Trésors des BU : Maître Alciat et les bestsellers de livres d’emblèmes entre XVIe et XVIIe siècle

 
Publié le 11/01/2021 - Mis à jour le 5/05/2023
Amoris divini et humani antipathia

Les bibliothèques universitaires de Lorraine conservent des trésors patrimoniaux. Ce mois-ci, découvrez les livres d’emblèmes

Les livres d’emblèmes eurent un succès extraordinaire à partir de la deuxième moitié du XVIe siècle. Les fonds patrimoniaux conservent des exemplaires parmi les plus importants de ce genre artistico-littéraire.

L’emblème, héritier du langage symbolique des hiéroglyphes, apparenté à l’art de la devise, et synthèse du savoir et de l’esprit humaniste, est composé d’un titre - souvent une devise empruntée aux auteurs anciens, ou aux Ecritures -, d’une image et d’un commentaire. La relation de ces trois parties dévoile le sens final de l’emblème, mystérieux et inaccessible au premier abord.

Parmi les plus connus, le livre Emblemata d’André Alciat, paru à Augsbourg en 1531, a fait l’objet d’une centaine d’éditions et traductions en français, italien, allemand, espagnol et anglais. André Alciat, juriste humaniste, auteur de traités de jurisprudence, est considéré comme le père du genre emblématique. L’édition de 1583 conservée dans les réserves patrimoniales des BU de l’Université de Lorraine (BU Droit) est la première en France avec les commentaires du juriste dijonnais Claude Mignault.

L’emblème qui a pour titre In momentaneam felicitatem (Sur le bonheur fugace), par exemple, est consacré à la vanité du bonheur, de la richesse et de la gloire [fig. 1]. La figure montre un arbre, le pin, au milieu d’un paysage de campagne, où s’accroche la plante et les fruits d’une courge. Le commentaire donne enfin une explication de la composition : quand la courge rampant sur l’arbre dépasse le sommet du pin, se croit être le plus haut de tous les arbres, mais le pin lui rappelle que sa gloire est éphémère car ses feuilles caduques tomberont aux premières gelées d’hiver.

La nature morale spécifique de l’emblème se retrouve aussi dans un deuxième recueil composé de trois bestsellers reliés ensemble, au sujet amoureux. Il s’agit, dans l’ordre, des Emblèmes de l'amour divin (Paris, P. Landry, s.d. [vers 1660]) inspirés des Amoris divini emblemata publiés par Otto Vænius, maître de Rubens ; du livre d’Herman Hugo, Pieux Desirs … (Paris, P. Landry, 1627) illustré par Boëtius Adams Bolswert, dans l’édition rare en langue française ; et d’emblèmes provenant du livre Amoris divini et humani antipathia (Paris : Guillaume le Noir 1628), gravés par Michel van Lochom (BU Droit).

Ces emblèmes mettent en scène les ébats et les jeux entre un putto ailé qui représente l’Amour divin en train de séduire l’Âme sous l’apparence d’une jeune fille, comme le montre l’emblème Nec Vidisse Satest (Et ne me suffit pas de l’avoir vu) [fig. 2] et les vers : « Quand l’affection est extreme, quand deux cœurs scavent se charmer, il arrive que plus on aime, plus on veut se voir & s’aimer ».

Les images emblématiques sont souvent saisissantes, comme celle qui montre l’âme prisonnière du corps, dans le deuxième livre. [fig. 3]

Dans la dernière série, les emblèmes montrent les effets de l’amour spirituel et de l’amour matériel. L’emblème : « Sit in Amore Reciprocatio » (Que l’amour soit réciproque !), par exemple, enseigne que les deux formes d’amour, l’amour spirituel et l’amour matériel, ne sont pas des adversaires éternels.

A côté de ces bestsellers, il faut ajouter les Emblemes, ou Devises chrestiennes, livre publié pour la première fois en 1567, par une femme et poète calviniste, Georgette de Montenay, et illustré par le graveur de Neufchâteau, Pierre Woeiriot (BU LSHS).

La présence de ces exemplaires dans les fonds patrimoniaux de l’Université, avec la remarquable collection de livres d’emblèmes conservée à la Bibliothèque Municipale de Nancy, témoigne de l’importance de la tradition emblématique en Lorraine.

Par ailleurs, en 2016, l’Université de Lorraine a hébergé dans ses locaux de Nancy le 11e Congrès international de la Society for Emblems Studies, organisé par l’AEEF, l’Association des Amis des Etudes Emblémistes en France.

 

Fig. 1. Emblème CXXIII : In momentaneam felicitatem, dans A. Alciat, Les emblèmes (Paris : J. Richer, 1583)

Fig. 2. Emblème Nec Vidisse Satest, dans Emblèmes de l'amour divin (Paris, P. Landry, s.d) 

Fig. 3. Emblème Infelix ego homo… dans Herman Hugo, Pieux Desirs (Paris : P. Landry, 1627)

 

 

 

Les emblèmes
 Emblèmes de l'amour divin
 Pieux Desirs