[Trésors des BU] Des Vénus au bras luxé. Le corps et les appareils orthopédiques au XIXe siècle

 
Publié le 12/02/2021 - Mis à jour le 5/01/2023
Pierre Jacques Feillet, Corset de traitement (P.-N. Gerdy, Traité des bandages..., Paris, 1837, Atlas)

Les bibliothèques universitaires de Lorraine conservent des trésors patrimoniaux. Ce mois-ci, découvrez le traité de l’anatomiste Pierre Nicolas Gerdy (1797-1851)

Le Traité des bandages, des pansements, et de leurs appareils... de Pierre Nicolas Gerdy (1837, 2e éd.) est un manuel sur les techniques orthopédiques, accompagné d’un recueil de planches qui montrent les types de pansement, les appareils et les procédés aptes à traiter les traumatismes, immobiliser les membres en cas de fractures et corriger les déviations du rachis.

Il est impossible de rester insensibles aux poses subtilement sensuelles des figures d’hommes et de femmes qui présentent au lecteur ce riche appareillage orthopédique.

Comparé à d’autres apparats iconographiques de traités contemporains, comme le Bandages et appareils à pansement … de Mathias Mayor de 1838 [fig. 1] ou le Manuel pratique de bandages par A. Saint-Arroman publié en 1845, l’atlas de Gerdy se distingue par son adhérence aux enjeux esthétiques du corps au XIXe siècle. Les effets dévastateurs de la maladie et de la déformation physique sont ici dissimulés par une machinerie perturbanet qui valorise le physique.

Le corset de traitement de Gerdy [fig. 2], dérivé de la machine de Levacher (1768), pour soutenir et redresser le dos, enserre le buste d’une femme joliment habillée. Le chignon haut dévoile la nuque, lieu de la rêverie érotique des romanciers réalistes et naturalistes : Flaubert, Balzac, Zola, Maupassant... La tige de métal accentue la sinuosité des formes jusqu’au sommet de la tête où une crémaillère sert de point de support pour l’extension vertébrale.

L’art déligatoire, c’est ainsi qu’on appelait la technique du bandage, est exalté par les nœuds exubérants qui immobilisent à une attelle la jambe d’une femme alitée [fig. 3], ainsi que par la trame complexe des bandelettes qui entourent sa poitrine. Cette dormeuse n’est pas sans évoquer les Vénus des peintres académiques.

Les évocations de la peinture de l’époque sont nombreuses, ainsi la figure d’une femme debout, le chef bandé par un « plein triangulaire » qui ressemble à un turban, fait songer à une baigneuse turque des peintres orientalistes [fig. 4].

Quelle est l’origine de la singularité de l’atlas de Gerdy ? Certaines planches de l’atlas sont signées par Pierre Jacques Feillet, peintre et lithographe formé auprès du peintre Anne-Louis Girodet (1767 –1824). Entre 1823 et 1828 il est actif à Paris comme typographe et imprimeur. Dans cette période, il réalise avec une rigueur sans concessions les planches du Manuel d'anatomie descriptive de Jules Cloquet, considéré comme l’un des chefs-d’œuvre du livre médical illustré, au début du XIXe siècle.

La maîtrise du dessin anatomique ne saurait pourtant expliquer l’ouverture surprenante envers le goût des amateurs d’art de l’époque, exprimée par les figures de l’atlas. Il convient de se tourner vers les intérêts de l’auteur pour la comprendre.

L’importance de Nicolas Gerdy dans l’histoire de la médecine est liée notamment à son enseignement novateur de l’anatomie des formes et de l’anatomie appliquées aux beaux-arts. Ses cours, largement appréciés, ont nourri le livre Anatomie des formes extérieures du corps… (1829), basé sur l’analyse des détails corporels étudiés dans les œuvres conservées au Louvre.

C’est l’horizon culturel dans lequel fut réalisé l’atlas de Gerdy. Par ailleurs, sa note artistique n’est pas sans rappeler le livre Chirurgia ex Graeco in Latinum conversa… de Guido Guidi (Paris : P. Gaultier, 1544), magnifiquement embelli des dessins de Primatice, gravés sur bois par François Jollat.

Quoi qu’il en soit, l’atlas de Gerdy suggère une vision nouvelle de la médecine orthopédique face à l’émergence d’une culture physique démocratisée, le culte de l’apparence et la valorisation du corps.

GALERIE PHOTOS

Fig. 1. Appareillage orthopédique (Mathias Mayor, Bandages et appareils à pansement …, Paris ; Londres : Germer Baillière, 1838)
Fig. 2. Pierre Jacques Feillet, Corset de traitement (P.-N. Gerdy, Traité des bandages..., Paris, 1837, Atlas)
Fig. 3. Pierre Jacques Feillet, Application de bandages (P.-N. Gerdy, Traité des bandages..., Paris, 1837, Atlas)
Fig. 4. Pierre Jacques Feillet, Application de bandages (P.-N. Gerdy, Traité des bandages..., Paris, 1837, Atlas)