[Portrait] Pei-Ci Li : représentation du genre en métaphore, dans les discours et dans l’enseignement

 
Publié le 13/03/2023 - Mis à jour le 5/05/2023
Photographie de Pei-Ci Li
Docteure en sciences du langage, Pei-Ci Li a été recrutée en tant que maîtresse de conférences à l’Université de Lorraine en 2022. Elle est membre de l’équipe Praxitexte (Crem). Elle conduit ses recherches en linguistique cognitive et en sociolinguistique. Elle s’intéresse à la question du genre et particulièrement aux métaphores de genre, de sexe et de sexualité.

 

Quel est votre parcours ?
Originaire de Taïwan, je suis arrivée en France en 2014 pour mes études doctorales. En 2009 j’ai obtenu une licence de langue et civilisation françaises avec une mineure professionnalisante en commerce et finance internationale à l’Université Fu-Jen à Taïwan. Ma passion pour la linguistique a germé pendant la licence en découvrant la langue française. J’ai donc continué mon master en linguistique au sein de l’Institut supérieur de linguistique à l’Université nationale de Taïwan. Depuis mes études supérieures, l’enseignement est une vocation. J’ai enseigné l’anglais et le français en institut privé, ainsi qu’en université, pendant de nombreuses années ; je prends également grand plaisir à enseigner le chinois. En 2009, j’ai suivi une formation d’enseignement du chinois comme langue étrangère et j’ai obtenu le certificat attenant émis par le ministère de l’Éducation à Taïwan.
Après avoir obtenu mon diplôme de master en 2012, j’ai choisi de prendre un autre chemin en travaillant dans une entreprise – Cyberlink – qui publie des logiciels multimédias : je gérais des portefeuilles clients du marché européen. Après un an, je me suis rendu compte que je voulais suivre un parcours académique. En 2013, je suis retournée à l’Université nationale de Taïwan en tant qu’assistante de recherche et j’ai décidé de continuer mes études en France. En 2014, je me suis inscrite en thèse à l’Université Paris Cité (anciennement Paris Descartes) sous la direction de V. Brunetière et de F. Baider.
Parallèlement à mes études, j’ai travaillé en qualité de maîtresse de langue à l’Université Paris-Cité (2017-2019) et j’ai occupé un poste de répétitrice à l’Inalco (2019-2021). En 2020, j’ai soutenu ma thèse intitulée Une étude comparative des métaphores de genre en français et en mandarin. Quelques mois après, j’étais qualifiée aux fonctions de maîtresse de conférences par la 7e et la 15e section du CNU. Après un poste d’attachée temporaire d’enseignement et de recherche à l’UFR Langues et études internationales à l’université Cergy Paris (2021-2022), j’ai été nommée maîtresse de conférences au département LEA de l’Université de Lorraine.

Pouvez-vous en dire plus sur vos recherches actuelles ?
Depuis la fin de ma thèse, j’ai élargi mes sujets de recherche vers trois thématiques sur lesquelles j’effectue des analyses à la fois quantitatives et qualitatives en me fondant sur des sources de données, telles que des sources médiatiques, des forums et du terrain :

  • Stéréotypes genrés liés à l’utilisation des noms de métiers en mandarin

En collaboration avec S. F. Wang (Academia Sinica), j’étudie les stéréotypes genrés à travers des noms de métiers en mandarin. Comme il n’existe pas de genre grammatical en mandarin, j’étudie comment les noms de métiers sont liés à des marques genrées du « féminin » et du « masculin » à l’aide des outils du traitement automatique des langues (TAL). Par exemple, le mot chinois laoshi « professeur·e » est épicène, dans quelles circonstances les auteur·es précisent-iels explicitement le genre des référents ? Et quels champs lexicaux et sentiments sont associés à des référents féminins et masculins ?

  • Analyses critiques du discours lié au genre dans les médias

Je m’intéresse aussi à la manière dont les inégalités entre les deux sexes sont représentées dans les discours des médias, dans les thèmes abordés par la politique locale et dans les relations internationales. Par exemple, comment la relation entre les femmes et les hommes est-elle mobilisée comme domaine source pour représenter l’inégalité de pouvoir entre le gouvernement et les peuples (ex : « Le gouvernement viole le peuple »), ainsi qu’entre des pays de puissances inégales. Un de mes projets pose la question suivante : comment des relations similaires entre des pays sont représentées par des métaphores analogues ? J’étudie un cas particulier : comment la relation entre la Chine et Taïwan ainsi que la relation entre la Russie et l’Ukraine sont-elles représentées de manière comparable ? Plus précisément, leur relation historique et actuelle se conceptualise comme une relation de couple, ainsi le pays le plus puissant est représenté comme un homme et le pays le moins puissant est représenté comme une femme. Selon les perspectives des camps politiques, j’étudie les idéologies différentes derrière ces discours.

  • Graffitis… dans des toilettes des universités

Le sujet peut sembler curieux, mais il est tout à fait sérieux et intéressant. En collaboration avec M. Allassonnière-Tang (Muséum national d’histoire naturelle), je travaille sur les graffitis dans les toilettes mixtes/non mixtes des universités, en prenant en considération des variables linguistiques et spatiales. Les graffitis que l’on rencontre dans ces lieux peuvent être considérés comme révélateurs des valeurs, idéologies et attitudes des étudiant·es à l’égard de la société. Comme la séparation entre toilettes pour hommes et pour femmes a été mise en question en même temps que la binarité homme-femme, certaines toilettes sont non mixtes alors que d’autres sont mixtes. Dans ces conditions, le degré de mixité des toilettes est-il un facteur influençant la teneur des messages véhiculés par les graffitis ?
L’enquête a été menée dans trois établissements : l’Université de Lorraine (Metz), l’Université Paris-Cité (Campus Grands Moulins) et l’Université Sorbonne Nouvelle (Campus Censier). Je souhaite mener les investigations dans d’autres lieux pour mes projets.

Quels sont vos projets ?
Arrivant au Crem, je suis très heureuse d’intégrer une équipe dont les membres partagent l’intérêt pour les recherches du genre. Je souhaite créer plus de collaborations internes, en particulier au sein du programme de l’équipe Praxitexte dans lequel apparaît la thématique « Le genre au prisme des pratiques de discrimination ». Par ailleurs, il y a deux thèmes que je voudrais développer à l’aide de collaborations externes.

  • Analyses des préjugés genrés dans les manuels d’enseignement du chinois comme langue étrangère

Lors de mon enseignement, j’ai remarqué qu’il existe des stéréotypes genrés dans les manuels d’apprentissage de langues étrangères. Par exemple, les référents masculins sont surreprésentés dans les phrases d’exemples par rapport aux référents féminins. Les deux sexes sont aussi liés à des champs lexicaux différents (ex : hommes plus souvent liés aux thèmes du sport et du métier, femmes, à l’apparence ou à la famille).
Par conséquent, je prévois d’effectuer une analyse systématique des manuels d’enseignement du chinois comme langue étrangère (selon les sexes des référents des arguments, les fonctions grammaticales, les rôles sémantiques et le choix lexical) pour proposer des pistes de modification et d’amélioration, et je souhaite préciser pour les étudiant·es les différences interculturelles et linguistiques liées au genre dans l’enseignement du chinois comme langue étrangère. Cette recherche se fera en collaboration avec P. Magistry et X. Y. Yu (Inalco).

  • L’interaction entre le genre grammatical et le genre socioculturel

Avec une équipe de linguistes de spécialités différentes (M. Allassonnière-Tang, MNHN, France ; C. Cathcart, Université de Zurich, Suisse ; N. Rochant, Université Sorbonne Nouvelle, et O. Shcherbakova, Institut Max-Planck de science de l’histoire humaine, Allemagne), nous avons obtenu un financement dans le cadre du Constructive Advanced Thinking (CAT) Programme 2023-2025. L’équipe se compose de chercheur·euses qui travaillent sur la question du genre, de la cognition, de la typologie, de l’évolution linguistique et de l’apprentissage automatique (machine learning). Ce projet vise à élargir la base de données pour les études de genre et à mener une analyse multifactorielle de la relation entre le genre grammatical et le genre socioculturel dans les langues.
Pour résumer, la relation entre la langue et le genre est et sera toujours le noyau de mes recherches, et je souhaite ouvrir de nouvelles possibilités interdisciplinaires.