Rencontre avec Yves Moulin, directeur-adjoint de l’IAE Nancy School of Management, responsable de la Mention de Master Gestion des Ressources Humaines qui a choisi d'emmener une centaine d'étudiants en Master Droit du travail & de la protection sociale et en Masters de Gestion des ressources humaines des Instituts d’Administration des Entreprises (IAE - Metz et Nancy) pour assister au spectacle La Formule du bonheur qui a lieu à l'espace B-M Koltès le 17 octobre.
Cette pièce reconstitue de manière satirique un cas emblématique de restructuration d’entreprise. Fondée au 19e siècle, cette société paternaliste de la métallurgie fournit au secteur automobile des produits, leaders mondiaux sur leur marché. Face à des difficultés de trésorerie, le dirigeant accepte l’entrée au capital d’un partenaire financier américain qui n’engage aucun investissement mais siphonne les actifs. Résultats : une fermeture de l’usine et 370 chômeurs. Cette pièce est encore l’occasion d’une rencontre entre des étudiants juristes et gestionnaires. Le bord de plateau réalisé à la suite du spectacle a permis de favoriser des regards croisés entre ces publics et d’entamer une collaboration pédagogique entre les étudiants de M2 des deux composantes.
Vous allez emmener vos étudiants de Master à la représentation de « La formule du bonheur ». Dans quel cadre avez-vous pris cette initiative ? Est-ce une première ?
Lorsqu’on dirige la Mention du Master Gestion des ressources humaines et qu’on réalise un cours spécialisé sur les restructurations d’entreprise, c’est une aubaine qu’un théâtre programme une pièce pareille !
« La Formule du bonheur » reconstitue de manière satirique un cas emblématique de restructuration d’entreprise. C’est le cas d’une entreprise paternaliste, fondée au 19e siècle. Au début des années 2000, elle est leader sur son marché. Mais elle connaît des difficultés de trésorerie, ce qui conduit le dirigeant à accepter l’entrée au capital d’un « partenaire » financier américain. Ce « partenaire » n’en a que le nom : il n’engage aucun investissement mais siphonne les actifs. Résultats : une fermeture de l’usine et 370 chômeurs.
J’ai proposé aux étudiants du Master de l’IAE de Nancy de covoiturer pour venir à Metz assister au spectacle. Et ils ont tous répondu à l’appel, avec la complicité des responsables de formation. Mes collègues messins se sont également laissé convaincre et leurs étudiants ont emboité le pas à leurs homologues nancéiens. Finalement, c’est presque devenu un projet de Mention !
A Nancy, ce projet est porté par l’association Humanum, association de filière qui regroupe l’ensemble des étudiants de Master 1 et Master 2 en Gestion des ressources humaines. Cette association organise déjà des petits-déjeuners/conférences et des visites d’entreprises. Voilà deux ans, elle avait déjà porté un projet autour de la pièce « Burnout » (d’Alexandra Badea) qui s’était clôt par un bord de plateau réunissant la metteuse en scène, les acteurs et deux spécialistes. Nous avions été très aimablement accueillis par le Théâtre de la Manufacture. Mais cette fois, c’est à l’EBMK, un théâtre au sein même de notre Université !
« La formule du bonheur » traite directement de votre thématique de prédilection. Mais cette pièce constitue-t-elle pour vos étudiants un simple divertissement ?
Je suis certain que le public va apprécier la qualité du spectacle. Mais cette pièce est surtout un outil pédagogique innovant. Il créé une « actualité » qui permet de mettre en dynamique les étudiants autour d’une étude de cas. Au second semestre, nous examinerons le cas traité par le spectacle en adjoignant un documentaire, des coupures de presse, et évidemment des textes académiques. C’est intéressant et riche de trianguler les sources et de croiser les regards artistiques et scientifiques. Et pour intéresser la partie, les étudiants devront rendre un bref rapport qui contribuera à l’évaluation d’une Unité d’Enseignement (UE) de leur diplôme.
Plus généralement, à votre avis, qu’est-ce que le théâtre peut apporter à vos étudiants ?
Lorsque le théâtre traite d’un sujet qui touche directement leur champ, il témoigne souvent du regard que la société porte sur leur objet d’étude, voire sur leur profession. Ce regard est parfois en fort contraste avec les faits, ou avec une certaine objectivité scientifique. Mais ce regard plane comme une ombre portée sur leur avenir et doit être connu et analysé. Par exemple, la représentation des ressources humaines et du management dans les œuvres artistiques (théâtre, cinéma, voire chanson) est souvent « à charge » en focalisant sur les dérives et les mauvaises pratiques ; mais elle correspond généralement à ce que pense le grand public. En l’occurrence, beaucoup de restructurations sont très bien accompagnées, à bas bruits, par des entreprises soucieuses de l’avenir de salariés qu’elles ne peuvent pas garder. Mais les cas retenus par le théâtre mettent plutôt en scène les patrons-voyous (Levis, 1336, Lejaby, …).
Le théâtre permet aussi de changer la focale. Nous avons tendance à mettre l’accent sur les dimensions techniques de nos matières ou à vulgariser des articles de recherche qui s’intéressent à « des têtes d’épingles » … en perdant de vue les grands enjeux. Par exemple, la pièce 7 Minuti (de Stefano Massini) met en scène la proposition qu’un investisseur fait aux salariés de racheter leur entreprise en conservant l’ensemble des contrats de travail contre l’abandon de 7 minutes de pause par jour. Le spécialiste se focalisera sur les gains de productivité, la négociation, …mais oubliera que l’acceptation d’une telle proposition empêche les salariés de prendre leur déjeuner dans un temps humainement raisonnable. Le cadre théâtral fait réapparaitre l’enjeu humain et éthique du problème.
Enfin, en tant qu’amateur de théâtre, j’incite mes étudiants à fréquenter les salles, même lorsque les pièces portent sur des sujets très éloignés de leurs études. Simplement pour leur plaisir et leur édification personnelle. Egalement, de manière plus instrumentale, pour nourrir la partie plus « personnelle » de leurs CV. Les loisirs sont aussi des marqueurs sociaux. J’ai la chance d’être né dans une famille dans laquelle les sorties aux concerts classiques, à l’opéra et au théâtre relevaient de l’évidence. En tant que directeur-adjoint d’une composante qui compte de nombreux boursiers, j’incite les projets qui conduisent les étudiants vers les loisirs culturels.
Pensez-vous que cette initiative puisse intéresser d’autres responsables de formation dans d’autres composantes ?
Bien sûr ! Il faut d’abord dire que l’équipe de l’Espace BMK a été d’un grand soutien logistique. Notre composante a pris en charge les billets des étudiants, ce qui a permis de tout régler par un bon de commande interne. Et les places pour les groupes sont d’un prix modique (4 euros/étudiant) !
La programmation thématique, savamment orchestrée par Lee Fou Messica, est très heureuse. Nous avons pu nous inscrire dans « les maux de la société » et je suis persuadé que d’autres collègues de sciences humaines trouveront des pépites. D’ailleurs, le professeur F. Géa, responsable du Master2 Droit du travail & de la protection sociale de la Faculté de Droit de Nancy, va également emmener ses étudiants à la représentation. C’est pour nous l’occasion d’une rencontre entre nos étudiants, une manière de croiser leurs regards. Et nous espérons vivement que cet événement débouchera sur de futures collaborations entre les étudiants de nos deux composantes.
Lorsqu’on a la chance d’avoir un théâtre au sein même de l’Université, il faut absolument en profiter.