues. Rencontre avec le porteur scientifique de ce projet, Maxime Amblard (LORIA).
Pouvez-vous nous présenter votre projet IMPACT et préciser quel grand défi il vise à relever ?
Maxime Amblard : "Le projet INSIGHT s’inscrit dans le défi « Transition de la société » en favorisant une dynamique interdisciplinaire ambitieuse entre, d’un côté :
- les Sciences Humaines et Sociales (SHS), les Arts, Lettres et Langues (ALL), ainsi que les Sciences Juridiques, Politiques, Économiques et de Gestion (SJPEG),
- et de l’autre, les domaines de l’Intelligence Artificielle (IA) et du Traitement Automatique des Langues (TAL ou NLP – Natural Language Processing).
Le projet s’adresse à l’ensemble du champ SHS-ALL-SJPEG, en se concentrant sur des problématiques de recherche fondées sur l’analyse de données en langue naturelle : corpus de conversations, textes littéraires, documents juridiques, enregistrements vocaux, etc.
Ce positionnement spécifique permet de l’ancrer pleinement dans les problématiques techniques du TAL, qui mobilisent un large éventail d’outils et de méthodes issus de l’IA, tout en élargissant les collaborations interdisciplinaires au-delà des dialogues historiques du site lorrain, tels que ceux entre informatique et linguistique.
Si INSIGHT s’appuie sur les forces scientifiques au sein du site lorrain, notamment les collaborations reconnues entre l’ATILF et le Loria (département 4) offrant un socle méthodologique et théorique solide, l’ouverture vers les champs Arts Lettres et Langues et celui des Sciences Juridiques, Politiques, Économiques et de Gestion, constitue une véritable dimension originale du projet, encore très peu explorée, tant à l’échelle nationale qu’internationale.
Elle vise à créer les conditions d’une acculturation mutuelle entre disciplines, indispensable pour penser les transformations sociétales liées à l’émergence de l’IA, tant dans les pratiques de recherche que dans leurs objets.
D'une durée de 4 ans, le projet est structuré autours de 4 Work Packages faisant le lien entre aspects techniques et méthodologiques, et 3 thématiques transverses qui s’inscrivent plus directement dans les enjeux techniques d’IA et de TAL:
WP 1. Digital Data
WP 2. Impact on Humanities and AI acculturation
WP 3. Ethics, Deontology and Responsibilities
WP4. AI and NLP and the specificities of SSH corpora/data
Transverse A. Links with Society
Transverse B. Speech, Text and Knowledge
Transverse C. environmental impact
Le projet a également une composante formation importante et des liens explicites avec la société civile via des collaborations thématiques avec l’institut national des jeunes sourds (INJS de Metz), et sur les thématiques de la presse avec le groupe EBRA."
Pouvez-vous expliquer en quoi votre projet se distingue par son approche interdisciplinaire et comment vous envisagez la coordination entre les différents acteurs pour garantir une dynamique de recherche agile et efficace ?
Maxime Amblard : "L'ouverture au champ ALL et SJPEG est une originalité qui reste très peu développée, tant au niveau national qu’international.
Toutefois, ce principe d'ouverture justifie le choix de ne pas imposer une méthodologie unique, qui serait applicable transversalement à toutes les disciplines.
Cela permet de respecter leurs spécificités. Les transformations des objets de recherche dans ces disciplines par l'émergence d'outils et méthodes numériques seront au cœur du projet.
Nous espérons garantir une dynamique de recherche agile en structurant l’organisation scientifique et l’approche interdisciplinaire selon une logique de cercles concentriques, articulés en trois niveaux :
Niveau 1 – Le socle du projet repose sur l’interdisciplinarité historique à la croisée de la linguistique et du traitement automatique des langues (TAL)
Niveau 2 – Ce noyau sera enrichi par les collaborations déjà établies avec les SHS, notamment à travers les projets portés par l’écosystème du programme Impact Olki achevé en décembre 2022.
Niveau 3 – Enfin, une ouverture vers d’autres disciplines sera opérée, en particulier avec ALL (à partir des corpus littéraires) et SJPEG (via les corpus de textes juridiques et les échanges autour de l’activité politique).
Cette structuration permettra d’adapter finement les actions d’acculturation et les dispositifs de financement en fonction du degré de maturité des collaborations interdisciplinaires.
Ainsi, des enjeux tels que la redéfinition des objets de recherche face à l’émergence de nouvelles méthodes automatiques (par exemple, l’analyse à large échelle de la littérature relèvent plus naturellement du troisième niveau). Sur ces terrains, les réponses ne sont jamais simples : il s’agit de soutenir à la fois l’innovation conceptuelle et la réflexion critique sur les cadres théoriques traditionnels."
Quelles sont les prochaines actions prévues pour votre projet IMPACT dans les mois ou années à venir ?
Maxime Amblard : "La mise en place de collaborations interdisciplinaires est un processus exigeant. Les communautés scientifiques concernées se distinguent par des cultures épistémiques, des pratiques de recherche, ainsi que des modes d’évaluation et de publication hétérogènes. Afin de faciliter ces rapprochements, plusieurs dispositifs sont actuellement en cours de développement dans le cadre du projet INSIGHT.
Le lancement de thèses et de post-doctorats co-encadrés constituera un axe central du projet, visant à consolider dans la durée les collectifs interdisciplinaires. Ce volet s’accompagnera de la mise en place de modules de formation, parmi lesquels un module doctoral consacré aux enjeux sociétaux, éthiques et environnementaux de l’intelligence artificielle, des écoles d’été, ainsi que des parcours de formation à destination des étudiants en sciences humaines et sociales (SHS) et en informatique.
Par ailleurs, l’organisation régulière de coffee times et d’ateliers interdisciplinaires permettra de créer des espaces de dialogue sur les pratiques, les méthodes et les référentiels propres à chaque discipline. Des hackathons viendront compléter ces dispositifs en offrant des formats immersifs pour expérimenter concrètement les différences de pratiques. Enfin, des actions de médiation scientifique et de production citoyenne de données seront mises en œuvre pour renforcer les liens entre recherche et société.
Dans cette dynamique, un premier événement structurant est prévu : le workshop « Semantics for Interdisciplinary Research », accepté dans le cadre de la International Conference on Computational Semantics (IWCS 2025), qui se tiendra à Düsseldorf en septembre prochain. Cet atelier explorera comment les modèles et outils sémantiques peuvent être mobilisés pour aborder des problématiques traditionnelles et émergentes dans les sciences humaines au sens large (sciences sociales, droit, économie, gestion, littérature, langues, arts, etc.)."
Contacts :
Porteur scientifique : Maxime Amblard (maxime.amblard@univ-lorraine.fr), Professeur en Informatique, Université de Lorraine - LORIA (Université de Lorraine, CNRS)/IDMC
Project manager : Philippe De carvalho (philippe.de-carvalho@univ-lorraine.fr)