Propriété intellectuelle et veille brevet : deux outils stratégiques au service de l’innovation

 
Publié le 23/01/2023 - Mis à jour le 24/01/2023

Apporter une solution technique à un problème technique, tel est le dénominateur commun de l’ensemble des inventions faisant l’objet d’un dépôt de brevet auprès des institutions spécialisées. Pour réaliser cette démarche, deux éléments entrent en jeu respectivement en amont et en aval du processus d’innovation : la veille brevet et la propriété intellectuelle.

La propriété intellectuelle constitue un enjeu majeur à la fois pour les personnes physiques et morales, notamment dans le cadre de la protection de leurs inventions contre la contrefaçon. L’INPI (Institut National de la Propriété Intellectuelle) définit la propriété intellectuelle comme étant un ensemble comprenant la propriété industrielle et la propriété littéraire et artistique[1]. La propriété industrielle s’intéresse aux créations techniques (brevets, certificats d'obtention végétale et autres topographies de semi-conducteurs), aux créations ornementales (dessins et modèles), ainsi qu’aux signes distinctifs (marques, dénomination sociale, nom commercial, enseigne, noms de domaine, appellations d'Origine et autres indications de provenance). La propriété littéraire et artiste concerne quant à elle, le droit d'auteur (œuvres littéraires, musicales, graphiques, plastiques et autres logiciels), les droits voisins (concernant exclusivement les artistes-interprètes, les producteurs de vidéogrammes et de phonogrammes, et les entreprises de communication audiovisuelle). Si les droits de propriété industrielle s'acquièrent en principe par un dépôt (brevet, dessin et modèle, marque, etc.) ou dans certains cas par l'usage (noms commerciaux ou enseigne), le droit d'auteur s'acquiert quant à lui, sans formalités, du fait même de la création de l'œuvre.

Les enjeux liés à la propriété intellectuelle

La propriété intellectuelle est d’une importance capitale. Elle est la garante juridique de la protection de toutes les créations de l’esprit, qu’elles soient littéraires ou artistiques (œuvres originales) ou industrielles (innovations technologiques, signes distinctifs ou aspect de nouveaux produits). Il est donc nécessaire de connaître toute la législation en vigueur la concernant, afin d’être en mesure de protéger ses créations contre la contrefaçon (entre autres), et d’éviter de s’approprier illégalement celles d’autrui.

Par ailleurs, la propriété intellectuelle ajoute de la valeur aux œuvres protégées. Elle est perçue comme un signe de reconnaissance. Aussi, détenir des titres de propriété intellectuelle (brevets par exemple) rend l’inventeur plus crédible, et cela lui ouvre la porte à de nouvelles opportunités (partenariats, financement de ses projets, etc…).  

La veille brevet, moteur d'innovation

La veille brevet ou plus globalement la veille technologique est définie par Daniel Rouach[2] comme étant « une activité mise en œuvre par l’entreprise pour suivre les évolutions susceptibles d’influer sur le devenir de son métier ». Concrètement, la veille brevet peut permettre à l’entreprise d’avoir des informations pertinentes sur les innovations technologiques dans un domaine donné, grâce notamment à la cartographie des brevets[3] qu’elle rend possible. Pourtant, la réalisation d’une veille brevet peut être stratégique à plus d’un titre. En effet, en réalisant cette activité, l’entreprise se dote des moyens permettant à la fois d'identifier ses concurrents, d’être au courant des technologies qu’ils prévoient de mettre sur le marché, mais également, de préparer une riposte, notamment dans une logique de compétitivité. C’est par ailleurs un outil permettant d’identifier les nouveaux entrants (acteurs) sur le marché, mais aussi, des partenaires potentiels, etc…

Comme évoqué précédemment, le dépôt de brevet est une solution permettant de protéger toute invention qui répond aux critères de nouveauté, d’activité inventive et d’application industrielle. Cependant, il convient de préciser que cette démarche n’est pas obligatoire. En effet,  le titulaire de l’innovation peut dans certains cas choisir de ne pas déposer de brevet pour son invention, notamment pour éviter de divulguer des informations stratégiques.

Entretien avec Xavier Delecroix, Responsable des services de la Propriété Intellectuelle au sein de l’Institut de la Propriété Intellectuelle Luxembourg GIE (IPIL).

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots (votre parcours et les spécificités de votre métier) ?

De formation initiale en électronique, j’ai complété ma formation par un DESS IST – Information Scientifique et Technique en 1996, en fait, l’ancêtre de votre Master VSOC. J’ai ensuite travaillé principalement dans la veille technologique et concurrentielle pendant 20 ans et depuis 2016, je m’occupe de la sensibilisation, des formations et des services de recherches brevets au sein de l’Institut de la Propriété Intellectuelle Luxembourg G.I.E.

La spécificité de mon métier est qu’il est à la fois nécessaire de maîtriser parfaitement le système des brevets d’inventions et d’avoir une bonne connaissance de la plupart des domaines techniques et des avancées technologiques récentes, afin de pouvoir comprendre les besoins en termes d’information de nos clients et de leur proposer un accompagnement adéquat.

 Quel lien faites-vous entre “propriété intellectuelle” et “veille brevet” ?

La propriété intellectuelle est un outil au service de la stratégie de l’entreprise. C’est donc la stratégie de l’entreprise qui guide la stratégie de propriété intellectuelle. Dans le cas des brevets, ils jouent un double rôle, ils constituent à la fois un outil de protection des innovations de l’entreprise qu’il est nécessaire de défendre, mais ils sont également une source fantastique d’information technique. Avec 140 millions de brevets dans les bases de données, toute cette connaissance permet aux entreprises d’identifier des solutions techniques, de trouver des centres de compétences, des partenaires mais aussi et surtout de suivre l’évolution de la technologie dans un domaine à travers une veille brevet, ou de surveiller l’innovation chez ses concurrents à travers une veille concurrentielle.

En quoi est-ce important que les étudiants du Master VSOC soient initiés aux enjeux de la propriété intellectuelle ?

Tous les étudiants de Master devraient y être initiés car les différents droits de propriété intellectuelle (marques, dessins et modèles, brevets et droits d’auteur…) touchent tous les acteurs économiques. C’est encore plus vrai pour les Master tels que le Master VSOC, la composante veille brevets ne doit pas être négligée, les brevets sont LA principale source d’information technique et l’analyse de l’information brevet permet une prospective des développements des entreprises, des concurrents, ainsi que les produits et les marchés visés à court et moyen termes.

De plus, au niveau de la gestion des connaissances internes d’une organisation, les droits de propriété intellectuelle constituent de plus en plus des actifs immatériels essentiels qui reflètent son capital intellectuel, ses créations, ses savoirs et savoir-faire. Ces éléments entrent donc pleinement dans l’organisation des connaissances.  

Parlez-nous de l’évolution du métier de veille brevet ces dernières années ?

Il y a deux profils types qui sont impliqués dans les métiers de veilleur brevet ; soit des professionnels de la veille stratégique qui intègrent les brevets dans leurs sources d’informations, soit des spécialistes des brevets qui exploitent ces informations pour des recherches d’antériorité ou des états de l’art, des études de diversification technologique ou des panoramas brevet, des recherches en liberté d’exploitation ou des veilles technologiques et concurrentielles. Si une organisation peut disposer de ces 2 profils, ils se complètent à merveille, l’un apportant à l’autre la compréhension stratégique de ce que les recherches brevet ne font que constater, l’autre apportant une dimension plus pertinente et plus rigoureuse sur le domaine technique étudié. D’un autre côté, les outils automatisés de recherche et de veille brevets incluant de la recherche sémantique, des systèmes dopés à l’Intelligence Artificielle ou des générateurs d’indicateurs et de graphiques automatiques sont de plus en plus fréquents et simples d’utilisation. Il faut cependant toujours garder à l’esprit que ces outils automatisés doivent être parfaitement maîtrisés et leur fonctionnement compris par l’utilisateur si l’on souhaite avoir des résultats exhaustifs tout en restant pertinent et précis car des décisions stratégiques peuvent être prises sur cette base.

 

Salim Berahrah et Ibrahim Lailaba, Master 2 VSOC



[1] Définition de la propriété intellectuelle proposée par l’Inpi : https://www.inpi.fr/comprendre-la-propriete-intellectuelle/les-enjeux-de-la-propriete-intellectuelle

[2] Rouach, D. (2010). La veille technologique. Dans D. Rouach. La veille technologique et l’intelligence économique (pp. 18-28). Presses Universitaires de France.

[3] “La cartographie brevets consiste à analyser l'ensemble des brevets d'un domaine technologique spécifique, dans le but d'identifier les brevets clés, d'alimenter la réflexion des dirigeants sur la propriété industrielle, ou encore de détecter les concurrents ou partenaires potentiels” (CNRS/La cartographie des brevets, un outil stratégique pour les start-up http://www.cnrs.fr/cnrsinnovation-lalettre/actus.php?numero=491 )