À l’occasion du 8 mars, journée internationale pour les droits des femmes, l’Université de Lorraine vous propose de découvrir deux portraits par jour pendant 8 jours de celles qui travaillent au quotidien pour la recherche. Zoom sur Céline Sabiron, maître de conférences au laboratoire IDEA et enseignante au Campus Lettres et Sciences Humaines à Nancy.
Quel a été votre parcours ?
Céline Sabiron : "J’ai su assez tôt que je voulais travailler avec les langues dans un métier ancré sur l’ouverture vers les autres et vers d’autres cultures. Cependant, j’ai longtemps été tiraillée par ma passion des langues et mon penchant naturel pour la rigueur et la résolution de problèmes que proposaient les matières scientifiques. J’ai donc préparé un bac S avant d’hésiter, à nouveau, entre une classe préparatoire en sciences économiques et sociales (dite ENS B/L) et une hypokhâgne en langues (dite ENS A/L Lyon, Cachan).
J’aurais vraiment aimé pouvoir garder cette double compétence littéraire et scientifique. Cependant, fidèle à mon objectif de travailler dans les langues, j’ai opté pour une hypokhâgne puis une khâgne au lycée Pothier (Orléans) avant de refaire une deuxième année de khâgne au lycée Fénelon (Paris) pour être admissible à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) Lyon. La même année, j’ai réussi ma troisième année de Licence d’anglais à la Sorbonne-Paris 4 où je suis restée pour le restant de mes études, hormis pour mon année d’agrégation d’anglais préparée à l’ENS Ulm en tant qu’auditrice libre.
Bien qu’inscrite à l’université de la Sorbonne (Paris), j’ai passé mon Master (assistante de français en lycée à Brighton pendant mon M1, puis lectrice de français à l’Université de Bristol lors de mon M2) puis une partie de mes quatre années de thèse en Angleterre alors que j’occupais aussi un poste d’allocataire-monitrice puis d’ATER à la Sorbonne-Paris 4. J’ai ensuite entrepris un postdoctorat de trois ans à Oxford (Bourse Besse, puis Junior Research Fellowship à Wolfson College). Je suis rentrée en France en 2014 pour être nommée maître de conférences en anglais à l’Université de Lorraine, d’abord au département en ligne, ERUDI, puis au département LLCER anglais en 2020.
J’ai donc eu un parcours à la fois assez classique et assez atypique car j’ai toujours cherché à suivre mes envies, sans être mise dans une case."
Sur quelle thématique travaillez-vous et quelles en sont les applications ?
Céline Sabiron : "J’ai effectué ma thèse de doctorat sur la question des limites et des frontières dans les romans écossais de Walter Scott, père du roman historique et grand modèle pour des romanciers français comme Victor Hugo, Honoré de Balzac, ou encore Alexandre Dumas.
Toujours passionnée par les sujets d’interculturalité et de transferts culturels, j’anime, avec trois collègues, un axe de recherche dédié à cette thématique dans mon laboratoire IDEA (« Dynamiques Transnationales et Transculturelles »).
Me plaçant dans une perspective transnationale, je cherche à identifier les flux de circulation de personnes, de textes et d’idées entre la France et l’Ecosse de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle dans le but de comprendre le rôle joué par les intermédiaires du métier de l’édition et plus globalement du livre (scribes, traducteurs, imprimeurs, éditeurs) dans la circulation et la réception des œuvres étrangères en France et en Ecosse.
Mon ambition est de réécrire une partie de l’Histoire littéraire et culturelle entre les deux pays en montrant l’impact de ces passeurs littéraires, souvent oubliés ou négligés, dans le succès d’un texte à l’étranger, alors même qu’ils trafiquaient, manipulaient, voire réécrivaient certaines parties du texte original dans un but souvent commercial. Qui se souvient du traducteur Auguste Jean-Baptiste Defauconpret qui a pourtant fait la fortune de Walter Scott en France et en Europe ?
Il s’agit donc de rendre visible les invisibles de l’Histoire littéraire et culturelle dans un souci de vérité et de justice et d’inciter le monde littéraire du XXIe siècle à rendre hommage à ces hommes et ces femmes de l’ombre qui permettent à des textes étrangers d’être accessibles de par le monde."
Pourriez-vous partager avec nous ce qui vous a poussée à faire ce métier ?
Céline Sabiron : "J’ai eu immédiatement envie de faire ce métier en lisant une fiche d’un guide ONISEP quand j’avais 17 ans. Cette envie ne m’a jamais quittée et je mesure la chance que j’ai, aujourd’hui, d’exercer cette profession, d’autant plus qu’elle évolue beaucoup, avec son lot de tâches administratives certes, mais aussi, ses outils numériques, ses moyens de communication, qui rendent ce métier encore plus ouvert sur le monde, encore plus interactif et, paradoxalement, encore plus humain. Le domaine de l’éducation est en plein bouleversement et je suis contente de pouvoir vivre cette révolution.
Le métier d’enseignant-chercheur combine tout ce à quoi j’aspirais, à savoir
• la liberté, sans supérieur hiérarchique réel
• la flexibilité quant à notre présence au bureau en dehors des heures de cours
• l’ouverture d’esprit
• l’interculturalité avec des coordinations de projets nationaux, voire internationaux
• la créativité (cf. projet ARIEL)
C’est aussi un métier portemanteau, façonnable selon sa personnalité, ses compétences et ses envies. Dans mon domaine, il me donne la possibilité de faire de la traduction, de l’édition, de la communication, du numérique, etc.
Le monde universitaire est généralement très bienveillant envers les femmes qui y ont toute leur place à quelque niveau que ce soit. Mon conseil aux jeunes femmes qui souhaiteraient se diriger vers la recherche est de persévérer, de publier dans des revues de qualité et de multiplier les contacts pour se créer un réseau de chercheurs dans son domaine. Contrairement à l’image-clichée véhiculée, un chercheur n’est jamais isolé. Il travaille en équipe, dans un esprit de générosité et de partage, au service des étudiants et de l’avancée de la connaissance dans son domaine d’expertise."