Nous avons souhaité connaître le point de vue de l’union des industries et métiers de la métallurgie de Lorraine (UIMM Lorraine) – la branche patronale de la métallurgie, qui représente, en France, mais également sur le territoire lorrain, plus de 50 % des entreprises industrielle - sur l’industrie du futur. Nous avons donc demandé à Emmanuel Nerkowski – Directeur industriel de Thyssenkrupp Presta Groupe, Président de la commission performance industrielle de l’UIMM Lorraine et membre de la commission nationale Développement industriel de l’UIMM – de répondre à nos questions.
Q : Emmanuel Nerkowski, commençons par un point de vocabulaire. On parle souvent d’industrie du futur, ou d’industrie 4.0. Que pensez-vous de ces appellations ?
R : Sincèrement, nous ne les employons pas, ou plus, et ce pour une raison très simple. En réalité, au sein de l’UIMM, nous avons mis en place, il y a 4 ans, une commission que nous avions appelée « Innovation & technologie ». Mais nous avons rapidement fait le constat que ce nom ne correspondait pas à l’objet que nous nous étions fixé : l’innovation, ce n’est pas que de la technologie. Pour s’inscrire dans la compétition mondiale, il faut des entreprises fortes, et cela nécessite naturellement des outils, du numérique. Mais pas uniquement. Il faut aussi que ces outils soient au service de celui ou celle qui les emploient. Cela nous amené à changer le nom de la commission, qui est devenue la commission performance industrielle. Car c’est cela l’objectif des entreprises : gagner en performance !
Aujourd’hui, nous préférons donc parler de performance industrielle, ou de développement industriel, plutôt que d’industrie du futur ou d’industrie 4.0. Cela ne veut pas dire que nous ne reconnaissons pas les côtés positifs qu’a eu l’engouement autour de ce concept. Au contraire, nous constatons, comme chacun peut le faire, que cela a permis de générer une dynamique. Mais nous en voyons également les côtés pervers chez certains de nos adhérents, qui ne se sont pas sentis légitimes. « Ce n’est pas pour moi » ou « ça va coûter trop cher », ce sont des réactions que nous avons souvent entendues. En parlant de performance industrielle, nous sommes bien plus proches des préoccupations des entreprises.
Enfin, aborder la question par ce prisme présente également l’avantage de mettre en lumière de façon bien plus évidente le fait que nous ne parlons pas que de technologie, pas que de digitalisation. La numérisation, c’est un levier parmi d’autres pour accélérer le développement industriel, mais surtout pas le seul ! Et on comprend aisément que l’amélioration de la performance, c’est bien une démarche permanente, et non une opération ponctuelle.
Q : Et comment décririez-vous cette démarche, du coup ?
R : En fait, la façon la plus simple de bien appréhender l’ensemble du sujet, c’est de raisonner en termes de valeur ajoutée. Si l’on garde en tête que la priorité, c’est de gagner en valeur ajoutée, il devient évident que les technologies ne sont que des outils. Des outils puissants, certes, mais des outils. Ces outils, ils sont faits par des humains pour être utilisés par des humains.
La technologie doit permettre de limiter les taches pénibles ou à faible valeur ajoutée ; et permettre, de ce fait, de dégager davantage de temps aux opérateurs, qui peuvent alors se concentrer sur les taches à haute valeur ajoutée.
Mener une démarche d’amélioration de la performance, cela consiste à identifier les domaines dans lesquels la technologie s’applique, et expliquer le sens de l’action.
Q : Cette démarche d’amélioration de la performance, comment est-elle vécue dans les entreprises ?
R : Il y a deux aspects à prendre en compte ici. Il y a d’abord ce qui se passe au niveau des organisations. On observe une grande disparité d’appropriation de cette démarche par les entreprises. Certaines, et pas uniquement les grandes entreprises, ont commencé à travailler sur ces sujets voilà 10 ou 15 ans. Dans l’entreprise pour laquelle je travaille, Thyssenkrupp Presta, cela fait 10 ans que je peux piloter certains aspects de la production depuis mon smartphone. Et, je le redis, cela n’a rien à voir avec la taille de l’entreprise.
Dans les entreprises, on peut observer quatre situations distinctes. Dans le cas que j’évoquais précédemment, les dirigeants ont très tôt perçu l’intérêt qu’il y avait pour l’entreprise à s’engager dans ce type de démarche, et les choses se sont faites assez naturellement. Dans un deuxième groupe d’entreprises, il y a cette même volonté d’y aller, mais la structure manque de moyens – moyens humains, moyens techniques, moyens financiers – : notre rôle, à l’UIMM, consiste alors à les accompagner pour faciliter les choses. Il y a un troisième groupe d’entreprises, dans lesquelles les dirigeants ne voient pas encore en quoi adopter cette démarche serait utile pour leur entreprise : dans ce cas, nous essayons de les convaincre, en leur permettant de voir très concrètement ce que cela pourrait leur apporter. Enfin, un dernier groupe est constitué d’entreprises qui n’ont pas encore la volonté de s’engager dans ce type d’action, et qui, de toute façon, n’en ont pas les moyens. Ici, notre mission est de les informer, afin qu’elles soient prêtes.
Ça, c’est lorsque l’on regarde au niveau du groupe, de la structure. Mais, naturellement, il y a ensuite des enjeux au niveau individuel. L’accompagnement du changement reste une dimension extrêmement importante dans la réussite d’un projet de ce type. Et, de ce point de vue, il est intéressant d’observer la forte dimension culturelle qui est engagée. Dans le groupe dans lequel je travaille, on voit bien que, dans les pays germanophones, l’accompagnement au changement doit d’abord s’appuyer sur la dimension technologique : si vous parvenez à montrer comment la technologie va permettre d’améliorer le process et les performances, vous avez pratiquement gagné. Dans les pays latins, les résistances sont d’une nature un peu différentes, et portent davantage sur les aspects manageriaux. Dans les deux cas, il y a des résistances et il faut les prendre en compte, simplement elles varient dans leur nature.
Q : Quelles sont alors les actions de l’UIMM ?
R : Nous proposons des actions concrètes à toutes nos adhérents, quelle que soit leur maîtrise de ces sujets. Ainsi, que ce soit des outils que nous avons développés en propre ou qui sont opérés par nos partenaires, nous pouvons les orienter vers différents diagnostics, organiser des ateliers ou des formations.
À la rentrée de septembre, nous allons ainsi lancer un nouveau programme, le programme Convergence – initialement, nous devions le lancer en septembre 2020, mais les circonstances n’étaient guère favorables à des opérations en présentiel… –. L’idée est de proposer une formation-action en partant d’une problématique concrète d’une entreprise. Un groupe est alors constitué, avec l’entreprise hôte, plusieurs entreprises qui viennent observer la démarche et pourront alors transposer plus facilement ce que ces approches pourraient leur apporter, et un consultant expert chargé de piloter un ensemble d’actions concrètes permettant de répondre à la question initiale de l’entreprise.
L’idée, c’est vraiment de ne pas laisser de « trous dans la raquette » : chaque question, chaque difficulté rencontrée par un adhérent doit trouver une réponse pratique. Cela nécessite que nous soyons réactifs, pour nous adapter aux évolutions du secteur, de plus en plus rapides !