Lors des Sciences sur la place 2019, des causeries scientifiques ont été proposées les 13 et 14 septembre 2019.
Retour sur deux d’entre elles, animées par Nathalie Million, journaliste :
« Etes-vous ce que vous lisez ? » avec Christian Chelebourg, professeur de littérature et directeur du laboratoire Littératures, Imaginaire, Sociétés (LIS) et Claude Poissenot, enseignant-chercheur en sociologie à l’IUT Nancy-Charlemagne.
« Nos identités numériques : comment le smartphone nous transforme? » avec Bérengère Stassin, maitre de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’IUT Nancy Charlemagne et membre du Centre de recherche sur les médiations (Crem), et Pierre-Marc de Biasi, directeur de recherche émérite au CNRS, artiste plasticien et écrivain.
Sommes-nous ce que nous lisons ?
Christian Chelebourg : Chaque lecteur est le propre miroir de soi-même, dixit Marcel Proust dans Le Temps retrouvé. La lecture est un instrument : on se construit en se lisant, mais ce que l’on va lire, c’est déjà ce qui nous sommes.
Cependant, au début du 20é siècle, l’Etat et l’école prônaient que « nous devions être ce que nous lisons ». La dimension morale était importante. Grâce à l’apparition du livre de poche en 1963, la lecture de masse s’est imposée. Le livre de poche a permis l’émancipation dans le sens où on pouvait se le procurer partout, à l’insu de ses parents. On pouvait ainsi réécrire la lecture à sa manière.
La lecture en perte de vitesse… au profit de l’image
Claude Poissenot : La place de l’image est très forte. Elle participe d’une construction d’un récit collectif. Le cinéma en est un exemple flagrant. J’ai rencontré une libraire qui déplorait que la couverture du livre Un secret de Philippe Grimbert soit l’affiche du film interprété par Patrick Bruel.
Dans le même registre, lors de la sortie du 1er film Harry Potter et l’Ecole des sorciers, il y a eu, en France, deux fois plus d’entrées (environ 9,5 millions) que l’ensemble des livres parus (plus de 5 millions).
Des media en (inter)action avec le livre
Claude Poissenot : Le livre audio est un outil intéressant : c’est une œuvre vivante qui donne du corps au texte qui l’enrichit. Le marché du livre audio est en plein développement, notamment dans le domaine de la littérature jeunesse.
Christian Chelebourg : Au même titre, on peut noter le retour des feuilletons radiophoniques. L’effet sonore participe du succès de ces émissions, tout comme l’image, comme si cela formait un tout, pour donner du sens au media. Le pod cast, lui aussi, est promis à un bel avenir.
Comment le smartphone est devenu l’outil le plus représentatif de notre temps …
Pierre-Marc de Biasi : Créé en 2009, cet objet est vendu, à ce jour, à 4 milliards de personnes. Rien n’est comparable. C’est avoir au creux des mains tous les savoirs du monde… avec toutes les dérives que cela représente.
.. et aussi la cause de la baisse de la productivité…
Pierre-Marc de Biasi : Le smartphone peut être la cause de la baisse de productivité dans le milieu professionnel. IL équivaut à 20% de productivité en moins. Il est aussi un risque de fuite considérable dans toutes les réunion de décision.
Dans les collèges, le bénéfice pédagogique que l’on tirerait de l’absence de ces objets équivaut en moyenne à 1 semaine de cours supplémentaire.
Cependant, on ne peut pas en interdire l’usage aux ados, car c’est un outil de consommation diversifié ouvert vers la société, la culture. Il convient d’en faire un bon usage à l’école, lieu où l’on apprend l’interdiction, les règles.
… et source de harcèlement…
Bérengère Stassin : Le (cyber) harcèlement en est un exemple flagrant. Les ados et les adultes n’ont pas attendu le smartphone pour avoir des boucs émissaires. La conséquence est que cet objet laisse des traces numériques. Les actes malveillants se développent et conduisent à des actes suicidaires.
Les réseaux sociaux sont la source de la cyber violence. Parmi tant d’autres, un exemple longuement médiatisé est celui de Laure Manaudou, nageuse célèbre, qui en a subi les conséquences en 2007, puis en 2014 et 2016.
Revenge porn, discriminations physiques, racisme, sexisme etc. - tant à l’école que dans le monde professionnel - sont des phénomènes graves contre lesquels l’éducation nationale met en place des dispositifs pertinents.
Des incidences sur l’apprentissage
Pierre-Marc de Biasi : Le smartphone met à notre disposition une quantité d’applications, de fonctionnalités. Il se comporte comme notre esclave. Cependant - c’est ce que j’appelle le syndrome de la calculette - on ne sait plus compter de tête car la machine le fait pour nous.Il en est de même pour les fonctionnalités qui nous sont proposées et qui nous empêchent de faire notre gymnastique intellectuelle.
Nous pouvons dire qu’il nous a appris à désapprendre et que nous en devenons son esclave.