Tous sportifs ? Toutes sportives ? Sportivité et perception de sa sportivité chez les élèves de terminale

 
Publié le 23/01/2025
Mary Schirrer

Mary Schirrer, sociologue du sport et maîtresse de conférences à l’UFR STAPS de l’Université de Lorraine, nous éclaire sur les inégalités de genre dans les activités physiques et l’orientation scolaire. Référente de la cellule Égalité, Diversité et Inclusion (EDI) et spécialiste des processus de socialisation corporelle et sportive, elle s’intéresse à la fabrication sociale des corps et aux dynamiques d’émancipation, notamment à travers les apprentissages sensoriels. Forte de son expertise, elle partage ici ses réflexions sur la sportivité des élèves de terminale et leurs perceptions différenciées, un enjeu clé pour une orientation et une pratique sportive plus égalitaires.

Factuel : D'où vous est venue cette idée de recherche ?

En cette journée internationale du sport des femmes[1], je souhaite vous présenter les résultats d’une recherche récente concernant la sportivité – objective et subjective – des élèves de terminale. Les résultats seront publiés début 2025 dans la Revue Sciences Sociales et Sport[2].

L’origine de ces travaux vient d’une vaste enquête, menée en équipe et soutenue par diverses institutions dont l’Université de Lorraine, sur l’orientation en STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives). En effet, contrairement à certaines filières universitaires où les étudiantes sont devenues largement majoritaires en 20 ans comme dans les cursus de langues, lettres, droit, sciences de la nature et de la vie, on constate une baisse significative de la part des filles dans la filière STAPS actuellement (environ 27% en L1). Dans le même temps, les politiques actuelles cherchent à favoriser une plus grande mixité des orientations universitaires et professionnelles. Notre recherche visait donc à comprendre les processus d’orientation des lycéens et lycéennes en STAPS, ainsi que les facteurs qui contribuent à stimuler ou inhiber ces choix[3]. Plusieurs hypothèses ont été explorées : représentations de la filière ; niveau sportif attendu ; modèles d’identification ; etc. Nous avons particulièrement exploré l’idée selon laquelle, pour « oser » s’orienter en STAPS, il faut estimer avoir un niveau sportif suffisant. Je vais donc vous parler plus précisément de cette partie de la recherche.

Factuel : Pouvez-vous nous décrire le sujet de votre article en quelques lignes ?

Les enquêtes actuelles montrent une augmentation de la pratique sportive féminine, sous tendue par une transformation des représentations des sexes, mais aussi grâce à des politiques publiques volontaristes de féminisation depuis 2012. Cependant, un différentiel entre filles et garçons s’installe dès la petite enfance et s’amplifie à l’adolescence, touchant davantage les filles des catégories populaires.

Enfin, de nombreux travaux pointent la sous-estimation des filles et des femmes quant à leurs compétences scolaires, scientifiques ou professionnelles. Nous interrogeons cette dépréciation et ses possibles effets en matière d’activité physique et sportive et plus largement d’orientation universitaire.

Les questions que nous posons sont les suivantes : à un âge clé du décrochage des élèves vis-à-vis de l’activité physique, qu’en est-il des élèves des classes de terminale engagé·es dans une année scolaire certificative ? Alors que les choix d’orientation doivent être saisis sur Parcoursup, comment les élèves, filles et garçons, perçoivent-ils/elles leur sportivité ?

Précisions que par sportivité objective, nous entendons le degré d’investissement dans une ou plusieurs activités physiques ou sportives (mesurée à partir de divers indicateurs). Par sportivité subjective, nous entendons la façon dont l’élève se perçoit comme plus ou moins sportif/ve.

Factuel : Quelles sont vos observations ?

L’enquête révèle des écarts marqués entre filles et garçons de terminale concernant leur rapport à la sportivité. Sans surprise, les garçons, plus investis objectivement dans les pratiques sportives, se perçoivent également comme plus sportifs.

Mais le résultat principal de cette enquête tient dans la possibilité que nous avons eue de comparer la sportivité subjective des élèves, pour des scores de sportivité objective équivalents. Ainsi, à sportivité objective égale, les filles sous-estiment systématiquement leur sportivité et/ou les garçons surestiment systématiquement leur sportivité. En revanche, à sportivité objective élevée, les filles tendent à se considérer elles-aussi comme très sportives, et le différentiel d’appréciation avec les garçons est très faible.

Ce différentiel s’explique par des processus de socialisation genrée, renforcés par des normes sociétales valorisant davantage la masculinité sportive. Toutefois, lorsque les filles atteignent une sportivité objective élevée, leur perception de soi converge avec celle des garçons, laissant penser que l’expérience d’un corps performant, fonctionnel voire puissant, peut infléchir ces normes et permettre une émancipation des modèles sociaux différenciés.

Factuel : Quels leviers proposeriez-vous pour valoriser la sportivité des jeunes filles et promouvoir un mode de vie actif chez elles ?

Pour réduire les écarts de pratique sportive entre filles et garçons et prévenir le décrochage à l’adolescence, plusieurs leviers sont essentiels. Promouvoir des modèles diversifiés de sportives éloignés des normes de féminité hégémonique élargit les horizons des jeunes filles. Adapter l’offre sportive, avec des créneaux mixtes ou non, des infrastructures inclusives, et des éducateurs formés à gérer cette mixité est également crucial. L’EPS joue un rôle clé en valorisant la diversité des pratiques et en luttant contre les stéréotypes. Enfin, donner de la visibilité aux sportives et valoriser leurs exploits sans les réduire à des figures secondaires est indispensable. Les pratiques sportives, en tant que vecteurs de confiance en soi et d’émancipation, doivent être accessibles à toutes et tous.

Factuel : En quoi la cellule égalité diversité inclusion de l'UFR STAPS soutient-elle ce type de travaux ?

La cellule EDI de l’UFR STAPS, nouvellement créée, entend devenir un vecteur de sensibilisation aux inégalités dans le sport, par la diffusion des connaissances scientifiques les plus récentes : sensibiliser aux processus qui éloignent de la pratique sportive ; aux processus qui produisent des inégalités dans les pratiques sportives.

Notre cellule, par des moments de partage de connaissances associés à des temps d’échanges et de réflexion, souhaite devenir un incubateur d’idées pour agir en faveur de l’activité physique de la jeunesse, et notamment des personnes qui en sont les plus éloignées.

 


[1] Je préfère de la pratique sportive des femmes qui ne sous-entend pas qu’il y aurait une « manière féminine » de faire du sport.

[2] Schirrer, M., Ottogalli-Mazzacavallo, C., Fol, Y. (2025, à paraître). « Tous sportifs ? Toutes sportives ? Genre et perception de la sportivité chez des élèves de Terminale », Revue Sciences Sociales et Sport.

[3] L’étude a été initiée au sein du Centre EPS et Société dès 2015. L’enquête a été menée dans cinq académies entre 2017 et 2019. L’étude scientifique a été coordonnée par Cécile Ottogalli-Mazzacavallo (LVIS) et Mary Schirrer (LISEC) et financée par le SNEP-FSU, le LISEC de l’Université de Lorraine et le LVIS de l’Université Lyon1. Plusieurs collègues ont participé, à un moment ou un autre du processus : Sigolène Couchot-Schiex (LIRTES), Virginie Drumel (stagiaire LVIS), Carine Guérandel (CéRIES), Loïc Szerdahelyi (IREDU) et Marie Thiann-Bo Morel (UMR Espace Dev). Le rapport est disponible ici : https://epsetsociete.fr/wp-content/uploads/2023/04/Rapport_Femmes_Orientation_STAPS-juillet-2022-DEF.pdf