Factuel est allé à la rencontre de Nicolas Fressengeas, nouveau vice-président en charge du numérique, des données et de la science ouverte à l'Université de Lorraine, afin d'en savoir plus sur son rôle et de découvrir les grands enjeux de la nouvelle vice-présidence.
Pouvez-vous présenter en quelques mots votre vice-présidence pour Factuel ?
Du point de vue de ma lucarne personnelle, cette Vice-Présidence s'inscrit dans la suite et l'extension de la mission Science Ouverte que j'exerçais depuis 2019, que notre Présidente m'a proposé d'associer au numérique pour ses volets recherche et pilotage, afin de coordonner ces enjeux fortement interdépendants. Le concept de Science Ouverte est détaillé par le Plan National pour la Science Ouverte et prôné jusqu'à l'Unesco. Il défend l'ouverture à tous des productions de la recherche afin que tous, de nos collègues de par le monde au grand public, puissent accéder aux écrits des chercheurs et aux données et codes sources qu'ils produisent. On comprend ainsi que la question des données de la recherche est fortement liée à l'ouverture de la science. Néanmoins, elle s'en éloigne également par le fait que certaines données produites par les chercheurs ne peuvent être ouvertes publiquement. Leur gestion et leur partage raisonné, de manière aussi ouverte possible, mais aussi fermée que nécessaire, doivent alors être pensés à travers une politique de la donnée qui est confiée à cette Vice Présidence à travers la charge d'Administrateur des Données, des Algorithmes et des Codes sources (ADAC) de l'établissement. Il ne peut néanmoins y avoir d'ouverture des productions des chercheurs sans les infrastructures numériques qui les supportent. C'est la raison pour laquelle la question de la politique des infrastructures numériques de l'établissement, notamment à destination des chercheurs, mais aussi du pilotage, a été incluse dans le portefeuille de cette Vice Présidence, avec des enjeux qui recouvrent mais dépassent naturellement les questions d'ouverture de la science.
Quels sont les grands enjeux (et/ou le calendrier) à venir pour votre vice-présidence ?
En ce qui concerne la Science Ouverte et les données, le Plan National pour la Science Ouverte nous livre par sa structure les quatre enjeux essentiels. Le premier est l'ouverture des articles et ouvrages écrits par les chercheurs. L'Université de Lorraine s'est fortement positionnée dans ce domaine avec son investissement dans l'Archive Ouverte nationale HAL et le lancement des Editions de l'Université de Lorraine sous le paradigme de l'accès ouvert immédiat, sans oublier le lancement en cours d'OpenUJournal qui offre aux chercheurs de l'université l'infrastructure technique nécessaire pour lancer des initiatives éditoriales ouvertes. Cependant, il n'est ni plus ni moins question ici que de proposer aux chercheurs de reprendre le contrôle de la diffusion nationale ou internationale de leurs écrits ; et ce changement fort bouleverse un écosystème d'édition scientifique établi, qui implique notamment des masses financières importantes. Les modèles économiques qui sous-tendent ces changement sont actuellement des enjeux internationaux cruciaux pour le futur de l'édition scientifique au sein desquels il est important que notre établissement ne se contente pas de subir.
La question de la gestion des données de la recherche a été mise à l'honneur récemment avec l'inauguration de Recherche Data Gouv par, entre autres, notre Présidente. Recherche Data Gouv est un écosystème national au service du partage et de l’ouverture des données produites par la recherche au sein duquel notre université s'est fortement impliquée, notamment avec la connexion de son propre entrepôt de données, DOREL. Le lancement de cette infrastructure nationale, qui s'inclura dans le nuage européen de la Science Ouverte (EOSC) montre l'importance que prendront à l'avenir la gestion et la valorisation des données produites par les chercheurs, en soutien à leurs écrits, ou en tant que telles. La politique actuelle de l'établissement est essentiellement fondée sur l'accompagnement des chercheurs du site lorrain, via notamment une insertion dans le dispositif national des ateliers de la donnée. Cette politique devra néanmoins évoluer pour prendre en compte le décret n° 2021-1572 du 3 décembre 2021 qui, dans son article 6, lie les enjeux d'intégrité scientifiques à ceux de la gestion des données de la recherche.
Le troisième volet du Plan National pour la Science Ouverte concerne la libération des algorithmes et codes sources produits par les chercheurs. Le chantier, immense, n'en est qu'à ses débuts, y compris au niveau national, avec la création toute récente du collège Codes Sources et Logiciels du Comité national pour la Science Ouverte. Nous disposons néanmoins déjà de l'archive internationale Software Heritage, créée par l'INRIA, dont l'objectif est d'archiver et de rendre accessible ni plus ni moins que l'ensemble des codes sources libres de la planète et de tous les temps. Au niveau de l’établissement, nous disposons également déjà de l'outil gitlab, dont il reste à favoriser l'appropriation, ainsi que de l'annuaire des logiciels chercheurs, dont l'ouverture reste à réfléchir.
Le quatrième et dernier volet du plan national est l'une des clefs de la réussite des trois premiers : ce que les lignes ci-dessus proposent, c'est une reprise en main par les chercheurs de l'activité éditoriale, associée à une nouvelle gestion des données produites par la recherche, sans oublier une acculturation à la libération des logiciels produits, le tout au sein d'un emploi du temps de l'enseignant-chercheur déjà sous tension. Ne nous le cachons pas : ces nouvelles tâches proposées demandent de la formation et du temps et devront être reconnues en tant que telles, si l'on veut que certains s'en saisissent. Ce dont il est question ici, c'est d'une profonde évolution des mécanismes d'évaluation de la recherche, telle que soulignée par l'Appel de Paris sur l'évaluation de la recherche, proposé par la première Conférence Européenne sur la Science Ouverte organisée dans le cadre de la Présidence Française de l'Union Européenne par, notamment, notre établissement. L'enjeu est très important et la coordination avec les Vice-Présidences chargées du Conseil Scientifique et des Ressources Humaines seront essentielles dans l'accompagnement des évolutions européennes impulsées par cet appel, dont certaines sont déjà implémentées au niveau national et européen.
La bonne gestion et la dissémination des productions des chercheurs telles qu'évoquées ci-dessus, on le voit, reposent entre autres sur une infrastructure technique qui se doit d'être robuste, performante et sécurisée. Cette mission est l'un des nombreux enjeux de l'appui à la recherche, et à son pilotage, de la politique numérique de l'établissement. En amont de la valorisation des données de la recherche, il y a leur hébergement pendant les phases exploratoires, par exemple sur le data center mutualisé lorrain, et leur production, toujours par exemple, par des codes de simulation hébergés dans un centre de calcul comme Explor, le tout évoluant numériquement au sein d'un Système d'Information dédié à la recherche et au doctorat interconnecté nationalement afin de fluidifier au mieux les interactions entre les acteurs. Ces enjeux fonctionnels de recherche, alliés à ceux qui permettent au numérique d'infuser dans tous les interstices de notre quotidien sont à équilibrer avec d'autres enjeux, tout aussi cruciaux, qui se nomment soutenabilité, souveraineté et sécurité au sein d'une démarche éco-responsable de maîtrise de l'impact environnemental. La pandémie a révélé les possibilités offertes par des technologies d'interconnexion et de partage, notamment par la visio-conférence. Néanmoins, les solutions retenues dans l'urgence n'ont pas été interrogées sous les angles de souveraineté et de sécurité, sans mentionner la soutenabilité à long terme. Par ailleurs, ces nouvelles solutions se sont ajoutées à notre paysage quotidien, sans questionner les anciens usages, éventuellement redondants. Sous tous ces aspects, la politique numérique de notre établissement doit par ailleurs être pensée au sein des écosystèmes régionaux et nationaux, avec d'éventuelles mutualisations de solutions en lien avec les politiques publiques.