Invité par le Professeur M. El Ganaoui de l’Université de Lorraine, Yannick Monget, prospectiviste et écrivain, a tenu une conférence sur la résilience et le changement climatique à l’occasion de l’école thématique ICOME, Matériaux, énergie et changement climatique qui s’est tenue le 2 décembre 2021. Entretien.
Le changement climatique suscite de nombreuses angoisses, notamment relayées par la collapsologie. Qu'en est-il vraiment ?
Yannick Monget : Les angoisses ne sont pas forcément une mauvaise chose en soit, la collapsologie non plus si elle est réalisée avec une certaine responsabilité et du sérieux.
La peur qui va nous pousser à ne pas prendre le volant de la voiture après un repas trop arrosé pour éviter d’avoir un accident, la peur qui nous pousse à éviter d’aller skier si le temps commence à devenir instable pour éviter d’être pris sous une avalanche est une peur naturelle, et qui participe à notre instinct de survie. De la même façon, avoir “peur” du réchauffement climatique et des désordres planétaires qui vont lui être consécutifs est une bonne chose si nous utilisons cette peur-là aussi de manière constructive pour changer notre modèle de société pour le rendre plus responsable, durable, socialement juste et équitable.
En revanche, là où les choses dérivent, c’est lorsque cette peur est utilisée de manière déviante, par des politiques ou des lobbys, pour d’autres raisons non avouées ou non avouables (par exemple, la peur de l’autre qui mène à tous les problèmes d’intégration, de racisme que nous connaissons, ou les problèmes liés aux crises migratoires) pour ne citer que cet exemple.
Pour ce qui est de la collapsologie, si la prévisualisation des catastrophes futures peut permettre d’amener un débat, une réflexion et un changement de cap, alors elle a toute sa place dans l’éducation et la sensibilisation. Mais il faut qu’elle soit rigoureuse dans cet objectif (ce que j’ai essayé de faire moi-même au travers de mes livres, que ce soit des romans ou livres photo-documentaires).
Il peut aussi y avoir une collapsologie assumant l’exagération, à des fins de divertissement, comme dans le cinéma où nombreux sont les scénarii qui n’ont aucun fondement scientifique, mais servent juste à divertir. Mais le message doit être à ce moment-là clair et assumé, voire revendiqué, pour ne pas prêter à confusion dans l’esprit du public, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.
Notre civilisation aura une fin tôt ou tard, comme toute chose en ce monde, il n’y a rien d’exceptionnel à cela, et c’est une lapalissade de le dire. Les bouleversements que nous entrainons dans notre environnement de même que la manipulation inconsciente de bon nombre de technologies peut nous mener à cet effondrement. Nous avons d’ailleurs failli déjà en être victimes. Il suffit de se souvenir de la crise des missiles de Cuba lors de la Guerre froide qui aurait pu se terminer par une annihilation de notre civilisation. Mais nous avons passé cette épreuve et je suis convaincu que nous pouvons survivre aux épreuves auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés. En cela, la collapsologie a une utilité très concrète : comprendre la menace pour mieux amener les solutions. Pour combattre son ennemi, on dit qu’il faut avant tout le connaitre. La science nous permet de mieux comprendre ces menaces et c’est indispensable pour amener des solutions qui en soient et qui ne viennent pas au contraire amener d’autres problèmes potentiellement plus graves.
Il existe donc des solutions pour lutter contre le dérèglement climatique ?
Yannick Monget : Oui, et de nombreuses. Et à l’inverse de la collapsologie, il est important de les montrer. Il est à regretter que dans la littérature, le cinéma et plusieurs autres arts, la dystopie ait pris ces dernières années une place majeure, effaçant l’utopie, au sens premier de son terme, c’est-à-dire non pas ce qui est irréalisable mais ce qui demeure non réalisé. Pour ma part, j’ai toujours essayé de garder cet équilibre : mettre en image autant les menaces que les espoirs. Dans Hopes, j’ai souhaité faire également rêver et montrer, à l’inverse de la collapsologie, ce à quoi notre monde pourrait ressembler avec la mise en place de certaines de ces nombreuses solutions.
Il n’y a pas de solutions miracles, mais il y a des dizaines de milliers de solutions bien concrètes et immédiatement applicables. J’en veux pour preuve le travail exceptionnel réalisé ces dernières années par la fondation de mon ami Bertrand Piccard, Solar Impulse, qui a créé un site web labellisant plus de 1 300 solutions d’avenir applicables immédiatement.
Durant l'école thématique Matériaux, énergie et changement climatique, vous avez rencontré des doctorants. En quoi ces échanges vous paraissent-ils essentiels ?
Yannick Monget : Pour ma part, j’ai eu des discussions intéressantes à la fin de notre exposé, notamment avec un étudiant qui s’inquiétait justement de son avenir en tant que jeune. Il est nécessaire de les aider à prendre du recul et à intégrer l’idée que l’avenir sombre dessiné par les médias n’est pas une fatalité. Le savoir reste le meilleur outil pour trouver des solutions et dessiner un avenir autrement plus positif que celui que nous dessinent nombre de journalistes quotidiennement.
Il faut garder espoir, sans minimiser la gravité extrême de la situation, notamment environnementale (et je ne parle pas que du climat mais aussi de la pollution de notre alimentation, de l’air que l’on respire etc.). Comme l’ont très bien dit Dominique Raynaud et Geoffrey Levermore, chaque génération a ses épreuves. En regardant les documentaires qui faisaient échos à la catastrophe de Pearl Harbor qui a eu lieu il y a tout juste 80 ans, je me disais qu’être jeune en 1941 n’était effectivement probablement pas mieux, et même bien pire, qu’aujourd’hui (pareillement en 1918, etc.), avec un monde en guerre sur tous les continents. Il faut donc prendre du recul. Malgré cette période de conflit, la paix a finalement succédé à cette page sombre de notre histoire. De la même façon, je reste persuadé que des lendemains bien plus heureux succèderont à la période compliquée que nous traversons.
Oui, nous devons affronter des défis incommensurables, mais oui les solutions existent. Nous avons pour devoir de les mettre en pratique et parallèlement de préparer le passage de témoin en poussant les générations actuellement en formation, à comprendre le monde qui les entoure et en les poussant à innover pour trouver continuellement de nouvelles solutions aux problèmes de l’humanité et de la planète, en les formant en ce sens, en leur apprenant également à réfléchir par eux même, à avoir un esprit critique et curieux, mais également positif et plein d’espoir.