Les « ordonnances Macron » examinées au microscope !

 
Publié le 31/05/2022 - Mis à jour le 2/05/2023

En 2019, Raphaël Dalmasso, maître de conférences HDR à l’université de Lorraine et chercheur à l’Institut François Gény (UR7301), répond avec d’autres chercheurs à un appel à projets de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), pour la réalisation de recherches quantitatives et qualitatives permettant d’évaluer l’impact des « ordonnances Macron » du 22 septembre 2017. Sa proposition est retenue et conduit à la signature d’une convention suivie d'un avenant entre l’université de Lorraine et le ministère du Travail d’un montant total de 96 045 euros. En parallèle, les litiges relatifs aux barèmes d’indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse introduits par les ordonnances se multiplient avec pour point d’orgue le récent arrêt de la Cour de cassation, en date du 11 mai 2022, affirmant la compatibilité de ces barèmes d’indemnisation avec le droit international. Aujourd’hui, alors que la recherche collective s’achève et que l’un de ses volets est au cœur de l’actualité, Raphaël Dalmasso, porteur du projet, revient pour Factuel sur les tenants et aboutissants de ces travaux.

En quoi consiste le projet de recherche collective mené avec le soutien de la DARES ? Qui sont les partenaires et les chercheurs impliqués ?

Notre recherche est une réponse à un appel à projet de la DARES et de France Stratégie en vue d'évaluer les "Ordonnances Macron". Celles-ci ont, fin 2017, réformé en profondeur le droit du travail français. Nous avons été sélectionnés sur le volet de cette recherche relatif aux indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse, aux accords de performance collective (APC) et aux ruptures conventionnelles collectives (RCC).

Cette recherche, menée au sein de l'Institut François Gény, comprend des juristes de ce laboratoire lorrain spécialisé en droit privé, sciences criminelles et histoire du droit mais également des économistes issues d’autres universités avec lesquelles j'avais déjà travaillé lorsque j'étais chercheur au Centre d'Études de l'Emploi et du Travail (CEET). C'est donc une véritable recherche bi-disciplinaire qui s'inscrit dans la continuité de travaux précurseurs sur les licenciements menés par nos collègues économistes nancéiens du Beta.

Concernant la recherche sur les indemnités de licenciement abusif plus particulièrement, la commande était d'évaluer en pratique l'impact de la barémisation de ces indemnités sur les décisions de justice. Nous avons signé une convention avec la Cour de cassation afin d'avoir accès à la base « juriCA » d'arrêts de Cour d'appel. Cette convention nous a permis de réaliser des "tirages" d'arrêts relatifs à ces indemnités de licenciement, avant et après la réforme. Ces arrêts ont été la matière première de notre travail d’évaluation. Nous en avons lu et codé plusieurs centaines.

Le financement est assuré par le ministère du Travail, via son centre de recherche interne, la DARES, avec la collaboration de France Stratégie. Bien que le rapport final ne doive être rendu qu’en juin 2022, la DARES nous a demandé de rendre les travaux sur les licenciements en avance, afin de pouvoir nourrir le rapport d'évaluation des ordonnances Macron réalisé par France Stratégie fin 2021. Nous avons donc remis une première note en septembre 2021, dont un résumé est paru en février 2022 dans la revue Droit social*. Notre travail est ainsi en priorité destiné à éclairer le gouvernement, le législateur et les syndicats sur l'application d'une réforme "phare" du premier quinquennat Macron. En ce sens, nous essayons de promouvoir, dans ce mécanisme devenu habituel d’évaluation des réformes, la place et la légitimité de la recherche universitaire, avec une méthodologie scientifique rigoureuse. Les laboratoires de droit, de sociologie, d'économie et de gestion ont selon moi, de par leur intégrité scientifique, un rôle essentiel à jouer pour éclairer les décideurs sur leurs réformes. Mais notre étude intéresse aussi les juges (et plus largement toute la communauté juridique), car il y a depuis 2017 un questionnement sur la compatibilité du « barème Macron » avec le droit international. C'est pour cela que notre étude a été largement reprise dans des médias "généralistes" comme Le Monde ou Mediapart lors de sa publication dans la revue Droit social, car elle arrive en pleine discussion de ces barèmes devant la Cour de cassation.

Quels sont les premiers résultats obtenus sur ce volet "licenciement" ?

Nous pensons avoir apporté trois informations intéressantes sur l’évaluation du barème Macron.

Tout d’abord, et c’est une première surprise, nous avons constaté qu’en général les cours d’appel respectent ce nouveau barème. Moins de 10% des arrêts codés devant appliquer le barème d’indemnité l’ont ainsi dépassé. Il n’y a donc pas de rébellion massive des cours d’appel contre ce barème, malgré quelques arrêts très médiatisés. Ce point a été largement souligné dans le rapport de France Stratégie.

Deuxième information, si on calcule la moyenne des indemnisations des salariés, celle-ci a baissé. Pour les arrêts appliquant le droit antérieur, nous avons calculé une indemnisation moyenne de 7,9 mois de salaire, tandis qu’en appliquant le nouveau droit, l’indemnisation moyenne est de 6,6 mois. Or cette baisse de l’indemnisation moyenne des salariés, même si elle est relative, n’était pas du tout l’objectif affirmé des promoteurs de la réforme qui voulaient juste rendre les indemnisations plus prévisibles et plus sécurisées pour les parties. Pour dire les choses autrement, cette réforme désavantage les salariés, alors qu’elle se voulait neutre.

Cependant, et c’est à notre sens la principale découverte de notre étude, le barème Macron n’impacte pas de la même manière tous les profils de salariés. Il est extrêmement défavorable aux salariés des entreprises de plus de dix salariés qui ont entre 2 et 5 ans d’ancienneté, qui perdent parfois les trois quarts de leurs indemnisations, et est relativement neutre pour les salariés ayant une forte ancienneté. Le risque est donc que les grands perdants de cette réforme, souvent les plus jeunes et les moins payés, ne saisissent plus la justice faute d’intérêt financier à agir. Reprenant une formule inventée par la juriste et sociologue Evelyne Serverin, nous pouvons craindre une « gentrification » de la justice prud’homale.

La Cour de cassation, dans ses arrêts du 11 mai 2022, a indiqué que le barème Macron était conforme au droit international, et a donc conforté le barème Macron. Peut-on conclure que la Cour de cassation n’a pas pris en considération votre étude ?

Non, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, nous ne nous sommes pas prononcés, dans notre rapport, sur la compatibilité du barème avec les normes internationales, en l’occurrence la convention 158 de l’OIT et l’article 24 de la Charte sociale européenne. Notre mission était de documenter scientifiquement la réalité de l’application du barème, non de nous substituer au législateur ou au juge. Ce débat est en effet essentiellement juridique, la Cour devant se livrer à une interprétation des normes internationales prévoyant une indemnité « adéquate » des salariés en cas de licenciement illégitime. Il est aussi politique, car nul n’ignore que ce barème divise les partis politiques, mais aussi les syndicats depuis 5 ans.

De plus, à notre grande surprise et satisfaction, le rapport de l’avocate générale, qui est chargé de proposer une solution à la Cour de cassation, mais qui reste un simple avis, a largement repris et cité notre étude, pour signaler que le barème était, dans certaines hypothèses, contraire aux normes internationales, validant la possibilité d’interpréter in concreto la convention 158 de l’OIT, c’est-à-dire, pour aller vite, au cas par cas. Restant fidèle à une conception traditionnelle du rôle du juge du fond et de celui de cassation face aux normes internationales, la Cour a estimé qu’une telle interprétation in concreto n’était pas possible, validant en bloc le barème.

La balle est maintenant dans le camp de l’OIT et du Comité européen des droits sociaux, qui devront également interpréter le droit français pour indiquer s’il est conforme à leurs normes. Si ces organisations, qui ne sont pas des juridictions, estiment que le droit international du travail est violé, il appartiendra normalement au législateur, s’il souhaite respecter les normes supranationales, de modifier sa loi. Mais il n’en sera en rien obligé… 

Un mot sur le reste de votre recherche ?

Nous finissons actuellement d’écrire les deux autres volets de notre recherche, sur les accords de performance collective (APC) et les ruptures conventionnelles collectives (RCC). Pour étudier ces points, nous avons travaillé sur un autre « matériau » : les accords d’entreprise. Une fois le rapport terminé, nous ne manquerons pas de communiquer nos résultats. Nous avons beaucoup à dire sur ces objets juridiques !

 

* Dalmasso Raphaël, Signoretto Camille, "Une première évaluation du « barème » d'indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse mis en place par l'ordonnance n° 1387 du 22 septembre 2017", Droit social, 2022, n° 2, p. 135 s.