Rencontre avec Pr Ariane BOUDIER

 
Publié le 10/07/2023

Par arrêté de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en date du 4 mai 2023, est nommée membre Junior de l’Institut Universitaire de France à compter du 1er octobre 2023, pour une durée de 5 ans Ariane BOUDIER, Professeure des Universités à la Faculté de Pharmacie – Université de Lorraine et Directrice du Laboratoire CITHEFOR UR3452.
Découvrez son projet ainsi que son parcours

Qu’est-ce que l’Institut Universitaire de France (IUF) ?

L’Institut Universitaire de France (IUF) est un service du ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche et de l’Innovation. Il a été créé en 1991. Il sélectionne un ensemble d’Enseignants-Chercheurs en poste dans leur propre université, par un jury international pour la qualité de leur recherche.

Il existe deux catégories de membres :

  • 100 Juniors nommés pour 5 ans non renouvelable
  • 100 Seniors nommés pour 5 ans renouvelable une fois

Au total 200 membres sont sélectionnés chaque année.

Quels sont les objectifs de l’IUF ?

L’institut propose trois avantages importants aux lauréats :

  • Encourager les établissements et les enseignants-chercheurs à l'excellence en matière de recherche, avec tous les impacts positifs que cela engendre sur l'enseignement, la formation des jeunes chercheurs et la diffusion des savoirs vers la société.
  • Contribuer à la féminisation du secteur de la recherche autant que possible.
  • Contribuer à une répartition équilibrée de la recherche universitaire dans tout le pays et donc à une politique de maillage scientifique du territoire.

La délégation à l’IUF offre trois avantages principaux aux lauréats :

  • Un soutien financier à leur projet de recherche,
  • Une décharge de 2/3 de service d’enseignement (soit 128 heures),
  • La gratification de l’excellence scientifique.

C’est surtout la décharge de service durant cinq ans, c’est-à-dire un temps assez long, qui est vécue pour beaucoup comme une énorme « bouffée d’oxygène cognitif » qui leur est apportée afin de déployer leurs talents de chercheur. Car la recherche, c’est passionnant évidemment, mais cela demande un temps neuronal très important, du travail acharné, de la patience et de la rigueur…

Quel projet innovant vous a valu cette nomination ?

Grâce à un travail d’équipe avec Igor CLAROT, Professeur des Universités à la Faculté de Pharmacie – Université de Lorraine, Benjamin CREUSOT, Adjoint technique et appartenant comme moi au laboratoire CITHEFOR UR3452, en collaboration avec François FEILLET, Professeur des Universités – Praticien Hospitalier dans le service de médecine infantile du CHRU de Nancy, Jean-Marc ALBERTO et Audrey MALARDE, respectivement Ingénieur d’Etudes,  et Doctorante tous les trois appartenant à l’UMR_S 1256 NGERE et certains étudiants de la Faculté de Pharmacie-Université de Lorraine, nous avons décidé de développer des nanoclusters de cuivre (CuNC) pour le traitement d’enfants atteints de la maladie de MENKES. Il s’agit d’une maladie génétique touchant le métabolisme du cuivre (un oligo-élément essentiel pour l’organisme). Dans la maladie de MENKES, le transport intestinal et cérébral du cuivre est perturbé suite au défaut génétique d’un transporteur de cuivre (ATPase7A). Il en résulte chez les patients atteints un effondrement des taux de cuivre sanguin et cérébral entraînant un défaut de fonctionnement de toutes les enzymes cupro-dépendantes, ce qui entraîne une maladie systémique (atteinte phanérienne, vasculaire, osseuse…) et neurologique (encéphalopathie épileptique pharmaco-résistante, retard de développement psychomoteur, hypotonie musculaire) avec un décès survenant dans les premières années de vie. La transmission de cette maladie est liée au chromosome X, ainsi ce sont surtout chez les sujets garçons qui sont atteints. La maladie de MENKES est une maladie rare (prévalence de la maladie estimée à 1/300 000) et orpheline pour laquelle il n’existe aucun traitement à ce jour qui permette une amélioration significative de l’espérance et de la qualité de vie. Nous avons donc fait l’hypothèse que des nanoparticules de cuivre très petites, des nanoclusters, pourraient constituer un traitement intéressant dans cette maladie.

Après deux ans de travaux sur la mise au point de ces nanoclusters de cuivre, nous avons réalisé, à l’Animalerie du Campus Brabois Santé, une première expérimentation sur un modèle animal, murin, de maladie de MENKES à qui nous avons administré ces nanoclusters: nous avons alors observé que le traitement était efficace !

Afin de développer et de transférer ces expérimentations à l’échelle industrielle, nous avons bénéficié de l’accompagnement notamment financier de la SATT SAYENS. De plus, la Fondation des Maladies Rares nous a permis de rencontrer des acteurs industriels afin de concrétiser ce transfert, pour nous permettre d’aller plus loin c’est-à-dire pour démarrer un essai clinique dès que possible.

Dans ce projet de recherche, il y a un trajet fondamental lié au réglementaire à suivre :

  • Un brevet est maintenant publié
  • Le statut de médicament orphelin, qui est un signal très fort pour l’équipe et le projet en lui-même, a été obtenu l’an dernier auprès de l’Agence Européenne du Médicament (EMA).
  • Nous devons valider le transfert à l’échelle industrielle
  • Nous devons poursuivre le travail sur la partie réglementaire en lien avec des cabinets privés, des entreprises pharmaceutiques via la SATT SAYENS… Pour pouvoir avoir le droit de réaliser cet essai clinique
  • En parallèle, le protocole de l’essai clinique de phase I/II est en cours d’écriture.

Il est aussi très important de mentionner que ce projet n’existerait pas sans toutes les personnes qui sont derrière : Igor, Benjamin, François, Jean-Marc et Audrey, ainsi que les collaborateurs académiques qui nous aident sur certaines questions, la SATT SAYENS (Paul), notre principal financeur et accélérateur pour l’aspect réglementaire et la mise en relation avec les entreprises du monde pharmaceutique. Je les remercie tous infiniment. Le respect, voire au-delà, je pourrai dire, l’amitié qui nous lie, permet de faire avancer cette recherche en franchissant toutes les barrières auxquelles nous avons dû faire face, et elles ont été nombreuses, et de nouvelles difficultés apparaîtront encore.

Pouvez-vous présenter votre parcours ? Comment devient-on chercheuse ?

Après l’obtention de mon baccalauréat scientifique, j’ai intégré la Faculté de Pharmacie de Nancy par le biais du concours pharmacie en 1999/2000, avec pour objectif de travailler dans la Chimie appliquée à la Santé. Et puis au fur et à mesure de mon cursus, je me suis orientée vers la Recherche pour laquelle je voue une véritable passion. J’ai tout d’abord passé le concours de l’internat en pharmacie, que j’ai réussi. J’ai mené mon internat en pharmacie en Pharmacie Industrielle et Biomédicale à Montpellier, j’ai passé mon Diplôme d’Etudes Approfondies (« ancêtre » du Master 2) pour ensuite réaliser un Doctorat d’Université à l’Université de Montpellier (UMR 5253), soit trois années vouées à un projet de recherche déjà centré sur des nanoparticules mais avec comme application la thérapie cellulaire. Et me voilà en débutant ma carrière professionnelle sur un poste de chercheure contractuelle à Toulouse (UMR 5623) puis en tant que Maître de Conférences en chimie physique générale et minérale en 2009 à Nancy, puis après avoir soutenu mon Habilitation à Diriger des Recherches, Professeur des Universités ! C’est un chemin long mais passionnant !

Quel est votre domaine de recherche ?

Je suis spécialisée dans les nanoparticules appliquées à la Santé. C’est un domaine passionnant fondamentalement interdisciplinaire puisqu’on travaille avec des chimistes, des biologistes, des biochimistes, des pharmacologues, des médecins cliniciens… C’est donc très riche en rencontres scientifiques et humaines. Et ma formation de pharmacien constitue un véritable atout à l’interface de toutes ces disciplines.  

Intégrer l’Institut Universitaire de France en tant que membre Junior, qu’est-ce-que cela représente pour vous ?

Après une première tentative, il y a quelques années, qui s’est conclue par un échec, j’ai retenté ma chance. Quand j’ai appris que j’étais nommée, je me suis dit « Waouhhhh » ! Et quelle fierté !
Plus sérieusement, être nommée en tant que membre Junior est une énorme reconnaissante car l’Institut Universitaire de France a une renommée nationale. Ma désignation représente une opportunité de positionner mon projet de nanoclusters de cuivre et d’aller plus loin … à l’échelle supérieure avec l’équipe impliquée dans cette belle aventure scientifique et humaine.

Qu’allez-vous pouvoir développer dans vos recherches grâce à l’IUF ?

Grâce à l’IUF, nous allons pouvoir valider le transfert à l’échelle industrielle et travailler sur la partie réglementaire en lien avec des cabinets privés, des entreprises pharmaceutiques, la SATT SAYENS… pour aller vers un essai clinique dans un futur proche, je l’espère de tout cœur.
Et qui sait voir peut-être notre projet aboutir…