[3 questions à ] Julien Thèves : géographie de l’intime, rencontres lorraines et résidence confinée

 
Publié le 25/11/2020 - Mis à jour le 5/05/2023
Julien Thèves achève sa résidence à Scy-Chazelles le 28 novembre 2020. Factuel est allé à sa rencontre pour parler de la « géographie de l’intime », thème développé par l’auteur, à travers les forêts, les rencontres et souvenirs lorrains, et de la manière dont on peut vivre une résidence en confinement.
 

Comment l’histoire de cette résidence a-t-elle débuté ?

 
L’écrivaine Fabienne Jacob (accueillie par Récit’Chazelles en 2019) m’avait parlé de cette résidence. Comme elle, je suis d’origine lorraine. La perspective d’y retourner, d’être inscrit dans ce territoire où vivaient mes grands-parents, ça me plaisait plutôt. Avec le confinement, je suis passé d’une résidence à une autre : de celle du mois d’octobre à celle du mois de novembre.
Pendant le premier mois, j’ai pu être nourri par beaucoup de rencontres (ateliers à l’Université de Lorraine, dans les écoles de Scy-Chazelles et du Ban Saint-Martin) et aussi par la découverte de Metz. J’ai commencé à m’inspirer de ce territoire et à écrire des chroniques. (à lire ici)
Il y avait un programme initial très riche. Le mois d’octobre devait être consacré aux ateliers d’écriture, tandis que le mois de novembre était plutôt centré sur les rencontres littéraires. 
Tout le mois de novembre a été annulé ou reporté – j’ai quand même pu rencontrer le club de la bibliothèque de Scy-Chazelles qui organise régulièrement des cafés littéraires. C’était en visio mais l’échange était tout de même sympathique.
 

La géographie de l’intime est-elle liée à cette situation de confinement ?

 
C’est vrai que le confinement est quelque chose qui résonne avec l’intime. Mais ce thème de résidence est d’abord lié à mon amour particulier pour les forêts. On peut voir l’automne transformer la nature. Il y a aussi l’aspect métaphorique : la forêt est comme l’inconscient, on la traverse, on l’explore, on s’y perd, elle est peuplée d’êtres invisibles … c’est quelque chose de touffu, de secret, quelque chose qu’on porte en soi.
L’écrivaine Anne Serre nous explique qu’écrire un livre, c’est un peu comme partir en balade en forêt. On explore des choses de nous-mêmes, on fait des expériences, on invente. On trace sa voie un peu au hasard. Il y a aussi un livre de Juan Goytisolo qui s’appelle La Forêt de l’écriture : il y a des analogies entre la forêt et les mots, il n’y a rien de plus touffu que le langage.
La résidence d’octobre a été très sociale, j’ai rencontré de nombreux auteurs, j’ai visité plusieurs villes : Metz, Nancy, Sarrebruck … le but était de rayonner en Lorraine et de ne pas rester à Scy-Chazelles. Le but était de retourner à cette terre de Lorraine d’où mes grands-parents sont originaires.
Depuis novembre, je n’ai plus ces liens, je peux me tourner vers l’écriture et raconter la vie qu’ont vécu mes grands-parents, même avec des souvenirs fragmentaires. J’ai mené des enquêtes en lien avec mes ancêtres : la mine d’Hettange-Grande, les scieries - ici, on retrouve la forêt, mais plutôt vosgienne...
J’écris beaucoup à partir de souvenirs (mon enfance au Pays basque dans Le pays d’où l’on ne revient jamais paru en 2018 chez Christophe Lucquin Éditeur, puis chez Mon Poche, ma jeunesse à Paris dans Les Rues bleues paru en 2020 chez Buchet/Chastel). Là, j’ai remonté d’un cran dans les générations, en travaillant sur mes grands-parents lorrains, en lien avec la grande Histoire locale.
Le confinement ne fait pas plus surgir de souvenirs que ça, mais ça oblige à se mettre à écrire. 
 

Quelles ont été vos plus belles rencontres lors de cette résidence ?

 
J’ai été accueilli avec une grande bienveillance par Carole Bisenius-Penin (responsable du laboratoire hors les murs - Crem, UL / directrice littéraire de la résidence) et Yannick Groutsch (adjoint à la communication, culture et bibliothèque de Scy-Chazelles), ce qui m’a permis de mieux supporter l’isolement de la résidence. 
Madeleine, une habitante de Scy-Chazelles, ancienne professeure de français, m’a fait découvrir les forêts alentour.
J’ai rencontré un renard flamboyant, d’un orange pétant, ce que je considère comme une rencontre, sauvage et furtive ! J’ai aussi fait la rencontre des grues cendrées qui offrent un spectacle magnifique pendant leur migration.
Ce sont des retrouvailles avec la Lorraine, ses saveurs … que j’ai connue enfant. J’ai trouvé les Lorrains très sympathiques ! 
Dans une résidence, l’auteur transmet aussi quelque chose de lui au territoire en échange d’être accueilli. Il y a eu mes rencontres avec les enfants au cours d’ateliers, de moments de médiation. Ça leur a apporté une fenêtre sur autre chose et pour moi, c’était aussi une ouverture. 
Chaque confinement nous apporte quelque chose. On se découvre autrement, le rapport au temps et aux relations change.
Pendant le premier confinement, je n’avais pas du tout envie d’écrire, j’ai simplement tenu un journal pour garder une trace de cet événement mais je ne pouvais pas m’échapper dans autre chose, il y avait une sidération.
Au second confinement, il y a la création d’un espace vide qui laisse plus de place à autre chose, à l’écriture.
Nous sommes maintenant fin novembre, et je dois dire que mon manuscrit est plutôt bien avancé…