Zoom sur la longévité et les supercentenaires dans la Revue "Gérontologie et Société"

 
Publié le 9/05/2022 - Mis à jour le 12/05/2022

Frédéric Balard, enseignant-chercheur au Laboratoire Lorrain de Sciences Sociales (2L2S), est sociologue et spécialiste de la gérontologie. En parallèle, il coordonne depuis 2018 la rédaction de la revue Gérontologie et société. Il revient pour Factuel sur la question de la longévité et les supercentenaires dont la doyenne de l'humanité est actuellement française !

Factuel : Pouvez-vous nous présenter la revue scientifique Gérontologie et société ?

Frédéric Balard : Gérontologie et société est une revue pluridisciplinaire portant sur les enjeux gérontologiques au sens large qui fête cette année ses 50 ans d’existence. La plupart des articles sont publiés en français bien que la revue publie aussi des articles en anglais. Comme toute revue scientifique, elle est dotée d’un comité de rédaction et d’un comité de lecture. Les articles qui sont soumis passent par une double expertise anonyme. L’intégralité des articles et des numéros publiés depuis la création est aujourd’hui accessible via la plateforme cairn en libre accès[1]. Depuis 2019, la revue dépasse chaque année le million de consultations, ce qui la classe parmi les 10% des revues en Sciences Humaines et Sociales les plus consultées parmi les 550 revues du bouquet Cairn. Ce qui fait sans doute la spécificité de la revue est qu’elle ne s’adresse pas seulement aux chercheurs mais aussi aux professionnels du champ gérontologique et aux décideurs politiques. En cela, la majorité des numéros sont des numéros thématiques qui apportent une connaissance à la fois scientifique et « de terrain » sur une question ou un thème, tel que la « fin de vie[2] » « les aidants[3] », « le vieillir chez soi [4]» ou « les inégalités sociales dans la vieillesse[5] »…

Factuel : La doyenne de l'humanité est désormais française, or le dernier numéro paru porte justement sur Jeanne Calment.

Frédéric Balard : Ce numéro « Jeanne Calment et les supercentenaires »[6] est coordonné par Jean-Marie Robine (Dr. Inserm). Dans son avant-propos, celui-ci revient sur les discussions qui ont entouré la validité du « cas » Jeanne Calment. Il revient également sur ce que représente cette durée de vie exceptionnelle, 122 ans. Avec le décès de la Japonaise Kane Tanaka le 19 avril dernier à l’âge de 119 ans, la doyenne de l’humanité est désormais Lucile Randon (sœur Andrée en religion) qui est âgée de 118 ans. Quatre années la séparent du « record » de Jeanne Calment. Cela peut paraître peu mais c’est en réalité énorme car à ces âges, les taux de mortalité sont supérieurs 50% par an. Considérant ces taux de mortalité et le suivi de la mortalité des supercentenaires, Jean-Marie Robine estime qu’il faudra attendre très longtemps avant de voir quelqu’un atteindre 122 ans. D’un point de vue statistique et démographique, Jeanne Calment est exceptionnelle au sens strict du terme. L’article de Michel Allard, le médecin qui a « découvert » Jeanne Clament, défend qu’elle était aussi un « phénomène sociétal » par la médiatisation sans précédent dont elle a été l’objet. Les autres articles du numéro reviennent sur les démarches de validation de l’âge de supercentenaires. A travers les dédales des registres paroissiaux et autres certificats de décès produits par les généalogistes, ce sont des histoires familiales d’une époque révolue qui sont exhumées. Enfin, d’autres articles, rédigés par des démographes comme Jacques Vallin ou Michel Poulain interrogent tour à tour la surreprésentation des supercentenaires aux Antilles et le fait que les centenaires (belges) fassent état d’une mortalité au Covid inférieure à celle des octogénaires.

Factuel : Quels sont aujourd’hui les enjeux scientifiques centraux en matière de longévité ?

Frédéric Balard : En 2016, Gérontologie et société publiait un numéro intitulé « Longévité et immortalité : en-quêtes de sciences, en-quêtes de sens[7] ». Le titre du numéro se voulait volontairement provocateur en rapprochant la longévité qui est un enjeu central en matière de gérontologie et l’immortalité qui renvoie à l’imaginaire et aux croyances. Il s’agissait par-là de soulever des questions de recherches fondamentales telle que : y-t-il une limite à la vie humaine ? Les réponses des chercheurs ne sont pas aussi tranchées qu’on pourrait le croire si l’on se fie à certaines publications scientifiques, fleurtant avec le courant prolongéviste, qui postulent que les progrès scientifiques et médicaux pourraient nous conduire « au-delà de nos limites biologiques ». L’articulation entre les mécanismes génétiques et biologiques et les facteurs environnementaux est complexe. L’amélioration des conditions de vie, de nutrition, de soin concourent à la santé et, de fait, prolongent la vie. Lorsque l’on regarde la progression de l’espérance de vie en France entre 1750 et aujourd’hui, on s’aperçoit que nous sommes passés de 25 ans à plus de 85 ans. Cependant les causes de ce progrès ne sont pas les mêmes au 18ème et 19ème siècle et aujourd’hui. Ce fut d’abord la réduction de la mortalité infantile tandis qu’aujourd’hui nous réduisons principalement la mortalité aux grands âges. Alors que nous avions 200 centenaires en 1950, nous en avons près de 30 000 aujourd’hui. Ce que certains chercheurs nomment la « révolution de la longévité » est aujourd’hui un enjeu majeur qui percute de nombreux sujets de société et pose la question du sens d’une vie plus longue.