Expérimenter le geste et l’outil. Sur les traces des artisans du bois

 
Publié le 9/09/2022 - Mis à jour le 16/09/2022
Mesures de coupe (M Bordessoulles) sur un arbre en cours d'abattage

L’archéologie est fondée sur la recherche et l’interprétation de traces matérielles abandonnées par les sociétés humaines. Or la connaissance des activités techniques ne nous est accessible que par les indices matériels qui leur ont survécu. Les artefacts mis au jours au cours des fouilles archéologiques résultent de gestes techniques précis acquis par des savoir-faire. Pour les restituer et comprendre les techniques mises en œuvre, les chercheurs ont recours à l’expérimentation comme ici autour du bois.

Des archéologues qui tirent à l'arc, construisent des huttes, taillent et perforent les roches, fabriquent de la céramique, ou fondent du métal... ce pourrait être là une scène de reconstitution en vue d’un tournage cinématographique. Il n’en est rien.

C’est sur le site du Centre Régional d’Archéologie Expérimentale du Mont Vaudois non loin de Belfort que se sont donnés rendez-vous plusieurs archéologues issus de d’horizons divers: préhistoriens, ethnoarchéologues, archéologues des techniques et archéodendromètres (analyse des bois archéologiques). Leur objectif : tester et comprendre le comportement des matériaux lors de l’abattage et du travail du bois, mais pas uniquement. Il s’agissait tout autant d’appréhender le geste et la technique que les marques laissées par les outils sur les bois et leurs copeaux, témoignages expressifs des artisans du passé : une expérimentation hors du temps liée aux travaux de recherche de Muriel Bordessoulles, doctorante au laboratoire HISCANT-MA.

Expérimenter ?

L’archéologie est fondée avant tout sur la recherche et l’interprétation de traces matérielles abandonnées par les sociétés humaines. À partir des vestiges, les archéologues tentent de reconstituer la vie des populations disparues. Pour autant, la connaissance des activités techniques ne nous est accessible que par les indices matériels qui leur ont survécu. Les artefacts mis au jours au cours des fouilles archéologiques résultent de gestes techniques précis acquis par des savoir-faire. Pour les restituer et comprendre les techniques mises en œuvre, les chercheurs ont recours, comme ici, à l’expérimentation.

En préalable à ces travaux, plusieurs outils expérimentaux ont été fabriqués à partir des ressources minérales issues des Vosges du Sud : quartzite des épandages fluvioglaciaires de la vallée de l’Ognon, roches métamorphiques de la vallée du Rahin et enfin, cuivre et bronze : des métaux issus directement de minéralisations présentes dans le massif vosgien. Plusieurs coulées de métal ont été nécessaires pour façonner les haches en métal. De la même manière, le polissage intégral des haches et des herminettes a exigé des centaines heures de travail sur des blocs de grès. Quant aux outils tranchants les plus anciens, ils ont été façonnés à partir de galets sélectionnés dans les sédiments fluvioglaciaires en aval de Lure, en utilisant la technique de la percussion bipolaire.

Pourquoi une telle recherche ?

Dans la diversité des domaines d'étude de l’archéologie, il en est un qui n'a pas fait jusqu'à présent l'objet d'études pluridisciplinaires: celui de la reconstitution des gestes techniques corrélé avec le comportement des matériaux et leur potentiel tracéologique sur le bois. En résumé, il s’agit de reconstituer les actions techniques puis d’analyser au plus près les traces les plus infimes laissées par les outils et d’analyser les tranchants avant et après leur utilisation. Moins de dix minutes ! C’est le temps qu’il fallut pour abattre un arbre au moyen d’une hache en pierre polie. Quelques minutes ont suffi également pour confectionner un épieu au moyen d’un galet aménagé.

L’analyse des gestuelles de l’expérimentateur permet de déterminer l’efficience des gestes techniques aussi bien que les ressentis physiques. Cette archéologie du geste se propose d’identifier des mouvements dont la connaissance reste invisible à travers le vestige. Ce faisant elle ouvre de nouvelles perspectives de recherche dans la restitution des comportements techniques. La reconstitution des gestes techniques se fonde sur des constats : la réalisation de mouvements répétitifs induit l'apparition de marqueurs d'activités. La comparaison entre les constats expérimentaux et les faits archéologiques, permet alors de lever certaines hypothèses.

Les résultats de ces expérimentations : épieux, pièces de bois travaillées, sections de troncs d’arbre, copeaux, ont été minutieusement collectés au cours des essais en vue des analyses qui seront effectuées en laboratoire. Il en est de même pour les outils et leurs tranchants qui subiront des examens tracéologiques poussés à l’échelle macro et microscopique. Chacune des opérations a fait l’objet de prises de vue et d’enregistrements vidéo lesquels seront également décryptées afin de restituer au plus près la cinétique gestuelle au moment de l’expérimentation.

En soumettant ainsi l'espace archéologique sous le regard analogique de l’expérimentation, les scientifiques ont pour objectif de restreindre le champ des possibles pour mieux appréhender les gestes et les techniques aujourd’hui disparues.

 

Experimental  Woodworking – Ce projet s’inscrit dans le cadre d’un Programme de valorisation et de préservation du patrimoine des Mille Étangs initié par le Département de Haute-Saône (Retombée méridionale des Vosges). Il a pour objectif de tester et d’analyser le comportement de plusieurs artefacts reconstitués à partir des récentes découvertes mises au jour dans cette région du massif vosgien.

Experimental  Woodworking – Principaux acteurs/actrices et laboratoires impliqués dans ce projet

  • Jean SAINTY, ethno-archéologue, préhistorien, fondateur du Centre Expérimental de Préhistoire Alsacienne, directeur du Centre de Recherche en Archéologie expérimentale du Mont Vaudois CRAE.
  • Catherine LAVIER, Ingénieure Recherche en archéodendromètrie rattachée au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF), service à compétence nationale du ministère de la Culture et à l’UMR TEMPS 8068 spécialisée sur les technologies et l’ethnologie des mondes préhistoriques.
  • Michel MAUVILLY, archéologue émérite, chef du Secteur Pré - et Protohistoire auprès du Service archéologique de l'État de Fribourg (Suisse).
  • Denis MORIN, archéologue, Maitre de Conférences HDR émérite à l’Université de Lorraine, spécialisé en archéologie des techniques, rattaché au laboratoire HisCANT-MA (EA 1132), coordinateur de l'axe "Archéologie " du Programme de valorisation et de préservation du patrimoine des Mille Étangs (Haute-Saône).
  • Rémi BRAGEU, Ingénieur d’études en photogrammétrie/informatique rattaché à l’UMR 8220 du CNRS et de Sorbonne Université, spécialisée en physico-chimie.*
  • Muriel BORDESSOULLES, doctorante rattachée au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF) et au laboratoire HisCANT-MA (EA 1132) de l’Université de Lorraine qui prépare une thèse consacrée à l’archéodendrométrie.

 

Expérimentation archéologique (M. Bordessoulles) Mesures de coupe in situ. Photographie D. Morin
Expérimentation archéologique. Abattage d'un arbre avec une hache en roche. Photographie D. Morin
Expérimentation archéologique. Abattage d'un arbre avec une hache en cuivre. Photographie D. Morin
Expérimentation archéologique. Prises de vue macro in situ. Photographie D. Morin